Marion Cardiet, 36 ans, est conseillère au Planning familial de Rennes (Ille-et-Vilaine) depuis huit ans. Elle raconte un quotidien bien rempli, entre accueil de personnes souhaitant une contraception, une IVG ou victimes de violences.
“Dans l’imaginaire collectif, la conseillère conjugale accompagne des couples dans des situations de communication difficile, pour voir s’il est possible de continuer la relation de couple. Mais là où je travaille, on n’a pas la possibilité ni les moyens de faire ce genre de suivi, donc je préfère me présenter en tant que conseillère tout court. C’est-à-dire que je propose un espace d’écoute, d’information et d’accompagnement. Mon métier, c’est de suivre une personne là où elle en est et de lui donner les ressources. Par exemple, je reçois parfois au Planning des personnes qui viennent pour un test de grossesse, mais, au cours de l’entretien, on comprend qu’elles ont subi un rapport non consenti : elles disent “je sais pas trop”, “j’ai été chez lui…”. Parfois, elles ne l’ont pas conscientisé. L’accompagnement que je propose est d’ordre psychosocial, c’est-à-dire qu’il s’agit d’aider à soutenir les émotions ; on peut ensuite orienter vers un accompagnement juridique, par exemple. Pour faire ce genre de métier, il faut être en capacité d’écouter, être en empathie, mais aussi pouvoir prendre du recul sur ce que ça nous fait, car on est confronté à des situations pas évidentes.
J’ai fait des études à la fac de Rennes, dans une filière professionnalisante en sciences sociales, “Intervention sociale et développement”. Je connaissais le Planning familial de nom, mais je n’ai pas travaillé tout de suite dans ce milieu. Après mon diplôme, j’ai d’abord été animatrice dans un centre social puis, pendant quatre ans, au Centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) : c’est là que j’ai commencé à développer mon féminisme et à conscientiser des choses, car j’accompagnais des femmes dans l’accès à l’emploi. J’ai grandi dans un milieu où l’on considérait que les questions d’égalité femmes-hommes étaient bien avancées : en arrivant dans le milieu professionnel, j’ai vite pris conscience que non, pas du tout ! Un jour, je suis tombée sur une annonce du Planning familial pour un poste d’animatrice de prévention en santé sexuelle : il s’agissait de faire de l’accueil et des interventions autour de ce thème. Moi, je n’avais pas d’expérience en santé sexuelle, donc j’ai appris en étant en poste : j’ai été embauchée au PF35, qui est une grosse association départementale avec un centre de santé sexuelle sur deux sites, l’un à Rennes, où je me trouve, l’autre à Saint-Malo. Et rapidement, il m’a été proposé de faire la formation de conseillère conjugale et familiale.
Le quotidien est à la fois très varié et très chargé. Souvent, malheureusement, on n’arrive pas à recevoir toutes les personnes qui se présentent ; de mon côté, je peux faire entre quatre et huit entretiens en une demi-journée, par exemple. Le public que je reçois est en grande majorité féminin, mais il y a aussi des hommes, des personnes non binaires et trans, car nous faisons aussi des consultations autour de l’identité de genre. On pense souvent, à tort, que le Planning familial, ce n’est que pour les jeunes, mais l’IVG ça arrive à tous les âges de la vie, comme les violences. Après huit ans en poste, je constate qu’on a de plus en plus de situations de violence : c’est hyper dur et ça fait mal au bide, mais, en même temps, je suppose que c’est aussi parce que la parole s’est ouverte sur le sujet. Chez les très jeunes, on voit beaucoup de premiers rapports sexuels non consentis.
Ce qui est difficile dans ce métier, c’est de se prendre en pleine face toutes les violences patriarcales au quotidien. Il y a également une non-reconnaissance du travail que l’on fait : c’est un métier féminisé, donc pas valorisé, alors qu’il bénéficie à toute la société. Cette année, le personnel a fait grève pour demander l’augmentation des salaires, qui sont très bas. On est débordées et frustrées de ne pas avoir les moyens de faire correctement notre travail. On est des salariées militantes, mais il faut qu’on se préserve de l’épuisement.
Heureusement, la force de ce job, c’est l’équipe, les collègues, avec qui on peut échanger et construire ensemble. Je suis aussi très attachée aux valeurs du Planning que sont le féminisme et l’éducation populaire. On fait également des actions collectives auprès de personnes en situation de handicap et auprès de personnes en situation de précarité. Et des interventions autour de l’éducation à la sexualité en milieu scolaire et en dehors. Quand on rencontre des jeunes, il y a plein de choses hyper enthousiasmantes. Je vois bien qu’ils et elles connaissent beaucoup plus de choses que moi à leur âge, qu’ils et elles ont accès à plein d’infos sur Internet et les réseaux sociaux. Je trouve qu’il y a, chez elles et eux, une grande tolérance face à la question du genre. Mais on entend aussi des discours hyper réactionnaires, homophobes et transphobes. En tout cas, ce sont des espaces de discussion précieux. On se dit quand même que les choses peuvent bouger.”