Congé pater­ni­té : laissez-​moi pouponner !

Ils atten­daient qu’on leur tende la perche. À la suite de notre appel à témoi­gnages sur le congé paternité,des dizaines d’hommes nous ont écrit pour nous dire leur frus­tra­tion quant à ces jours d’autarcie trop brève avec leur conjointe et ce nou­vel être qui venait de faire irrup­tion dans leurs vies. Comment appri­voi­ser, en un éclair, ce divin enfant et ce nou­veau rôle de père avant de repar­tir au boulot ? 

swedish dads06 cmjn
© Johan Bavman

« Après l’accouchement com­pli­qué de ma femme, je me suis sen­ti seul, inca­pable et igno­rant. Participer aux écho­gra­phies, aux cours de pré­pa­ra­tion, lire des articles, faire de l’haptonomie ne m’avait pas suf­fi­sam­ment pré­pa­ré », raconte Richard, 31 ans. Cet habi­tant de Boucoiran-​et-​Nozières (Gard) a, à la nais­sance de son enfant, cumu­lé son congé pater­ni­té avec deux semaines de vacances, une astuce bien répan­due chez les pères qui nous ont contac­tées. « Il me fal­lait apprendre à connaître notre fille, ses peurs, ses joies, ses dou­leurs, ses besoins. Apprendre aus­si à connaître ma femme deve­nue mère. Ce temps pas­sé m’a per­mis d’apporter le maxi­mum de choses à mon enfant (éveil, ali­men­ta­tion, soin…). Il m’a aus­si per­mis de m’apercevoir que, jusqu’à l’arrivée de ma fille, je me repo­sais incons­ciem­ment sur mon épouse. Et c’est grâce à tout cela que je suis (enfin) deve­nu le père de ma fille. » 

Un néo-​daron sou­hai­tant s’impliquer et pas très sûr de savoir bien faire, c’est le pro­fil type des témoi­gnages qui ont afflué vers nous. Et pour ceux-​là, ces onze jours de congé pater­ni­té 1 cumu­lés à trois de congé de nais­sance 2 sont certes trop courts, mais en plus mal fichus : « Comme je suis prof, j’avais anti­ci­pé pour poser les trois jours de nais­sance juste avant la date de terme indi­quée, de façon à me faire rem­pla­cer, explique Julien, 36 ans. Et bien sûr, je n’avais pas visé juste, ma femme a accou­ché deux semaines avant. » Pour ce Breton, le dés­équi­libre entre son congé pater­ni­té et le congé mater­ni­té de sa conjointe a par la suite créé, mal­gré ses meilleures inten­tions, un pro­fond fos­sé de charge men­tale : « Par la force des choses, elle s’est occu­pée de tout durant deux mois, et nous sommes arri­vés à un point où je ne connais­sais même pas le nom de la mutuelle où elle avait ins­crit notre fille. » 

Sacrifice finan­cier

Alors que les pères sont très vite rat­ta­chés à la vie active, les mères, elles, se retrouvent seules à la mai­son : « Lorsqu’il est retour­né tra­vailler, je me suis sen­tie très seule et je n’étais pas du tout sereine, raconte Sybille, ingé­nieure de 27 ans habi­tant le Cher. À l’hôpital, je ne pou­vais pas sor­tir de mon lit, c’est donc lui qui a recueilli tous les conseils dis­pen­sés par la sage-​femme et m’a tout appris. Au diable, l’instinct mater­nel ! Ce lien s’est mis en place plus tard, à force d’être 24 heures sur 24 avec ma fille. Pour lui, comme il a vite repris le bou­lot, ça a pris plus de temps. » 

De fait, beau­coup de pères se posent la ques­tion du congé paren­tal 3, mais cela demande un sacri­fice finan­cier que peu de familles peuvent se per­mettre, les allo­ca­tions ver­sées n’excédant pas 600 euros – sous condi­tions de res­sources. « Avec nos deux salaires équi­va­lents d’environ 1 800 euros, il nous était impos­sible de perdre presque la moi­tié de nos reve­nus, déplore Simon, 33 ans, et de conti­nuer avec le mode de vie auquel nous tenons (gar­der notre loge­ment à Aix-​en-​Provence, notre alimentation…). »

Dans ce contexte, jouer les pro­lon­ga­tions res­semble sou­vent à un pied de nez fait à son employeur. Pour son deuxième enfant, Antoine A. réflé­chit actuel­le­ment à prendre un congé paren­tal de six mois. « Je n’ai pas eu la pro­mo­tion que j’espérais après cinq ans de boîte. Ma femme m’a donc inci­té à le prendre, elle s’éclate au bou­lot et je pense qu’elle n’avait pas envie de refaire un break. Pour le pre­mier, elle était res­tée à la mai­son, main­te­nant, c’est à moi de jouer. » Ce n’est pas la solu­tion la plus facile, c’est pour­quoi des papas trouvent des com­bines pour res­ter auprès du nou­veau venu : des arrêts mala­die don­nés par des pra­ti­ciens com­pré­hen­sifs, ou encore l’aménagement du temps de tra­vail après le congé pater­ni­té. Antoine B., 37 ans, cofon­da­teur d’une marque de vête­ments et rési­dant à Paris, a ain­si négo­cié un jour de télé­tra­vail par semaine pour s’occuper de son gar­çon. « Bon, du télé­tra­vail avec un nour­ris­son, c’est com­pli­qué. Mais je res­te­rai dis­po­nible », assure-​t-​il. S’il peut se le per­mettre, c’est parce qu’il est son propre patron. 

Le regard des patrons…et des collègues

Qu’un père déserte le bureau pour se consa­crer à ses enfants, voi­là qui est encore mal vu par quelques direc­tions. Dans les recom­man­da­tions à la fin de son étude de 2016 « Être père aujourd’hui », l’Union natio­nale des asso­cia­tions fami­liales (Unaf) pro­po­sait d’inverser la vapeur : « Certains métiers (ouvriers, employés) semblent par­ti­cu­liè­re­ment peu pro­pices à des adap­ta­tions de temps de tra­vail » pour qui sou­haite s’occuper de ses enfants. Et de dénon­cer une « culture » d’entreprise peu conci­liante avec la pater­ni­té. « Ma mana­ger a vu dans mon congé paren­tal la preuve que j’essayais de par­tir de la boîte », sou­pire Antoine A. Et par­fois, les décon­ve­nues ne sont pas là où on les atten­drait ! « Je tra­vaille dans les res­sources humaines d’une col­lec­ti­vi­té ter­ri­to­riale, un ser­vice dans lequel nous sommes cen­sés por­ter le dis­cours sur l’égalité femmes-​hommes, observe Cédric. Malgré ça, nous sommes expo­sés à des réflexions de la part de nos col­lègues contraires aux valeurs que nous sommes cen­sés pro­mou­voir. Par exemple, un homme doit sys­té­ma­ti­que­ment se jus­ti­fier pour prendre une jour­née enfant malade ou pour par­tir à 17 h 30 afin de récu­pé­rer les enfants à l’école. » Ou encore, dans un autre genre : « Je tra­vaille dans une scop, raconte Pierre. Lorsqu’un col­lègue non socié­taire a sou­mis sa demande de congé pater­ni­té, on lui a dit que la déci­sion serait prise par le groupe gérant les res­sources humaines. »

« Une héré­sie » encore pos­sible à cause de la loi, qui n’a jamais fait de ce congé une obli­ga­tion, contrai­re­ment au congé mater­ni­té. Et alors que se des­sine une réforme pour har­mo­ni­ser ce der­nier pour toutes les pro­fes­sions, il n’en est pas ques­tion pour celui des pères… Qui pour­tant le méri­te­rait ! Romain, 37 ans et inter­mit­tent à Pantin (Seine-​Saint-​Denis), nous a écrit depuis la mater­ni­té où se repose sa femme. « Dans mon métier, on ne signe pas de contrat à l’avance et tout repose sur le res­pect de la parole don­née. Mon enfant est arri­vé avant terme, et j’ai dû pré­ve­nir mes employeurs que je ne vien­drai fina­le­ment pas le len­de­main… Ils étaient tel­le­ment heu­reux pour moi qu’ils se sont débrouillés et m’ont dit de ne pas m’inquiéter. »

Si la terre ne s’arrête pas de tour­ner lors de ces grands impon­dé­rables de la vie, pour­quoi alors ne pas auto­ri­ser les hommes à prendre leur temps auprès de leur nouveau-​né ? Cela évi­te­rait durant les pre­miers mois de l’enfant quelques pro­blèmes de « concen­tra­tion » au tra­vail, terme qui revient sou­vent dans les mails que nous avons reçus. Cette période d’adaptation a même valu à Simon un « reca­drage du chef à la suite du retard accu­mu­lé ». Et c’est auprès de sa fille Zelie que se rêvait Charpy, 27 ans : « L’heure tour­nait très len­te­ment et je fai­sais des petites jour­nées pour la retrou­ver. C’était com­pli­qué, j’avais très peu de moti­va­tion. » Ils veulent être de bons pères, don­nez leur les moyens ! 

1. Pris dans son inté­gra­li­té par 49 % des pères d’un pre­mier enfant, 57 % pour un deuxième, 54 % pour un troi­sième, 47 % pour un qua­trième, selon une étude du Réseau natio­nal des obser­va­toires des familles (Unaf), de juin 2016.

2. Pris à 61 % lors du pre­mier enfant, 57 % lors du deuxième, 53 % lors du troi­sième et 50 % lors du qua­trième, selon la même étude de l’Unaf. 

3. Ce congé, d’un an maxi­mum, n’est pris que par 2 %
des hommes, selon une étude de l’Insee datée de 2010.

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.