Après sept ans d’interviews féministes, Lauren Bastide a décidé d’arrêter La Poudre. Mais bonne nouvelle, elle lance un nouveau projet : Folie douce, un podcast consacré à la santé mentale. Les deux premiers épisodes sortiront simultanément le 1er février. Pour Causette, elle dévoile en exclusivité le nom de deux de ses premier·ères invité·es.
Causette : Avant de parler de votre nouveau projet, comment pouvez-vous consoler tous et toutes les auditeur·rices de La Poudre qui sont un peu tristes que ça s’arrête ?
Lauren Bastide : Je peux leur dire que, depuis début janvier, La Poudre est à nouveau disponible sur toutes les plateformes. Depuis deux ans, ça n’était que sur Spotify. D’ailleurs, j’ai vu que les audiences explosent ces dernières semaines. Plein de gens n’avaient évidemment pas écouté tous les épisodes, notamment les dernières saisons. Or ils sont là. Ils sont gratuits. Et ils sont toujours valables.
Ce sont des archives immortelles. J’ai également remis le disque dur de l’intégralité des rushs originaux, donc des deux cents interviews que j’ai faites en sept ans, à l’historienne Christine Bard, pour qu’ils aillent aux archives féministes de l’Université d’Angers, qu’elle a créée. Et à terme, ils vont rentrer au musée des féminismes qu’elle est en train de monter. C’était un geste hyper symbolique et important pour moi que ces récits, qui sont super importants historiquement et aussi politiquement pour nos combats féministes, soient archivés. Je les ai mis à l’abri pour qu’ils restent toujours conservés, soigneusement et surtout écoutables par les générations futures.
Donc une nouvelle aventure commence pour vous. Pourquoi il vous a semblé important de lancer un nouveau podcast sur la santé mentale ?
L. B. : Pour moi, c’est vraiment un prolongement de ma réflexion féministe et de toutes les interviews que j’ai faites avec des femmes et des personnes sexisées dans La Poudre. Il me semble, en fait, que c’est une question éminemment politique, complètement liée aux enjeux de genre, mais aussi de race, de classe, que j’explore depuis des années. Et ça fait plusieurs mois que, même dans mes interviews de La Poudre, je me suis retrouvée à parler de plus en plus souvent de santé mentale.
Par exemple, avec Shirley Souagnon ou avec Sophie-Marie Larrouy, où on s’est retrouvées à parler de dépression, de tentatives de suicide et de troubles de la santé mentale. Qui sont bien souvent liées à des violences sexistes ou sexuelles, à des oppressions liées au genre ou au racisme. Et petit à petit, je me suis rendu compte que ces questions occupaient, au moins dans mon esprit, une place de plus en plus importante dans mon analyse et dans mon désir d’interviewer les personnes sur leur parcours individuel.
Est-ce que cela fait écho à des enjeux personnels également ?
L. B. : Oui, ça a aussi coïncidé avec mon parcours personnel. Il y a deux ans, j’ai pris conscience de mes propres troubles psychiques, que je prenais soit un peu par-dessus la jambe, soit en me dissociant complètement depuis des années. Et j’ai commencé à suivre une thérapie comportementale et cognitive (TCC). La particularité des TCC, c’est que le ou la thérapeute te donne des outils. Donc je me suis mise à lire énormément de livres, à consommer des contenus sur ces thématiques qui me concernaient, comme le TDAH, le stress post-traumatique, les troubles de la personnalité et la dépression. Je me suis mise à me passionner pour le sujet et à reconnaître dans cet intérêt, cet enthousiasme, celui qui m’animait il y a sept ans quand j’ai lancé La Poudre.
Je me suis dit allons au bout de l’idée et lançons un podcast qui me permettra de me saisir intégralement de ces questions en reproduisant ce que je sais faire, c’est-à-dire des interviews avec des artistes, des personnalités médiatiques, des militants et militantes. Des interviews d’une heure, en profondeur, avec de l’écoute, de la bienveillance, pour mettre en valeur des récits individuels.
N’y aura-t-il que des femmes invitées à votre micro ?
L. B. : Non, la nouveauté c’est que je vais pouvoir interviewer des hommes cis. Je pense que leur donner la parole sur la santé mentale est un geste éminemment politique, parce que parler de ça, c’est forcément parler d’émotion, de vulnérabilité, et je pense que pour que la société évolue dans le sens qu’on voudrait la voir prendre, c’est indispensable que les hommes, ou que DES hommes en tout cas, acceptent d’endosser ces termes.
Vous ne croyez pas que ça va être difficile d’avoir des témoignages d’hommes ?
L. B. : Ce qu’il faut aussi bien comprendre, c’est que dans Folie douce, je veux parler de santé mentale au sens large. Même les personnes qui n’ont pas de maladie mentale ont une santé mentale et sont, à mon avis, complètement habilitées à en parler. Je vais donner la parole à des personnes qui sont concernées par des troubles psychiques ou psychiatriques, mais aussi à des personnes qui ont grandi avec un parent concerné par ces troubles, ou à des personnes qui, au contraire, ont l’air d’avoir une santé mentale hyper solide et qui raconteront comment ils ou elles font pour se protéger dans des contextes parfois violents. Je veux qu’on normalise les conversations sur ce sujet. Qu’on prenne le temps de se demander tous et toutes : “Comment je vais, pourquoi je vais bien, pourquoi je vais mal, qu’est-ce qui me fait aller bien, qu’est-ce qui me fait aller mal, qu’est-ce que je fais quand je vais mal ?” Des questions que tout le monde devrait se poser.
Très peu de personnes parlent publiquement de ça…
L. B. : Oui, même s’il y en a de plus en plus. Par exemple, la prise de parole de Panayotis Pascot est très importante. Je pense que je vais accueillir ce type de coming out, mais je veux aussi pouvoir parler de beaucoup d’autres aspects de la santé mentale.
Et pourquoi la santé mentale, ça reste aussi tabou, aussi secret ?
L. B. : Là encore, la pensée féministe nous permet de comprendre le tabou autour de la santé mentale. C’est un tabou autour de la faiblesse, de la vulnérabilité, autour du fait de sortir de la norme, autour de la marginalité. Il y a une pensée qui me sert absolument dans tous mes écrits ces dernières années, c’est la pensée du care élaborée par Carol Gilligan, qui a probablement apporté au féminisme une des notions les plus déterminantes de ces dernières décennies sur les questions de genre. Elle permet de comprendre qu’il existe une sorte de hiérarchisation entre ce qu’on va appeler une rationalité un peu binaire et une vision du monde plus complexe, basée sur les interconnexions et sur les émotions. Le problème, c’est déjà de distinguer ces deux façons de voir le monde, mais aussi de juger qu’il y en a une qui est valable et l’autre qui ne l’est pas. Et ça revient à mettre le masculin au-dessus du féminin, dans une lecture viriliste du monde. C’est pour ça aussi que j’ai choisi comme baseline, pour le podcast “Libérer la parole sur la santé mentale”, même si cette expression est galvaudée. N’empêche que je crois que, sur cette question, on en est vraiment là. On n’en est vraiment à ce stade où, dans un premier temps, il faut déjà faire émerger des récits.
Mais les femmes prennent plus en charge leur propre santé mentale, mais aussi la santé mentale de leur entourage. Comment ne pas tomber dans la (sur)charge émotionnelle ?
L. B. : Bien sûr, c’est un enjeu fondamental. Et moi, j’irais même encore plus loin, je dirais que les femmes, et en particulier les femmes féministes, ont contribué à cette prise de conscience, y compris la mienne. Elles ont vraiment été pionnières pour éveiller la société sur l’importance de ces enjeux. Pourquoi ? Parce que, encore une fois, ce sont des questions liées au traumatisme, aux violences sexuelles, au cyberharcèlement, à énormément de thématiques dont les féministes se sont emparées ces dernières années. Je tiens à citer mūsae ; le podcast de Camille Teste, Encore heureux, sur Binge Audio ; ou même ce que fait Sophie Marie Larrouy avec son podcast de méditation au supermarché. Je pense qu’on est peut-être à la veille d’un éveil collectif sur ces questions et que je fais partie d’un mouvement beaucoup plus vaste. Mais en effet, il est hors de question que cette charge émotionnelle repose uniquement sur les épaules des femmes, ou des féministes.
Est-ce que vous allez évoquer les questions de burn out militant ?
L. B. : C’est une question incontournable. Qui va forcément apparaître au détour des interviews. Elle apparaîtra aussi au détour de mes propres interventions dans le podcast. J’ai aussi envie de plus me révéler. J’ai mis beaucoup de temps, dans La Poudre, à dire les endroits où moi, j’étais concernée par les violences sexistes ou sexuelles, à formuler mes propres traumatismes, à sortir de la position un peu experte, un peu froide de la journaliste qui ne fait que poser des questions alors que j’étais concernée au premier chef. Là, je vais assumer beaucoup plus les endroits où je suis concernée par le sujet.
Et ça va passer, notamment, par mes introductions. Je vais les enregistrer dans la rue en marchant et en improvisant en me rendant sur le lieu de l’interview. On m’entend vraiment avec mes hésitations, mes troubles de l’attention. Je dis mes peurs et mes doutes. Je veux montrer l’exemple moi aussi. S’il faut libérer la parole sur la santé mentale, il faut que je commence par dire que moi, ma santé mentale, elle est fragile. Que j’ai traversé beaucoup de périodes très difficiles sur ce plan dans ma vie. Je sais que pour pas mal de jeunes auditrices je peux apparaître comme un role model. Mais en fait, voilà, la réalité est plus complexe que ça. Et je veux aussi peut-être rassurer des gens en disant “moi aussi”.
Avez-vous quelques révélations à nous faire sur vos premier·ères invité·es ?
L. B. : La première a une voix très reconnaissable, donc certains et certaines l’ont peut-être déjà reconnue dans le teaser que j’ai mis en ligne récemment. Il s’agit de Chloé Delaume. Le second est le chanteur Voyou. Et ça, c’est une exclu pour Causette !
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