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Une jeune fille placée dans un hôtel social parisien. Capture d'écran "Zone interdite", M6.

Familles d’accueil, foyers, hôtels sociaux : “Zone inter­dite” épingle les ter­ribles défaillances de la pro­tec­tion de l’enfance

Deux ans après son pre­mier docu­men­taire sur le sujet, le maga­zine de M6 a de nou­veau enquê­té sur les struc­tures de l’Aide sociale à l’enfance. Prostitution de mineures pla­cées en foyer, adolescent·es livré·es à eux-​mêmes dans des hôtels sociaux lugubres et pla­ce­ments en familles d’accueil sans véri­fi­ca­tions… le repor­tage, dif­fu­sé dimanche soir et dis­po­nible en replay, fait froid dans le dos.

Pendant une heure trente, les situa­tions dra­ma­tiques se suc­cèdent à l'écran. Deux ans après avoir jeté un pavé dans la mare en révé­lant les nom­breuses défaillances de la pro­tec­tion de l’enfance, Zone inter­dite a remis le cou­vert ce dimanche soir sur M6. Intitulé « Familles, d’accueil, hôtels sociaux : le nou­veau scan­dale des enfants pla­cés », le numé­ro inédit du maga­zine plon­geait de nou­veau au cœur d’un sys­tème plus que chan­ce­lant. Cet épi­sode a été inté­gra­le­ment réa­li­sé en camé­ra cachée, les jour­na­listes s'étant fait·es embauché·es comme éducateur·rices.

En France, l’Aide sociale à l’enfance (ASE) a pour mis­sion de pla­cer et de pro­té­ger les enfants en dan­ger avec pour objec­tif de les faire gran­dir en toute sécu­ri­té. Une poli­tique publique confiée aux dépar­te­ments et qui concerne actuel­le­ment 170 000 enfants sur tout le ter­ri­toire. Mais der­rière les chiffres et la théo­rie existent nombre de dys­fonc­tion­ne­ments dont pâtissent ces enfants, ain­si que le montre cette enquête menée pen­dant un an.

Isolement et délaissement

La camé­ra cachée a par exemple sui­vi le quo­ti­dien sor­dide de Camille, une jeune fille de 15 ans. Livrée à elle-​même, elle est héber­gée depuis des mois – faute de place en éta­blis­se­ment – dans un hôtel social pari­sien lugubre. Elle ne va plus en cours et ne sort qua­si plus de sa chambre, dont l’unique fenêtre est obs­truée par une armoire mas­sive cen­sée l’empêcher de sau­ter. La camé­ra filme sa détresse psy­cho­lo­gique, les crises de bou­li­mie qui en découlent, l’impuissance des éducateur·trices chargé·es de la sur­veiller et sur­tout l’indifférence de sa réfé­rente ASE lors d’une de ses rares visites. L’un des éducateur·rices filmé·es en camé­ra caché parle même d’une « mal­trai­tance ins­ti­tu­tion­nelle ».

Au total, selon la voix off, ce sont encore 10 000 mineur·es qui seraient logé·es dans ces éta­blis­se­ments aux condi­tions bien sou­vent insa­lubres. La loi Taquet, adop­tée par le Parlement en février der­nier, inter­dit pour­tant le pla­ce­ment des enfants dans ces hôtels. Dans un rap­port publié en jan­vier 2021, l’Inspection géné­rale des affaires sociales (Igas) sou­li­gnait ain­si les « dan­gers » que repré­sente l’hébergement en hôtel : faible contrôle de la qua­li­té des lieux d’accueil, pro­mis­cui­té, iso­le­ment, faible surveillance. 

« Choquée » par ces images, la secré­taire d’État à la Protection de l’enfance Charlotte Caubel a affir­mé dans un entre­tien avec la pré­sen­ta­trice de Zone inter­dite Ophélie Meunier à l’issue du repor­tage que l’interdiction des recours aux hôtels serait bien­tôt effec­tive. Celle qui suc­cède à Adrien Taquet a évo­qué « une période tran­si­toire d’un an à comp­ter de l’entrée en vigueur de cette loi » ain­si que la néces­si­té de construire de nou­veaux foyers.

Impuissance des professionnel·les 

Les foyers, eux aus­si, ont été pas­sés au crible. La camé­ra de Zone inter­dite s’est infil­trée dans deux éta­blis­se­ments qui accueillent des mineur·es en Seine-​Saint-​Denis. Dans le pre­mier, qui hébergent des jeunes filles, les pro­fes­sion­nelles du foyer sont confron­tées depuis quelques mois à un phé­no­mène alar­mant : la pros­ti­tu­tion de ces mineures. Véritables proies pour les proxé­nètes, elles s’échappent du foyer toutes les nuits pour se pros­ti­tuer. Et rien ne semble être fait par l’ASE pour les pro­té­ger. Impuissantes et désa­bu­sées, les pro­fes­sion­nelles se contentent de rap­pe­ler l’interdiction des fugues de plus de trois jours, sous peine de mettre fin à la prise en charge. 

Et puis, il y a cette scène ahu­ris­sante lorsqu’une jeune fille âgée de 15 ans demande, inquiète, à la jour­na­liste infil­trée de lui four­nir un test de gros­sesse, car elle n’a pas ses règles depuis deux mois. L’une des édu­ca­trices pré­sente lui répond dans une totale indif­fé­rence que « peut-​être » elle en aurait un le len­de­main sans lui poser davan­tage de ques­tions ou s’inquiéter de son état. 

Renforcer les contrôles

Dans un autre foyer, tou­jours en Seine-​Saint-​Denis, où l’équipe de Zone inter­dite avait tour­né en 2020, les choses se sont amé­lio­rées depuis cette pre­mière dif­fu­sion. Les murs décré­pis ont été repeints, un par­cours de san­té a été mis en place dans le jar­din et contrai­re­ment à la fois pré­cé­dente, les jeunes se lèvent tous avant midi. Mais ce n’est pas pour se rendre au lycée qu’ils mettent des réveils. Ces jeunes se lèvent tôt pour « faire le chouf » (faire de la sur­veillance pour les dea­lers de drogue) dans la cité voi­sine. Face à cela, l’éducateur inter­ro­gé par le jour­na­liste infil­tré répond que de toute façon, « il n’a rien à leur pro­po­ser » comme activités. 

Pour lut­ter contre ces dys­fonc­tion­ne­ments, la secré­taire d'État Charlotte Caubel envi­sage de ren­for­cer les contrôles sur ces ins­ti­tu­tions. « J’ai la convic­tion que l’État doit remettre les pieds dans cette poli­tique qui est por­tée par les dépar­te­ments », soutient-​elle en pré­ci­sant que plu­sieurs dizaines de per­sonnes vont être recru­tées pour ren­for­cer les contrôles sur ces établissements.

Embauches sans contrôle 

Dans son enquête, Zone inter­dite s’est aus­si inté­res­sée aux dys­fonc­tion­ne­ments du recru­te­ment des familles d’accueil, maillons pour­tant essen­tiels de la pro­tec­tion de l’enfance, ou des éducateur·rices. Deux jour­na­listes ont par exemple fil­mé en camé­ra cachée leur embauche sans le moindre contrôle des ser­vices de l’ASE sur leurs anté­cé­dents, ou même sur leur iden­ti­té. « Cette situa­tion ne peut plus exis­ter », a com­men­té Charlotte Caubel à l’issue de l’émission, en évo­quant un plan d’action. 

La secré­taire d’État a notam­ment pré­ci­sé que les éducateur·rices et les familles d’accueil ver­ront désor­mais leurs anté­cé­dents judi­ciaires sys­té­ma­ti­que­ment contrô­lés avant de se voir confier des enfants. Une mesure pré­vue dans la loi Taquet qui s’appliquera dès le 1er novembre, a annon­cé Charlotte Caubel. Tout·te professionnel·le au contact d’un enfant, mais éga­le­ment tout béné­vole dans son entou­rage – par exemple le·la conjoint·e d’un·e accueillant·e familial·e, ou ses enfants de plus de 13 ans – devront éga­le­ment faire l’objet « régu­liè­re­ment » de contrôles, a‑t-​elle ajou­té. L’heure presse, en témoigne la phrase gla­çante pro­non­cée par une res­pon­sable d’association devant la camé­ra : « On pour­rait mettre [les enfants] à la cave avec des chaînes, l’ASE n’en sau­rait rien. »

Familles, d’accueil, hôtels sociaux : le nou­veau scan­dale des enfants pla­cés, un docu­men­taire de Zone inter­dite à voir en replay sur 6play,fr

Lire aus­si I Placements abu­sifs d’enfants : le cal­vaire des familles

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