Le clito est loin de régner en maître sur l’univers du porno. D’ailleurs, euh… Il se trouve où, exactement ?
Depuis la mise en circulation du Rapport Hite en 1976 1, à peu près l’intégralité du monde occidental est au courant du rôle du clitoris dans les rapports hétérosexuels. Pourtant, dans l’univers merveilleux du porno mainstream, en dehors du coït, point de salut. Avez-vous déjà tenté l’expérience de taper « anal » dans Google ? Essayez, vous obtiendrez plus d’un milliard de résultats. Avec « blowjob » (fellation), vous descendrez à 577 millions, et avec « cunnilingus »… là, vous dégringolerez à 39 millions. La pratique est à peine répertoriée dans les catégories des plateformes de streaming 2. C’est dire à quel point le clitoris est mal-aimé par cette industrie.
Les deux font rarement bon ménage. Lors du classique tour du propriétaire fellation-vaginal-anal-éjaculation faciale, l’actrice se doit de trouver l’extase dans son seul et unique rôle de réceptacle. La majorité des actes représentés à l’écran est centrée autour du phallus, mais s’agit-il d’une demande des spectateurs eux-mêmes ? L’ancienne actrice X Véronique Lefay m’avait un jour confié, navrée, que lorsqu’elle utilisait un sex-toy devant sa webcam, elle était obligée d’effectuer d’interminables va-et-vient vaginaux sans jamais pouvoir profiter de la vibration. Oui, parce que lorsqu’elle avait le malheur de se laisser aller à son propre plaisir en focalisant sur son clitoris… ses internautes se déconnectaient !
Pourtant, affirmer que le spectateur lambda se fiche éperdument de la jouissance représentée à l’écran serait trop simpliste. Disons plutôt qu’il préfère que l’actrice prenne son pied lorsque cela l’arrange. En d’autres termes, il attend que celle-ci jouisse, mais de préférence durant une longue sodomie bien propre et bien sèche, sans trop de cyprine et sans aucune autre forme de stimulation. Un principe également valable pour les femmes consommatrices de porno dit « masculin », qui représentent, précisons-le, approximativement un quart de la clientèle 3. Malgré l’essor d’une pornographie féministe, les vidéos les plus populaires sur le Net demeurent celles où l’on voit des femmes se faire démonter, dilater, gifler, biffler, le sourire aux lèvres et, pourquoi pas, en remerciant Jacquie et Michel 4. Si on se réfère aux tags les plus recherchés, il semblerait que personne ne souhaite voir des vidéos de princesses qui jouissent lorsqu’on leur fait minette.
N’empêche. De toute ma vie, je n’ai jamais rencontré d’aussi piètres lécheurs que les hardeurs. Leur incapacité à trouver le clitoris alors qu’ils en croisent des milliers tout au long de l’année peut laisser perplexe. Je vous laisse d’ailleurs le loisir d’observer leurs tentatives de tripatouillage durant lesquelles, pour une raison obscure, certains se mettent parfois à donner de petites claques sur la vulve. Il faut dire que les pauvres ont d’autres chattes à fouetter : n’oublions pas que leur première fonction sur un tournage est avant tout de bander. De cela dépend leur salaire : pas d’érection, pas de biffetons. La moindre panne est une catastrophe : l’actrice s’agace, les techniciens soupirent, le réalisateur s’énerve, le producteur perd de l’argent. Lorsque l’acteur est en érection, il doit immédiatement grimper Simone et ne plus s’arrêter, au risque de retomber. Se lancer en cours de route dans une quelconque pratique n’impliquant pas son sexe lui serait fatal.
Pudeur et loyauté
La majorité des acteurs débandent tristement lors des scènes de cunnilingus, et on ne peut pas leur en vouloir, car tout comme leurs partenaires féminines, s’ils sont là, c’est avant tout pour être rémunérés et non pour s’émerveiller d’une jouissance partagée. Quant aux actrices, il n’y a qu’à jeter un œil aux scènes dites « lesbiennes » pour se rendre compte de l’étendue du malaise : si certaines excellent dans le domaine, d’autres se lancent parfois dans une démonstration de ce que j’appellerais de l’« air licking », c’est‑à‑dire un simulacre de cunnilingus, la langue dans le vide effleurant à peine la chair.
On s’étonnera également que nombre d’entre elles n’essaient jamais de pallier les insuffisances des acteurs en se caressant elles-mêmes. Trop godiches pour savoir se servir d’un clito ? Certainement pas. Ultime réflexe de pudeur ? Voilà qui est plus plausible. De ce que j’ai pu en observer, de nombreuses actrices ne veulent surtout pas laisser entrevoir un possible orgasme et font ainsi tout pour s’en préserver, jusqu’à contourner la zone magique. Aussi étrange que cela puisse paraître, et même si dévoiler son corps devant une caméra semble sans doute impudique de prime abord, refuser de se laisser aller permet de préserver une part d’intimité. Il peut même s’agir d’une forme de loyauté envers son partenaire à la ville. D’autres actrices auront très paradoxalement peur de passer pour des « salopes » si on les surprenait à jouir sur un plateau. Ce réflexe de protection est d’ailleurs fréquent dans tout travail du sexe, du tapin jusqu’aux plateaux de tournage. Une prostituée m’avait un jour expliqué que lorsqu’elle sentait le plaisir monter en elle, elle se mettait à exagérer ses gémissements de manière grotesque afin que le client ne puisse percevoir cet instant de vulnérabilité. On retrouve cette idée dans le roman Putain, de Nelly Arcan, où la narratrice escort confie préférer la position de la levrette qui lui permet de « jouir sans que ça se sache », sans jamais croiser le regard du client. Ainsi, si de nombreuses pornstars évitent soigneusement de stimuler leur clitoris, c’est peut-être parce qu’elles refusent de faire cadeau de leur jouissance. Elles préfèrent simuler, laissant les spectateurs dans l’ignorance crasse de leur propre médiocrité.
Cependant, tous les hardeurs ne se retrouvent pas comme des poules devant une brosse à dents lorsqu’une fille écarte les jambes. Ainsi voit-on émerger une nouvelle génération d’acteurs « clit-friendly » qui, dans le sillon de la pornographie féministe, refusent de se laisser réduire à un statut de sexe en érection. Parmi eux, les Britanniques Parker Marx et Alexei Jackson, chouchous des productions d’Erika Lust ; l’Américain Wolf Hudson, partenaire fétiche de l’actrice contre-culture Stoya ; ou encore chez nos petits Français le jeune Doryann Marguet. La plupart de ces acteurs, à la différence de ceux officiant uniquement dans le mainstream, sont majoritairement bisexuels. Coïncidence ? Je ne pense pas. Sans doute ont-ils compris que la masculinité ne se limitait pas à une capacité à bander et qu’il n’y avait rien de déshonorant à mettre sa bite un instant de côté le temps de faire jouir sa partenaire.
1. Ce rapport basé sur des milliers de témoignages démontre par une analyse statistique que la plupart des Américaines ne parviennent à l’orgasme que par la masturbation.
2. À titre d’exemple, la plateforme de porno gratuit Pornhub propose 45 000 vidéos « anal », 30 000 « blowjob », et seulement 3 000 malheureux « pussy licking ».
3. Pornhub rapporte qu’en 2014 24 % des visiteurs du monde entier étaient des femmes. Cette proportion varie de 17 % pour le Japon à 44 % pour la Jamaïque. La France serait dans la moyenne mondiale à 24 %, loin derrière la très catholique Pologne (29 %) ou la très féministe libérale Suède (29 %), deux pays paradoxalement radicalement antiporno !
4. En référence au « Merci qui ? Merci Jacquie et Michel » que répètent ad nauseam les filles sur les vidéos du site porno amateur français Jacquie & Michel.