Si la PMA pour toutes se fait désirer, les familles homoparentales n’ont pas attendu d’avoir le droit pour exister. Mais dans une société encline au soupçon, les lesbiennes doivent vivre avec la pression d’être des mamans modèles.
![Mères lesbiennes : pas d'autre choix que d’être exemplaires? 1 Capture d’écran 2021 05 10 à 17.50.18](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2021/05/Capture-d’écran-2021-05-10-à-17.50.18.jpg)
et son fils de deux ans © Matergouinité
Quand Elsa a expliqué qu’elle voulait un enfant avec sa compagne, ses parents ont mal réagi. « Ça avait été compliqué à l'adolescence, au moment de mon coming out, mais ça allait mieux avec les années. Avec l’annonce de notre enfant à venir, on est reparti en arrière. » La jeune femme n’a pas porté sa fille, et ses parents ont considéré que c’était l’enfant de sa compagne et pas le sien. Six ans plus tard, ils soutiennent sa famille, mais Elsa n’a pas cessé de se questionner : « J’ai eu beaucoup à coeur de leur montrer que je n’étais pas seulement une bonne mère mais une mère géniale, j’ai fait des pieds et des mains pour prouver ma légitimité. »
« J’ai l’impression qu’on a moins le droit à l’erreur que les autres. Le moindre faux pas peut être mis sur le compte du fait qu’on est deux mamans. » Aurélie et Eugénie, la trentaine, n’ont encore jamais été confrontées à une désapprobation explicite. Pourtant, à l’instar de nombreux couples de femmes qui élèvent des enfants, c’est une question qui leur trotte toujours à l’arrière de la tête. « On s’est toujours mis la pression, on s’est toujours dit il faut qu’on assure, il faut qu’on soit au top », témoigne une autre maman.
Regards scructateurs sur l'enfant
Pour Joseph Agostini, porte-parole de l’association Psygay, qui rassemble des psychologues LGBT-friendly, si la société dans son ensemble tend à accepter la diversité des orientations sexuelles, « l’homosexualité en tant que stigmate existe dans le regard que l’on porte sur les parents. Quand il y a un enfant, les gens s’autorisent une forme de vigilance sociale. » Cela peut être des grands-parents qui ont toléré l’orientation sexuelle de leur fille mais considèrent que leurs petits-enfants ont besoin d’un suivi psychologique. Une enseignante qui demande sans malveillance s’il y a « assez d’autorité » à la maison. Ou bien le regard scrutateur posé sur un enfant. Le fils d’Aurélie et d’Eugénie vient d’être diagnostiqué « dys » et le couple redoute le jour où quelqu’un attribuera ces difficultés à sa famille atypique. « Alors que ça ne viendrait à l’idée de personne de dire que l’hétérosexualité peut générer des troubles ! », pointe Joseph Agostini. Pour les couples homoparentaux, « c’est une assignation pathologique, poursuit-il, ils sont assignés à montrer patte blanche. »
Le rejet peut venir des proches comme de l’extérieur. Anastasia est mariée depuis trois ans, son fils est né en décembre 2019 après un parcours de PMA “idéal” et très bien accompagné. La douche froide est survenue lors de l’inscription à la crèche. Au moment de fournir ses coordonnées, l’employé chargé de l’enregistrement a insisté pour avoir des informations sur le père. Quand Anastasia a expliqué la situation, elle s’est vu répondre qu’il fallait indiquer un papa « dans les cases, pour monter un dossier ». Simple obstacle bureaucratique ? Cette trentenaire parisienne ne l’a pas ressenti ainsi : « C’était clairement de la mauvaise volonté. » Elle a dû finir par inscrire son fils en tant que mère célibataire.
Aurélie G., mariée et maman de deux petites filles, affirme n’avoir jamais vécu de rejet franc. La pression qu’elle se met à être « au top » vient pour elle du regard extérieur posé sur sa famille. « Tout ce qu’on s’est pris dans la figure avec la Manif pour tous, ça nous a montré qu’il y a encore une grande partie de la société qui pense encore qu’une famille comme la nôtre, ce n’est pas bien pour un enfant, ça ne doit pas exister. » Lors des débats sur le mariage, en 2013, le couple venait d’accueillir son premier enfant. « On était sur notre nuage et ça nous a bien fait redescendre sur terre. Là, on s’est dit qu’il allait falloir faire nos preuves. » Lesbienne et maman célibataire, Dinah a eu ses deux enfants toute seule, via une PMA artisanale. La lenteur du progrès social la frustre et l’inquiète. Elle évoque La Servante Écarlate, roman de Margaret Atwood adapté en série, une dystopie dans laquelle les femmes sont asservies sous une dictature théocratique. « Je me dis qu’au moindre changement politique, on peut m’enlever mes enfants. On ne peut jamais être tout à fait tranquille. »
Les stigmates de la Manif pour tous
La Manif pour tous a laissé des traces. Selon la sociologue du genre Gabrielle Richard, qui prépare un ouvrage sur les parentalités queers, le contexte français a ceci de spécifique que la parole anti-familles homoparentales y est plus libérée. La chercheuse a travaillé au Québec avant d’arriver en France. Elle constate une tendance chez certains médias à mettre en scène ce discours dans le cadre du débat, « en mettant d’un côté des mères lesbiennes qui cherchent à acquérir des droits, et de l’autre, quelqu’un qui a une posture homophobe, en présumant que les deux méritent le même temps d’écran et la même visibilité. »
En l’absence de législation favorable, le parcours d’obstacles de la PMA rappelle dès le départ aux couples qu’ils ne sont pas considérés comme les autres. Sans filiation automatique, la mère qui n’a pas porté l’enfant doit l’adopter. « Ça a été pénible pour nous », se souvient Lucie, mère d’une petite fille de cinq ans, très engagée auprès de l’Association des parents gays et lesbiens (APGL). Après un an d’attente, une fois la procédure bouclée, son épouse et elle se sont rendu compte d’à quel point l’inquiétude leur avait pesé. Cette enseignante de 44 ans ne pouvait prendre la route pour des jurys d’examens sans penser à ce qui arriverait si elle avait un accident. Les démarches sont parfois envahissantes : il faut réunir des preuves, des témoignages, et, en fonction du tribunal, se soumettre à une visite des services sociaux ou une enquête de voisinage. « C’est une nouvelle épreuve d’adopter l’enfant qu’on élève depuis trois ans, dit Aurélie G. Il faut prouver qu’on est sa mère, c’est très bizarre. »
Symboles malgré elles d’un modèle atypique, les mamans lesbiennes ont conscience qu’elles portent une charge de représentation. Mère d’une petite fille en CP, Elsa remarque une forme d’ambivalence dans sa manière d’envisager sa famille. « A priori, je n’ai rien à faire du regard des autres… Mais je suis représentante des parents d’élèves à l’école. J’y ai absolument tenu depuis le début pour pouvoir mettre mon grain de sel, vérifier que tout aille bien niveau homophobie, et en même temps, bien représenter les familles homoparentales. » Cadre dans une salle de spectacle parisienne, elle se décrit comme plutôt féminine et constate que ces caractéristiques sociales « rassurent les gens ». Le fait de cumuler certains privilèges lui facilite la tâche : « j’essaie d’en profiter pour me faire entendre. Et j’observe que je suis entendue. »
Se fondre dans la norme
Anastasia a toujours voulu suivre les étapes d’un parcours « classique ». Avant d’avoir un enfant, « on s’est mariées, on a acheté un appartement. » La jeune femme ne veut pas que son fils « cumule » ; « qu’en plus d’avoir l’étiquette “mamans lesbiennes”, on nous reproche de ne pas l’avoir éduqué de manière traditionnelle. » Anastasia a conscience que ses choix sont dictés par une forme de pression sociale : « je pense qu’il faut arrêter de dire que la société accepte que l’on ait des enfants, elle le tolère. » Mais elle veut préserver son fils.
La sociologue Gabrielle Richard observe que la plupart des couples homoparentaux naviguent constamment entre des injonctions contradictoires. Il y a selon elle un « équilibre » que ces familles essaient de maintenir. D’un côté, « ce qu’on veut faire à une société conformiste, avec un modèle parental qui vient questionner le modèle familial hétéronormatif. Puis d’un autre côté, comme il y a des enfants en jeu, comme on veut les protéger, il y a l’idée de se conformer à ce modèle dominant. » Les mères lesbiennes sont confrontées à cette ambiguïté : revendiquer sa marginalité, sa famille, et en même temps, se fondre dans ce que la société présente comme la norme.
Plus qu’une pression, Agnès, 48 ans et maman d’un petit garçon de quatre ans, voit une forme de liberté dans la maternité lesbienne. « Comme on n’a pas de rôles très définis par la société, on peut être les parents qui nous conviennent le mieux, qui correspondent à notre caractère. On est deux individus et on est parents. L’enfant comprend qu’il a en face de lui deux adultes avec des personnalités différentes. » Sans avoir à correspondre à ce qui est attendu du père ou de la mère, Agnès et son épouse peuvent inventer l’équilibre qui leur correspond.Inventer de nouvelles manières d’être mère, c’est l’objectif que se donne le compte Instagram Matergouinité. Ses créatrices, Lisa, mère d’un petit garçon, et sa colocataire Elsa, veulent « casser les stéréotypes de la maternité féminine et montrer que chez les mères lesbiennes, il y a aussi des butches, des femmes tatouées… » Elles publient des photos de familles assorties d’une réflexion nourrie de textes autour de la maternité lesbienne et féministe. Pour Elsa, il est « pénible d’être toujours renvoyée à une forme de justification. C’est déshumanisant de devoir prouver sa valeur. C’est quelque chose que les militantes ont beaucoup dû faire ces dernières années, car on voulait obtenir des droits. Je ne remets pas en cause cette stratégie mais c’est bien que d’autres discours puissent exister. » En exposant la diversité des familles, les deux femmes veulent extirper la maternité du foyer, où elle est bien souvent cantonnée, pour mettre en lumière sa dimension profondément politique.