Femmes fon­taines : l'Histoire fait de la réten­tion d'eaux

Bien connue de nos ancêtres, l’éjaculation vul­vaire est remon­tée à la sur­face au XXe siècle. Dans Fontaines, l’historienne Stephanie Haerdle nous rap­pelle le temps où le squir­ting était un art de vivre.

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©Marie Boiseau pour Causette

Progressiste en matière de sexe, l’Occident du XXIe siècle ? Bof… En 2004, la Grande-​Bretagne inter­di­sait l’éjaculation vul­vaire dans les DVD por­no. La science vient à peine de prou­ver (en 2015) qu’il ne s’agissait pas d’urine. Et, en 2021, si le por­no encense le squir­ting, on ne l’étudie tou­jours pas en fac de méde­cine. Il fut pour­tant un temps où l’éjaculat fémi­nin était si mains­tream qu’il avait plu­sieurs noms (« eau du puits », « ambroi­sie », « jus de melon »…), qu’on inci­tait les hommes à le boire et que même l’Église catho­lique l’encourageait.

Cette amné­sie, l’historienne alle­mande Stephanie Haerdle la dis­sèque dans son livre Fontaines, his­toire de l’éjaculation fémi­nine de la Chine ancienne à nos jours (éd. Lux). Elle s’est mise à enquê­ter sur le sujet après être tom­bée sur le docu Comment éja­cu­ler au fémi­nin ? en 1998, « dans un ciné indé­pen­dant de Berlin ». Les pre­mières infos qu’elle glane la scotchent. « Les semences fémi­nines sont décrites dès la Grèce antique, s’enthousiasme-t-elle encore. Le plus vieux texte indien décri­vant l’éjaculation fémi­nine date du VIIe siècle. Dans les textes arabes et euro­péens, c’est du Moyen Âge jusqu’au XVIIIe siècle. »

Les pre­mières men­tions d’éjaculation vul­vaire la pré­sentent comme un moment à part entière des ébats. En Chine, « des textes vieux de 2 200 ans célèbrent les fluides de la femme pen­dant l’orgasme, leur odeur, leur goût, leur consis­tance », pré­cise Stephanie Haerdle. Dans les siècles qui suivent, plu­sieurs livres chi­nois d’éducation sexuelle pré­voient que le sexe ne prend fin qu’avec l’orgasme de la femme et si un épais liquide blanc jaillit d’elle. Une image revient : celle du « fruit à lait », décrit comme « rouge » d’excitation, qui gonfle et explose. Dans l’Inde du IIIe siècle envi­ron, on sug­gère des poudres d’écorce et cer­tains miels pour pro­vo­quer « une éja­cu­la­tion rapide chez les belles ». Ces deux cultures dis­tin­guaient très bien fluides d’excitation, uri­naire et orgas­mique. Dans le roman éro­tique chi­nois Femmes der­rière un voile (XVIIe siècle), lorsque l’une des amantes prend l’éjaculation de sa par­te­naire pour de l’urine, écrit Stephanie Haerdle, « elle est aus­si­tôt cor­ri­gée par son amie ». Éjaculer, pense-​t-​on aus­si à l’époque, nous recharge en éner­gie spi­ri­tuelle. La femme était en cela supé­rieure à l’homme, « parce que sa semence est inépui­sable »… Mais dans ces socié­tés anciennes, rap­pelle Stephanie Haerdle, la célé­bra­tion des femmes pen­dant l’acte sexuel « ne reflète en aucun cas son sta­tut dans la socié­té, où elle doit se sou­mettre à l’homme ». 

Peur de l’urine et refou­le­ment collectif 

Si on a accor­dé une impor­tance fon­da­men­tale à l’éjaculation fémi­nine, y com­pris en Europe, c’est aus­si parce qu’on la pense néces­saire à la pro­créa­tion. La croyance remonte loin : vers l’an 800 avant J.-C., note l’historienne, dans le texte hin­dou Rig-​veda notam­ment. Le fœtus sera fémi­nin si « lors de la concep­tion, il y a une quan­ti­té plus impor­tante de semence fémi­nine », dit-​on alors. Vice ver­sa pour le mas­cu­lin, et « si les fluides sont pré­sents en quan­ti­té égale, il se peut que soit conçu un hij­ra, un enfant du troi­sième sexe », écrit Stephanie Haerdle. En Europe, jusqu’au XVIIe siècle, on pense que l’enfant res­sem­ble­ra à celui ou celle qui a le plus éja­cu­lé. On prône alors aus­si l’orgasme contre « l’engor­gement sper­ma­tique ». Si une femme ne jouit pas assez sou­vent, on pense que son éja­cu­lat stagne, s’altère et cause des mala­dies, y com­pris chez les hommes au contact de cette semence trop « vieille ».

Les ennuis débutent au XVIIe siècle. Hommes et femmes com­mencent à être décrits par la méde­cine comme des sexes dif­fé­rents et « oppo­sés ». L’éjaculation devient mas­cu­line, car « cela cor­res­pon­dait bien à l’image du conqué­rant impé­tueux, tan­dis que la femme “rece­vait” le sexe de manière silen­cieuse, deve­nant au mieux humide, et ce, sim­ple­ment pour être péné­trée ». Puis, pata­tras. En 1672 et 1678, « la décou­verte du rôle de l’ovule et des sper­ma­to­zoïdes rend l’éjaculation fémi­nine inutile ». Inutile dans la pro­créa­tion, et donc inutile à mentionner.

Il y a aus­si des pro­blèmes dans la tra­duc­tion des textes anciens. Comme on ne parle plus d’éjaculation fémi­nine, les tra­duc­teurs pensent que le « rouge » du fameux fruit à lait gon­flé est une réfé­rence aux règles. Ne sachant pas qu’une femme peut éja­cu­ler, ils prennent aus­si toute men­tion de fluide pour « de la lubri­fi­ca­tion, des pertes blanches ou même par­fois, selon Stephanie Haerdle, des mala­dies véné­riennes ». Avec la patho­lo­gi­sa­tion du plai­sir fémi­nin au XXe siècle et les lacunes de la méde­cine occi­den­tale en matière de gyné­co­lo­gie, l’oubli est total. Même l’iconique duo amé­ri­cain Masters and Johnson (de leurs pré­noms res­pec­tifs William et Virginia, fondateur·rices de la sexo­lo­gie à la fin des années 1950) y contri­bue mal­gré lui. Ils inter­prètent l’éjaculation de cer­taines femmes lors de leurs études comme « une incon­ti­nence de stress ». Et voi­là plan­tée la graine de la « taboui­sa­tion » et du « refou­le­ment » col­lec­tif, en rai­son de la peur de l’urine, encore bien pré­gnante de nos jours.

C’est à des les­biennes que l’on doit la redé­cou­verte de l’éjaculation vul­vaire. Shannon Bell, Annie Sprinkle et Deborah Sundahl, grandes figures du por­no fémi­niste, ont été « incroya­ble­ment impor­tantes dans la réap­pro­pria­tion du squir­ting à par­tir des années 1980 », retrace Stephanie Haerdle. Elles ont lan­cé des guides pour jaillir et même des concours de qui-​éjaculera-​le-​plus-​loin (jusqu’à sept mètres !) pour prou­ver que les femmes et per­sonnes à vulve en étaient capables autant que les déten­teurs de pénis. Le jour où les manuels d’histoire men­tion­ne­ront cette grande épo­pée, on l’annonce : c’est soi­rée mousse. 


Dieu bénit l’éjaculation féminine

Les cultures des trois mono­théismes ont toutes, à un moment, encen­sé l’éjaculation fémi­nine. Comme on pen­sait qu’elle était indis­pen­sable pour conce­voir, jusqu’au XVIIIsiècle, « l’Église catho­lique deman­dait à ce que les femmes aient des orgasmes mouillés », note Stephanie Haerdle. Le Talmud de Babylone, texte fonda­mental du judaïsme, parle déjà de « sécré­tion de la pros­tate fémi­nine mêlée à d’autres fluides sexuels de l’éjaculat fémi­nin » (!) qui serait « blanche tirant sur le jaune ». On trouve aus­si, dans La Prairie par­fu­mée, texte de Cheikh Nefzaoui écrit au XVe siècle et étu­dié en théo­lo­gie musul­mane, la men­tion de jaillis­sements fémi­nins. Il dit à l’époux d’œuvrer à « la réunion de [cette] eau avec la [sienne] ».

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