Bodypositive : la revanche de la vergeture

Lentement mais sûre­ment, les ver­ge­tures com­mencent à faire leur appa­ri­tion du côté du body posi­tive. Ces traces de la vie d’une femme ont elles aus­si droit de cité !

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© MARIE BOISEAU pour Causette

Le post pour­rait paraître ano­din, et pour­tant… Le 21 mai der­nier, sur son compte Instagram, la pho­to­graphe nan­taise adepte du body posi­tive Flavie Eidel publie un cli­ché à des­ti­na­tion de ses 12 500 abonné·es : son ventre par­se­mé de confet­tis dorés en forme de cœur. La pho­to laisse très clai­re­ment voir ses ver­ge­tures : des stries blanches aux­quelles le gros plan confère des airs de feuilles opa­les­centes. En légende, Flavie écrit juste : « Stretchmarks are cool. » « Plus elles auront de visi­bi­li­té, moins elles paraî­tront étranges, explique la jeune femme. Et puis elles font par­tie de moi, avec leur côté nacré, presque scintillant… »

“Blessures nar­cis­siques”

La démarche de Flavie Eidel demeure encore sinon mar­gi­nale du moins mino­ri­taire. Comme le sou­ligne Claire Lahuerta, pro­fes­seure d’arts plas­tiques à l’université de Lorraine, spé­cia­liste du corps, de l’identité et de la repré­sen­ta­tion de soi, « c’est assez long à s’activer. Sur Instagram, par exemple, les ver­ge­tures sont mises en avant sur des comptes assez mili­tants ». Comment expli­quer ce retard à l’allumage alors que le mou­ve­ment body posi­tive, qui valo­rise tous les corps, prend de l’ampleur ? Pour la doc­teure Nina Roos, der­ma­to­logue, « les modi­fi­ca­tions cuta­nées peuvent être per­çues comme des bles­sures nar­cis­siques, une atteinte à l’intégrité corporelle ». 

Il faut dire que niveau repré­sen­ta­tions, l’histoire de l’art n’est pas de notre côté. Les femmes de Rubens ont beau avoir de la cel­lu­lite, pas de trace de ver­ge­tures sur les modèles. Idem chez Gustave Courbet. Chez Botero, les femmes sont plan­tu­reuses, mais leur derme est lisse comme celui d’un bébé. Rien d’étonnant, selon Nina Roos : « La cel­lu­lite évoque le sto­ckage des graisses sous la peau. Celui qui va per­mettre de nour­rir un enfant, même en cas de famine, et donc, de per­pé­tuer l’espèce. » Une ver­tu qui n’est pas asso­ciée aux ver­ge­tures. Pauvres cica­trices qui ne servent à rien… Une mau­vaise presse qui a cours encore aujourd’hui : « Il n’y a pas d’artiste majeur de la scène contem­po­raine qui se soit empa­ré du sujet, constate Claire Lahuerta. Il n’y a pas d’œuvre qui l’aborde et qui soit ren­trée dans les ins­ti­tu­tions. » La cher­cheuse note tou­te­fois une excep­tion : l’artiste bri­tan­nique Jenny Saville. La quin­qua­gé­naire est notam­ment connue pour ses nus gigan­tesques. Et pour­tant, rap­pelle Nina Roos, « ce sont des lésions très banales ! 90 % des femmes en ont ». Alors, com­ment expli­quer qu’elles ont long­temps été si taboues ? La der­ma­to­logue convoque l’idéal de la peau lisse, sans défaut, syno­nyme de jeu­nesse et de pure­té. Et évoque des études récentes sur notre per­cep­tion des visages : « On s’est aper­çu que contem­pler une peau lisse repose le cer­veau. Alors que des cica­trices, des lésions, l’obligent à tra­vailler plus car il doit trai­ter davan­tage d’informations. » Le déni­gre­ment des ver­ge­tures tien­drait donc non seule­ment à leur faible repré­sen­ta­tion mais aus­si à nos neu­rones fainéants…

Une trace indélébile

Mais, au fait, c’est quoi une ver­ge­ture ? « Il s’agit de la des­truc­tion loca­li­sée du derme, qui suit des lignes de ten­sion cuta­née », explique Nina Roos. Cela est lié à un contexte hor­mo­nal par­ti­cu­lier (puber­té, gros­sesse, trai­te­ment à base de cor­ti­sone…) et à une prise de volume rapide. Les zones les plus concer­nées sont les hanches, les cuisses, le ventre, les seins, « par­fois les mol­lets et le bas du dos ». Quant à leur cou­leur, elles sont habi­tuel­le­ment rouges puis blanches. Elles ne dis­pa­raissent pas puisque, comme le pré­cise la méde­cin, « il s’agit d’un pro­ces­sus de des­truc­tion du derme, il n’y a pas de cicatrisation ».

Mais, depuis quelques années, la ver­ge­ture se planque un peu moins. Sur Instagram, des artistes s’en emparent. À l’instar de Zinteta : cette Espagnole met les ver­ge­tures de ses modèles aux cou­leurs de l’arc-en-ciel. La Pakistanaise Sara Shakeel les sur­ligne d’or. Mais le mes­sage demeure ambi­gu : en les « colo­ri­sant », la subli­ma­tion des ver­ge­tures consiste quand même à les cacher. « C’est ce qui se pro­duit sou­vent avec le body posi­tive, sou­ligne Claire Lahuerta. La démarche est éman­ci­pa­trice au départ, mais elle a un revers. Si on esthé­tise un “défaut”, alors celui-​ci n’en est plus un… »

Lentement mais sûre­ment, les choses bougent néan­moins. La ver­ge­ture lamb­da trouve davan­tage droit de cité, comme sur les pho­tos de Flavie Eidel. Elle-​même, alors qu’elle s’apprête à faire une réduc­tion mam­maire, se voit pro­po­ser par sa chi­rur­gienne de faire dis­pa­raître ses fameuses stries au ventre via une abdo­mi­no­plas­tie. Refus de l’intéressée. « Elles font par­tie de mon his­toire, comme des cica­trices un peu poé­tiques ! » Marianne, 43 ans dont vingt-​huit en coloc avec ses ver­ge­tures, est par­ve­nue, au fil du temps, à faire la paix avec elles. « Je me rap­pelle quand elles sont appa­rues à l’adolescence, je l’ai vécu comme une cata ! On aurait dit qu’on m’avait lacé­ré la poi­trine ! Leur blan­chi­ment a atté­nué mes com­plexes. Finalement, elles racontent ma puber­té, mes gros­sesses. Et puis c’est un peu comme si j’avais des sortes d’éclats de ton­nerre des­si­nés autour des seins. Je trouve ça pas mal… »

Stries tatouées

Rare tatoueur·euse qui expose, sur ses réseaux, des pho­tos de ses tra­vaux réa­li­sés sur des corps ver­ge­tu­rés, L’Andro Gynette note d’ailleurs un adou­cis­se­ment dans la façon d’évoquer ces lésions. « J’ai des clientes qui leur donnent des petits noms comme “rayures de zèbre” », raconte-​t-​iel. Iel n’hésite pas en outre à faire de la péda­go­gie en rap­pe­lant qu’à par­tir du moment où la ver­ge­ture est blanche, elle peut être tatouée. Comme ce « L’amour de ma vie, le gras » des­si­né sur un ventre replet enca­dré de petites stries blanches qu’iel a exé­cu­té pour une cliente. « On lui avait tou­jours repro­ché d’être en sur­poids, raconte-​t-​iel. Or cela fait par­tie de son corps, de son his­toire. » L’Andro Gynette aime­rait d’ailleurs réa­li­ser un pro­jet où les ver­ge­tures com­po­se­raient à part entière un pan gra­phique du tatouage : « Je pour­rais des­si­ner un tigre dont les ver­ge­tures consti­tue­raient le pelage », rêve-​t-​iel tout haut. Grraouuu.

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