Témoignages : un bébé à trois

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© Ela Polkowska






« Aimer, c’est regar­der ensemble dans la même direc­tion. » La maxime est char­mante. Mais dans la vraie vie, les des­ti­nées amou­reuses sont rare­ment aus­si simples. Chaque mois, Causette donne la parole à un duo sen­ti­men­tal pour com­prendre com­ment les visions diver­gentes de chacun·e n’empêchent pas (tou­jours) le ménage de tour­ner. Dans cet épi­sode, Charlotte* et Philippe* ont conçu un enfant grâce à la géné­ro­si­té d’un ami d’enfance. 





Charlotte

39 ans

« Aujourd’hui, Philippe pleure presque tous les jours en regar­dant Gustave*, notre fils, âgé de dix jours. Philippe m’a avoué sa sté­ri­li­té peu après notre ren­contre. J’étais déjà mère de deux enfants : en avoir un troi­sième n’était pas une obses­sion. En revanche, j’avais mesu­ré son envie d’enfant. Notre par­cours de fécon­da­tion in vitro (FIV) a été une catas­trophe. Épuisant, tant phy­si­que­ment que mora­le­ment. 
Après le qua­trième échec, on était à bout de force, mais il n’était pas ques­tion de s’avouer vain­cus. On s’est donc mis en quête d’une solu­tion alter­na­tive. On y a long­temps réflé­chi. Puis, un soir, on a évo­qué le nom de Bastien*, un grand ami de Philippe, céli­ba­taire endur­ci. C’est un homme intel­li­gent, géné­reux. Le pro­fil par­fait pour un don­neur. Philippe avait une grande confiance en lui, ce qui était pri­mor­dial pour se lan­cer dans une telle démarche. À l’époque, moi, je n’avais vu Bastien qu’à quelques soi­rées. 
Pour la pre­mière insé­mi­na­tion arti­sa­nale, Philippe m’a accom­pa­gnée. On tenait à repar­ler avec Bastien des termes du “contrat”. Nous ne sou­hai­tions pas que notre enfant connaisse la véri­té et ça arran­geait Bastien. Pour l’aspect tech­nique, nous avons appris au fil des mois. Je me sou­vien­drai tou­jours de notre pre­mière fois : Bastien, qui part avec le pot sté­ri­li­sé ; nous, qui l’attendons dans la chambre d’à côté… S’injecter la semence d’un autre homme que son mari est loin d’être évident psy­cho­lo­gi­que­ment. 
Philippe n’a pas pu venir avec moi les fois sui­vantes. Bastien habite à 1 000 kilo­mètres de chez nous ! J’y suis allée une quin­zaine de fois. Le week-​end, pen­dant mes vacances, en semaine par­fois, en rou­lant de nuit. Tout cela dans le secret le plus total. Avec Bastien, on se retrou­vait chez lui ou à l’hôtel. On fai­sait une insé­mi­na­tion le soir, une autre le matin ! Quand je res­tais plus long­temps, on dînait ensemble… J’ai décou­vert un homme extra­or­di­naire, d’une timi­di­té mala­dive, ce qui explique cer­tai­ne­ment son céli­bat. Et puis… Gustave est né. 
Depuis quelques mois, à force de lire des articles sur le sujet, mon avis a chan­gé : il me semble impor­tant que Gustave connaisse la véri­té sur sa concep­tion. Bastien est son par­rain. Mais Gustave sau­ra peut-​être un jour qu’il n’est pas pour rien dans sa venue au monde. »

Philippe

42 ans

« Charlotte tenait à por­ter notre bébé. L’adoption n’a donc jamais été envi­sa­gée et je ne suis pas sûr que j’aurais pu me pro­je­ter avec un enfant qui ne me res­semble pas. Mais… après les échecs que l’on a connus, le don de sperme est vite appa­ru comme notre seule solu­tion ! J’ai dû rava­ler ma fier­té pour me lan­cer dans cette aven­ture. 
Je n’ai jamais par­lé de ma sté­ri­li­té avec mes proches. Dans la tête des gens, un homme qui ne peut pas enfan­ter n’est pas un homme. C’est un sujet dou­lou­reux que je ne sou­haite pas abor­der. Mon ami Bastien est appa­ru comme une évi­dence. Il me res­sem­blait, ce qui était pri­mor­dial pour moi, afin d’éviter les soup­çons. Il habi­tait loin de chez nous. Et, dans le fond, je savais qu’il dirait oui. Ça ne m’a pas empê­ché de stres­ser avant de lui en par­ler. On avait pas­sé tout le week-​end ensemble à Majorque avec notre bande d’amis et j’ai atten­du le der­nier jour et de boire quelques verres pour me jeter à l’eau. Il m’a deman­dé un mois de réflexion avant de nous annon­cer la bonne nou­velle.
Il faut être capable d’une cer­taine forme d’auto-dérision pour accep­ter un tel par­cours. Ça reste assez sur­réa­liste de te dire que ton ami est en train de se mas­tur­ber dans la pièce d’à côté pour que ta femme puisse s’inséminer avec son sperme ensuite… Avec Colline, on a par­fois réus­si à en rire. Certains jours, un peu moins. Quand elle par­tait plus long­temps pour mul­ti­plier nos chances de réus­site, ils pas­saient pas mal de temps à dis­cu­ter. Il faut avoir sacré­ment confiance en son épouse, en son ami, pour le vivre serei­ne­ment. J’ai dû me rai­son­ner. Avec Bastien, nous n’abordons jamais ce sujet. C’est notre jar­din secret. Une his­toire qui n’appartient qu’à nous trois. Pendant cette année et demie de ten­ta­tives ratées, on a par­fois pen­sé à arrê­ter. La vie nous a fait un cadeau au moment où l’on com­men­çait à se rési­gner ! Nous avons déci­dé, ensemble, que Gustave ne connaî­trait pas la véri­té. Combien d’enfants sont nés à la suite d’une rela­tion avec le fac­teur ? Mais notre déci­sion n’est pas figée à 100 %. Les mœurs évo­luent, nous aussi… »


* Les pré­noms ont été modifiés.

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