Dans les couples hété­ros, le sté­réo­type de l’homme plus grand a la vie dure

Un com­pa­gnon de 1,80 m maqué à une petite fée fra­gile de 1,60 m. Le cli­ché a la vie dure dans les repré­sen­ta­tions du couple hété­ro. Et d’après des études, ce sont les femmes qui tiennent le plus à cet écart de taille. 

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© Marie Boiseau pour Causette

Un Nicolas Sarkozy tout sou­rire en Une de Paris Match début juillet, posant dans son jar­din avec Carla Bruni blot­tie contre son épaule. Là, juste en des­sous. Le visage pas plus haut que l’oreille de son mari. Sauf que… « Carla Bruni : 1,75 m. Nicolas Sarkozy : 1,66 m », tacle un inter­naute sur Twitter. C’est que mon­sieur était juché « sur une marche plus haute que son épouse », se défend l’hebdomadaire le len­de­main. Mouais. Ce type de magouilles ne datent pas d’hier. Sur les timbres de l’époque de Charles et Lady Di, par exemple, une tête de dif­fé­rence au pro­fit du prince, alors que Diana mesu­rait la même taille que lui. Et accrochez-​vous pour trou­ver un cli­ché offi­ciel où les époux sont à égalité. 

Malheureusement, cette repré­sen­ta­tion sté­réo­ty­pée selon laquelle un homme doit néces­sai­re­ment être plus grand que la femme qu’il fré­quente a la peau dure. Hélène, blon­di­nette nor­mande de 25 ans et 1,72 m, est heu­reuse en couple. Mais à cause de ses 4 cen­ti­mètres de plus que Romain 1, son copain, elle aus­si truque un peu ses pho­tos. « La plu­part du temps, je me baisse. Du coup, j’ai l’air bos­sue. Sinon, je fais en sorte d’être assise. Ça me gêne de prendre trop de place. » Par peur de déton­ner, elle a même « failli pas­ser à côté » de son his­toire d’amour. 

« D’après les enquêtes 2, rap­porte la socio­logue du couple Marie Bergström, ce sont les femmes qui tiennent par­ti­cu­liè­re­ment à res­pec­ter l’écart de taille dans le couple. » Seulement la moi­tié d’entre elles déclare qu’elles « accep­te­raient faci­le­ment » être avec quelqu’un de 5 cen­ti­mètres en moins, là où près de quatre hommes sur cinq n’ont pas de sou­ci à sor­tir avec une femme de 5 cen­ti­mètres plus grande qu’eux. « Ce n’est pas que les femmes veulent être domi­nées, précise-​t-​elle, mais la plu­part se pro­jettent dans un modèle où l’homme dési­rable est celui qui ras­sure, émo­tion­nel­le­ment, socia­le­ment et par­fois phy­si­que­ment. » 

Chloé 1, tren­te­naire aux fos­settes des­si­nées, se dit, elle aus­si, « atter­rée » par son propre sché­ma. Mais c’est plus fort qu’elle. Les hommes en des­sous de son 1,77 m ? « Ils sont hors jeu. Je n’arrive pas à me sen­tir atti­rée. J’ai peur d’être ridi­cule. » À pro­pos de son époque Tinder (lire enca­dré), elle raconte : « Si le mec n’indiquait pas sa taille sur son pro­fil, je cher­chais des indices ; j’évaluais sa cor­pu­lence, je le com­pa­rais sur ses pho­tos de groupe… Et au pre­mier rendez-​vous, j’appréhendais de tom­ber sur un petit et de faire tache. » Avoir l’air gauche ou encom­brante, c’est la grande peur qu’évoquent les femmes grandes. Il faut dire qu’on nous a tel­le­ment répé­té de ne pas prendre trop de place. À table, dans la cour de récré, au tra­vail. Alors si en plus c’est visible… 

Grand frère rassurant/​donzelle en détresse

En France, neuf couples hété­ros sur dix se plient à la règle de la dif­fé­rence de taille 2. Selon le socio­logue amé­ri­cain Philip Cohen, connu pour avoir dénon­cé la super­che­rie des pho­tos de Diana et Charles dans un Tweet en 2017 : « Comme les gens ont besoin de se prou­ver qu’ils cor­res­pondent bien à la norme de leur genre, ils mettent en valeur cet attri­but visible dans leur couple. » Et qui déroge au modèle en bave. 

L’expérience de Sylvain Duthu, chan­teur du groupe Boulevard des airs, le confirme. Lorsque l’on tape son nom sur Google, « taille » est la pre­mière pro­po­si­tion qui appa­raît. Réponse : 1,64 m. Il y a quelques années, il fré­quente Caroline 1, 1,80 m. En fémi­niste convain­cu, il pense que cela ne pose­ra pas de pro­blème. Erreur. « Je me sur­pre­nais à mar­cher sur le trot­toir pour être sur­éle­vé et la lais­ser mar­cher sur la route. On en rigo­lait, mais je pense qu’inconsciemment je vou­lais assu­rer cette image du mec fort, qui pou­vait la pro­té­ger. » 

On y est ! Le fameux modèle du sau­veur, du sol­dat, du père ou du grand frère ras­su­rant, où l’homme n’est valable que s’il couve une don­zelle en détresse. Son miroir : celui de « la fille frêle et douce » auquel aime­rait col­ler Hélène. « Ça ne me plaît pas de dire ça, mais moi quand tu me vois, tu ne te dis pas que Romain me cajole. Mes copines, elles, sont mignonnes et tou­chantes, car petites. » 

Et pour­quoi ce ne serait pas à nous de cajo­ler les hommes et de les pro­té­ger, d’abord ? « Mon hypo­thèse, avance Marie Bergström, c’est que la dif­fé­rence de taille fonc­tionne comme un rem­part contre l’égalité des sexes. Dans un contexte où le sta­tut des femmes s’est amé­lio­ré, où elles tra­vaillent et occupent des fonc­tions de res­pon­sa­bi­li­té, le couple hété­ro­sexuel devient un lieu de réaf­fir­ma­tion des dif­fé­rences entre les sexes, comme un rem­part. » Les tra­vaux de l’anthropologue Priscille Touraille – contro­ver­sés chez les convain­cus de l’évolutionnisme, mais adou­bés par la grande Françoise Héritier – vont dans le même sens. « En enquê­tant sur les Baka du Cameroun, en 2009, j’ai réa­li­sé que les couples où la femme est plus grande font sym­bo­li­que­ment peur aux hommes. Je pense que ces couples maté­ria­lisent, visuel­le­ment, l’idée que la domi­na­tion mas­cu­line est réver­sible. Pour les hommes baka, cette vision repré­sente un risque que les femmes se pensent en posi­tion de domi­ner la socié­té. À mon avis, ce méca­nisme est aus­si valable en Occident. » D’ailleurs, les grandes sont sou­vent sexua­li­sées, asso­ciées à l’image du man­ne­quin, et donc consi­dé­rées comme des spé­ci­mens un peu trop puis­sants. « Quand j’étais avec Caro, se rap­pelle Sylvain, on me disait “ah, mon salaud”, ­sous-​entendu : “tu te la pètes avec elle”. » 

Pour contrer cette image, Hélène et Chloé ont renon­cé aux talons. Plus grave, cela a même fait som­brer Hélène dans une période d’anorexie, à 22 ans. « Vu que j’étais plus grande que mon mec ver­ti­ca­le­ment, je vou­lais me réduire hori­zon­ta­le­ment, explique-​t-​elle aujourd’hui. Mais Romain est là pour m’engueuler quand j’essaie de me rape­tis­ser. Il me dit : “Fais-​toi plus grande encore que tu ne l’es, lève le torse, tu es même plus belle comme ça.” » 

Et si nous pre­nions tous un peu de hau­teur sur cette his­toire de taille, nous en res­sor­ti­rions cer­tai­ne­ment gran­dis, non ? 

1. Les pré­noms ont été modifiés.

2. Enquête Épic, Ined-​Insee, 2013–2014.


Cherche bel étalon

La taille est aujourd’hui une des infor­ma­tions non obli­ga­toires la plus ren­sei­gnée sur les sites de ren­contre, d’après la socio­logue du couple Marie Bergström. Sur Meetic, plus de neuf per­sonnes sur dix (quel que soit le genre) le signalent spon­ta­né­ment. Selon les mecs, c’est à la demande des femmes. « Puisque ça a l’air de comp­ter… », peut-​on sou­vent lire à côté de l’étalon affi­ché. « J’en avais marre qu’on me le demande à chaque fois », témoigne Rémi, « 1,76 m », selon les pre­miers mots de son pro­fil Tinder. Sa ville et son métier ne figurent qu’après.

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