Mères les­biennes : pas d'autre choix que d’être exemplaires ?

Si la PMA pour toutes se fait dési­rer, les familles homo­pa­ren­tales n’ont pas atten­du d’avoir le droit pour exis­ter. Mais dans une socié­té encline au soup­çon, les les­biennes doivent vivre avec la pres­sion d’être des mamans modèles.

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Lisa, créa­trice du compte Instagram Matergouinité
et son fils de deux ans © Matergouinité

Quand Elsa a expli­qué qu’elle vou­lait un enfant avec sa com­pagne, ses parents ont mal réagi. « Ça avait été com­pli­qué à l'adolescence, au moment de mon coming out, mais ça allait mieux avec les années. Avec l’annonce de notre enfant à venir, on est repar­ti en arrière. » La jeune femme n’a pas por­té sa fille, et ses parents ont consi­dé­ré que c’était l’enfant de sa com­pagne et pas le sien. Six ans plus tard, ils sou­tiennent sa famille, mais Elsa n’a pas ces­sé de se ques­tion­ner : « J’ai eu beau­coup à coeur de leur mon­trer que je n’étais pas seule­ment une bonne mère mais une mère géniale, j’ai fait des pieds et des mains pour prou­ver ma légi­ti­mi­té. »

« J’ai l’impression qu’on a moins le droit à l’erreur que les autres. Le moindre faux pas peut être mis sur le compte du fait qu’on est deux mamans. » Aurélie et Eugénie, la tren­taine, n’ont encore jamais été confron­tées à une désap­pro­ba­tion expli­cite. Pourtant, à l’instar de nom­breux couples de femmes qui élèvent des enfants, c’est une ques­tion qui leur trotte tou­jours à l’arrière de la tête. « On s’est tou­jours mis la pres­sion, on s’est tou­jours dit il faut qu’on assure, il faut qu’on soit au top », témoigne une autre maman. 

Regards scruc­ta­teurs sur l'enfant

Pour Joseph Agostini, porte-​parole de l’association Psygay, qui ras­semble des psy­cho­logues LGBT-​friendly, si la socié­té dans son ensemble tend à accep­ter la diver­si­té des orien­ta­tions sexuelles, « l’homosexualité en tant que stig­mate existe dans le regard que l’on porte sur les parents. Quand il y a un enfant, les gens s’autorisent une forme de vigi­lance sociale. » Cela peut être des grands-​parents qui ont tolé­ré l’orientation sexuelle de leur fille mais consi­dèrent que leurs petits-​enfants ont besoin d’un sui­vi psy­cho­lo­gique. Une ensei­gnante qui demande sans mal­veillance s’il y a « assez d’autorité » à la mai­son. Ou bien le regard scru­ta­teur posé sur un enfant. Le fils d’Aurélie et d’Eugénie vient d’être diag­nos­ti­qué « dys » et le couple redoute le jour où quelqu’un attri­bue­ra ces dif­fi­cul­tés à sa famille aty­pique. « Alors que ça ne vien­drait à l’idée de per­sonne de dire que l’hétérosexualité peut géné­rer des troubles ! », pointe Joseph Agostini. Pour les couples homo­pa­ren­taux, « c’est une assi­gna­tion patho­lo­gique, poursuit-​il, ils sont assi­gnés à mon­trer patte blanche. »

Le rejet peut venir des proches comme de l’extérieur. Anastasia est mariée depuis trois ans, son fils est né en décembre 2019 après un par­cours de PMA “idéal” et très bien accom­pa­gné. La douche froide est sur­ve­nue lors de l’inscription à la crèche. Au moment de four­nir ses coor­don­nées, l’employé char­gé de l’enregistrement a insis­té pour avoir des infor­ma­tions sur le père. Quand Anastasia a expli­qué la situa­tion, elle s’est vu répondre qu’il fal­lait indi­quer un papa « dans les cases, pour mon­ter un dos­sier ». Simple obs­tacle bureau­cra­tique ? Cette tren­te­naire pari­sienne ne l’a pas res­sen­ti ain­si : « C’était clai­re­ment de la mau­vaise volon­té. » Elle a dû finir par ins­crire son fils en tant que mère célibataire. 

Aurélie G., mariée et maman de deux petites filles, affirme n’avoir jamais vécu de rejet franc. La pres­sion qu’elle se met à être « au top » vient pour elle du regard exté­rieur posé sur sa famille. « Tout ce qu’on s’est pris dans la figure avec la Manif pour tous, ça nous a mon­tré qu’il y a encore une grande par­tie de la socié­té qui pense encore qu’une famille comme la nôtre, ce n’est pas bien pour un enfant, ça ne doit pas exis­ter. » Lors des débats sur le mariage, en 2013, le couple venait d’accueillir son pre­mier enfant. « On était sur notre nuage et ça nous a bien fait redes­cendre sur terre. Là, on s’est dit qu’il allait fal­loir faire nos preuves. » Lesbienne et maman céli­ba­taire, Dinah a eu ses deux enfants toute seule, via une PMA arti­sa­nale. La len­teur du pro­grès social la frustre et l’inquiète. Elle évoque La Servante Écarlate, roman de Margaret Atwood adap­té en série, une dys­to­pie dans laquelle les femmes sont asser­vies sous une dic­ta­ture théo­cra­tique. « Je me dis qu’au moindre chan­ge­ment poli­tique, on peut m’enlever mes enfants. On ne peut jamais être tout à fait tran­quille. »

Les stig­mates de la Manif pour tous

La Manif pour tous a lais­sé des traces. Selon la socio­logue du genre Gabrielle Richard, qui pré­pare un ouvrage sur les paren­ta­li­tés queers, le contexte fran­çais a ceci de spé­ci­fique que la parole anti-​familles homo­pa­ren­tales y est plus libé­rée. La cher­cheuse a tra­vaillé au Québec avant d’arriver en France. Elle constate une ten­dance chez cer­tains médias à mettre en scène ce dis­cours dans le cadre du débat, « en met­tant d’un côté des mères les­biennes qui cherchent à acqué­rir des droits, et de l’autre, quelqu’un qui a une pos­ture homo­phobe, en pré­su­mant que les deux méritent le même temps d’écran et la même visi­bi­li­té. »

En l’absence de légis­la­tion favo­rable, le par­cours d’obstacles de la PMA rap­pelle dès le départ aux couples qu’ils ne sont pas consi­dé­rés comme les autres. Sans filia­tion auto­ma­tique, la mère qui n’a pas por­té l’enfant doit l’adopter. « Ça a été pénible pour nous », se sou­vient Lucie, mère d’une petite fille de cinq ans, très enga­gée auprès de l’Association des parents gays et les­biens (APGL). Après un an d’attente, une fois la pro­cé­dure bou­clée, son épouse et elle se sont ren­du compte d’à quel point l’inquiétude leur avait pesé. Cette ensei­gnante de 44 ans ne pou­vait prendre la route pour des jurys d’examens sans pen­ser à ce qui arri­ve­rait si elle avait un acci­dent. Les démarches sont par­fois enva­his­santes : il faut réunir des preuves, des témoi­gnages, et, en fonc­tion du tri­bu­nal, se sou­mettre à une visite des ser­vices sociaux ou une enquête de voi­si­nage. « C’est une nou­velle épreuve d’adopter l’enfant qu’on élève depuis trois ans, dit Aurélie G. Il faut prou­ver qu’on est sa mère, c’est très bizarre. »

Symboles mal­gré elles d’un modèle aty­pique, les mamans les­biennes ont conscience qu’elles portent une charge de repré­sen­ta­tion. Mère d’une petite fille en CP, Elsa remarque une forme d’ambivalence dans sa manière d’envisager sa famille. « A prio­ri, je n’ai rien à faire du regard des autres… Mais je suis repré­sen­tante des parents d’élèves à l’école. J’y ai abso­lu­ment tenu depuis le début pour pou­voir mettre mon grain de sel, véri­fier que tout aille bien niveau homo­pho­bie, et en même temps, bien repré­sen­ter les familles homo­pa­ren­tales. » Cadre dans une salle de spec­tacle pari­sienne, elle se décrit comme plu­tôt fémi­nine et constate que ces carac­té­ris­tiques sociales « ras­surent les gens ». Le fait de cumu­ler cer­tains pri­vi­lèges lui faci­lite la tâche : « j’essaie d’en pro­fi­ter pour me faire entendre. Et j’observe que je suis enten­due. »

Se fondre dans la norme

Anastasia a tou­jours vou­lu suivre les étapes d’un par­cours « clas­sique ». Avant d’avoir un enfant, « on s’est mariées, on a ache­té un appar­te­ment. » La jeune femme ne veut pas que son fils « cumule » ; « qu’en plus d’avoir l’étiquette “mamans les­biennes”, on nous reproche de ne pas l’avoir édu­qué de manière tra­di­tion­nelle. » Anastasia a conscience que ses choix sont dic­tés par une forme de pres­sion sociale : « je pense qu’il faut arrê­ter de dire que la socié­té accepte que l’on ait des enfants, elle le tolère. » Mais elle veut pré­ser­ver son fils.

La socio­logue Gabrielle Richard observe que la plu­part des couples homo­pa­ren­taux naviguent constam­ment entre des injonc­tions contra­dic­toires. Il y a selon elle un « équi­libre » que ces familles essaient de main­te­nir. D’un côté, « ce qu’on veut faire à une socié­té confor­miste, avec un modèle paren­tal qui vient ques­tion­ner le modèle fami­lial hété­ro­nor­ma­tif. Puis d’un autre côté, comme il y a des enfants en jeu, comme on veut les pro­té­ger, il y a l’idée de se confor­mer à ce modèle domi­nant. » Les mères les­biennes sont confron­tées à cette ambi­guï­té : reven­di­quer sa mar­gi­na­li­té, sa famille, et en même temps, se fondre dans ce que la socié­té pré­sente comme la norme. 

Plus qu’une pres­sion, Agnès, 48 ans et maman d’un petit gar­çon de quatre ans, voit une forme de liber­té dans la mater­ni­té les­bienne. « Comme on n’a pas de rôles très défi­nis par la socié­té, on peut être les parents qui nous conviennent le mieux, qui cor­res­pondent à notre carac­tère. On est deux indi­vi­dus et on est parents. L’enfant com­prend qu’il a en face de lui deux adultes avec des per­son­na­li­tés dif­fé­rentes. » Sans avoir à cor­res­pondre à ce qui est atten­du du père ou de la mère, Agnès et son épouse peuvent inven­ter l’équilibre qui leur correspond.Inventer de nou­velles manières d’être mère, c’est l’objectif que se donne le compte Instagram Matergouinité. Ses créa­trices, Lisa, mère d’un petit gar­çon, et sa colo­ca­taire Elsa, veulent « cas­ser les sté­réo­types de la mater­ni­té fémi­nine et mon­trer que chez les mères les­biennes, il y a aus­si des butches, des femmes tatouées… » Elles publient des pho­tos de familles assor­ties d’une réflexion nour­rie de textes autour de la mater­ni­té les­bienne et fémi­niste. Pour Elsa, il est « pénible d’être tou­jours ren­voyée à une forme de jus­ti­fi­ca­tion. C’est déshu­ma­ni­sant de devoir prou­ver sa valeur. C’est quelque chose que les mili­tantes ont beau­coup dû faire ces der­nières années, car on vou­lait obte­nir des droits. Je ne remets pas en cause cette stra­té­gie mais c’est bien que d’autres dis­cours puissent exis­ter. » En expo­sant la diver­si­té des familles, les deux femmes veulent extir­per la mater­ni­té du foyer, où elle est bien sou­vent can­ton­née, pour mettre en lumière sa dimen­sion pro­fon­dé­ment politique.

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