Un compagnon de 1,80 m maqué à une petite fée fragile de 1,60 m. Le cliché a la vie dure dans les représentations du couple hétéro. Et d’après des études, ce sont les femmes qui tiennent le plus à cet écart de taille.
![Dans les couples hétéros, le stéréotype de l’homme plus grand a la vie dure 1 IMG 0573 1](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/01/IMG_0573-1-434x1024.jpg)
Un Nicolas Sarkozy tout sourire en Une de Paris Match début juillet, posant dans son jardin avec Carla Bruni blottie contre son épaule. Là, juste en dessous. Le visage pas plus haut que l’oreille de son mari. Sauf que… « Carla Bruni : 1,75 m. Nicolas Sarkozy : 1,66 m », tacle un internaute sur Twitter. C’est que monsieur était juché « sur une marche plus haute que son épouse », se défend l’hebdomadaire le lendemain. Mouais. Ce type de magouilles ne datent pas d’hier. Sur les timbres de l’époque de Charles et Lady Di, par exemple, une tête de différence au profit du prince, alors que Diana mesurait la même taille que lui. Et accrochez-vous pour trouver un cliché officiel où les époux sont à égalité.
Malheureusement, cette représentation stéréotypée selon laquelle un homme doit nécessairement être plus grand que la femme qu’il fréquente a la peau dure. Hélène, blondinette normande de 25 ans et 1,72 m, est heureuse en couple. Mais à cause de ses 4 centimètres de plus que Romain 1, son copain, elle aussi truque un peu ses photos. « La plupart du temps, je me baisse. Du coup, j’ai l’air bossue. Sinon, je fais en sorte d’être assise. Ça me gêne de prendre trop de place. » Par peur de détonner, elle a même « failli passer à côté » de son histoire d’amour.
« D’après les enquêtes 2, rapporte la sociologue du couple Marie Bergström, ce sont les femmes qui tiennent particulièrement à respecter l’écart de taille dans le couple. » Seulement la moitié d’entre elles déclare qu’elles « accepteraient facilement » être avec quelqu’un de 5 centimètres en moins, là où près de quatre hommes sur cinq n’ont pas de souci à sortir avec une femme de 5 centimètres plus grande qu’eux. « Ce n’est pas que les femmes veulent être dominées, précise-t-elle, mais la plupart se projettent dans un modèle où l’homme désirable est celui qui rassure, émotionnellement, socialement et parfois physiquement. »
Chloé 1, trentenaire aux fossettes dessinées, se dit, elle aussi, « atterrée » par son propre schéma. Mais c’est plus fort qu’elle. Les hommes en dessous de son 1,77 m ? « Ils sont hors jeu. Je n’arrive pas à me sentir attirée. J’ai peur d’être ridicule. » À propos de son époque Tinder (lire encadré), elle raconte : « Si le mec n’indiquait pas sa taille sur son profil, je cherchais des indices ; j’évaluais sa corpulence, je le comparais sur ses photos de groupe… Et au premier rendez-vous, j’appréhendais de tomber sur un petit et de faire tache. » Avoir l’air gauche ou encombrante, c’est la grande peur qu’évoquent les femmes grandes. Il faut dire qu’on nous a tellement répété de ne pas prendre trop de place. À table, dans la cour de récré, au travail. Alors si en plus c’est visible…
Grand frère rassurant/donzelle en détresse
En France, neuf couples hétéros sur dix se plient à la règle de la différence de taille 2. Selon le sociologue américain Philip Cohen, connu pour avoir dénoncé la supercherie des photos de Diana et Charles dans un Tweet en 2017 : « Comme les gens ont besoin de se prouver qu’ils correspondent bien à la norme de leur genre, ils mettent en valeur cet attribut visible dans leur couple. » Et qui déroge au modèle en bave.
L’expérience de Sylvain Duthu, chanteur du groupe Boulevard des airs, le confirme. Lorsque l’on tape son nom sur Google, « taille » est la première proposition qui apparaît. Réponse : 1,64 m. Il y a quelques années, il fréquente Caroline 1, 1,80 m. En féministe convaincu, il pense que cela ne posera pas de problème. Erreur. « Je me surprenais à marcher sur le trottoir pour être surélevé et la laisser marcher sur la route. On en rigolait, mais je pense qu’inconsciemment je voulais assurer cette image du mec fort, qui pouvait la protéger. »
On y est ! Le fameux modèle du sauveur, du soldat, du père ou du grand frère rassurant, où l’homme n’est valable que s’il couve une donzelle en détresse. Son miroir : celui de « la fille frêle et douce » auquel aimerait coller Hélène. « Ça ne me plaît pas de dire ça, mais moi quand tu me vois, tu ne te dis pas que Romain me cajole. Mes copines, elles, sont mignonnes et touchantes, car petites. »
Et pourquoi ce ne serait pas à nous de cajoler les hommes et de les protéger, d’abord ? « Mon hypothèse, avance Marie Bergström, c’est que la différence de taille fonctionne comme un rempart contre l’égalité des sexes. Dans un contexte où le statut des femmes s’est amélioré, où elles travaillent et occupent des fonctions de responsabilité, le couple hétérosexuel devient un lieu de réaffirmation des différences entre les sexes, comme un rempart. » Les travaux de l’anthropologue Priscille Touraille – controversés chez les convaincus de l’évolutionnisme, mais adoubés par la grande Françoise Héritier – vont dans le même sens. « En enquêtant sur les Baka du Cameroun, en 2009, j’ai réalisé que les couples où la femme est plus grande font symboliquement peur aux hommes. Je pense que ces couples matérialisent, visuellement, l’idée que la domination masculine est réversible. Pour les hommes baka, cette vision représente un risque que les femmes se pensent en position de dominer la société. À mon avis, ce mécanisme est aussi valable en Occident. » D’ailleurs, les grandes sont souvent sexualisées, associées à l’image du mannequin, et donc considérées comme des spécimens un peu trop puissants. « Quand j’étais avec Caro, se rappelle Sylvain, on me disait “ah, mon salaud”, sous-entendu : “tu te la pètes avec elle”. »
Pour contrer cette image, Hélène et Chloé ont renoncé aux talons. Plus grave, cela a même fait sombrer Hélène dans une période d’anorexie, à 22 ans. « Vu que j’étais plus grande que mon mec verticalement, je voulais me réduire horizontalement, explique-t-elle aujourd’hui. Mais Romain est là pour m’engueuler quand j’essaie de me rapetisser. Il me dit : “Fais-toi plus grande encore que tu ne l’es, lève le torse, tu es même plus belle comme ça.” »
Et si nous prenions tous un peu de hauteur sur cette histoire de taille, nous en ressortirions certainement grandis, non ?
1. Les prénoms ont été modifiés.
2. Enquête Épic, Ined-Insee, 2013–2014.
Cherche bel étalon
La taille est aujourd’hui une des informations non obligatoires la plus renseignée sur les sites de rencontre, d’après la sociologue du couple Marie Bergström. Sur Meetic, plus de neuf personnes sur dix (quel que soit le genre) le signalent spontanément. Selon les mecs, c’est à la demande des femmes. « Puisque ça a l’air de compter… », peut-on souvent lire à côté de l’étalon affiché. « J’en avais marre qu’on me le demande à chaque fois », témoigne Rémi, « 1,76 m », selon les premiers mots de son profil Tinder. Sa ville et son métier ne figurent qu’après.