![Témoignages : un bébé à trois 1 109 couple © ela polkowska](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/02/109-couple-©-ela_polkowska-684x1024.jpg)
« Aimer, c’est regarder ensemble dans la même direction. » La maxime est charmante. Mais dans la vraie vie, les destinées amoureuses sont rarement aussi simples. Chaque mois, Causette donne la parole à un duo sentimental pour comprendre comment les visions divergentes de chacun·e n’empêchent pas (toujours) le ménage de tourner. Dans cet épisode, Charlotte* et Philippe* ont conçu un enfant grâce à la générosité d’un ami d’enfance.
Charlotte
39 ans
« Aujourd’hui, Philippe pleure presque tous les jours en regardant Gustave*, notre fils, âgé de dix jours. Philippe m’a avoué sa stérilité peu après notre rencontre. J’étais déjà mère de deux enfants : en avoir un troisième n’était pas une obsession. En revanche, j’avais mesuré son envie d’enfant. Notre parcours de fécondation in vitro (FIV) a été une catastrophe. Épuisant, tant physiquement que moralement.
Après le quatrième échec, on était à bout de force, mais il n’était pas question de s’avouer vaincus. On s’est donc mis en quête d’une solution alternative. On y a longtemps réfléchi. Puis, un soir, on a évoqué le nom de Bastien*, un grand ami de Philippe, célibataire endurci. C’est un homme intelligent, généreux. Le profil parfait pour un donneur. Philippe avait une grande confiance en lui, ce qui était primordial pour se lancer dans une telle démarche. À l’époque, moi, je n’avais vu Bastien qu’à quelques soirées.
Pour la première insémination artisanale, Philippe m’a accompagnée. On tenait à reparler avec Bastien des termes du “contrat”. Nous ne souhaitions pas que notre enfant connaisse la vérité et ça arrangeait Bastien. Pour l’aspect technique, nous avons appris au fil des mois. Je me souviendrai toujours de notre première fois : Bastien, qui part avec le pot stérilisé ; nous, qui l’attendons dans la chambre d’à côté… S’injecter la semence d’un autre homme que son mari est loin d’être évident psychologiquement.
Philippe n’a pas pu venir avec moi les fois suivantes. Bastien habite à 1 000 kilomètres de chez nous ! J’y suis allée une quinzaine de fois. Le week-end, pendant mes vacances, en semaine parfois, en roulant de nuit. Tout cela dans le secret le plus total. Avec Bastien, on se retrouvait chez lui ou à l’hôtel. On faisait une insémination le soir, une autre le matin ! Quand je restais plus longtemps, on dînait ensemble… J’ai découvert un homme extraordinaire, d’une timidité maladive, ce qui explique certainement son célibat. Et puis… Gustave est né.
Depuis quelques mois, à force de lire des articles sur le sujet, mon avis a changé : il me semble important que Gustave connaisse la vérité sur sa conception. Bastien est son parrain. Mais Gustave saura peut-être un jour qu’il n’est pas pour rien dans sa venue au monde. »
Philippe
42 ans
« Charlotte tenait à porter notre bébé. L’adoption n’a donc jamais été envisagée et je ne suis pas sûr que j’aurais pu me projeter avec un enfant qui ne me ressemble pas. Mais… après les échecs que l’on a connus, le don de sperme est vite apparu comme notre seule solution ! J’ai dû ravaler ma fierté pour me lancer dans cette aventure.
Je n’ai jamais parlé de ma stérilité avec mes proches. Dans la tête des gens, un homme qui ne peut pas enfanter n’est pas un homme. C’est un sujet douloureux que je ne souhaite pas aborder. Mon ami Bastien est apparu comme une évidence. Il me ressemblait, ce qui était primordial pour moi, afin d’éviter les soupçons. Il habitait loin de chez nous. Et, dans le fond, je savais qu’il dirait oui. Ça ne m’a pas empêché de stresser avant de lui en parler. On avait passé tout le week-end ensemble à Majorque avec notre bande d’amis et j’ai attendu le dernier jour et de boire quelques verres pour me jeter à l’eau. Il m’a demandé un mois de réflexion avant de nous annoncer la bonne nouvelle.
Il faut être capable d’une certaine forme d’auto-dérision pour accepter un tel parcours. Ça reste assez surréaliste de te dire que ton ami est en train de se masturber dans la pièce d’à côté pour que ta femme puisse s’inséminer avec son sperme ensuite… Avec Colline, on a parfois réussi à en rire. Certains jours, un peu moins. Quand elle partait plus longtemps pour multiplier nos chances de réussite, ils passaient pas mal de temps à discuter. Il faut avoir sacrément confiance en son épouse, en son ami, pour le vivre sereinement. J’ai dû me raisonner. Avec Bastien, nous n’abordons jamais ce sujet. C’est notre jardin secret. Une histoire qui n’appartient qu’à nous trois. Pendant cette année et demie de tentatives ratées, on a parfois pensé à arrêter. La vie nous a fait un cadeau au moment où l’on commençait à se résigner ! Nous avons décidé, ensemble, que Gustave ne connaîtrait pas la vérité. Combien d’enfants sont nés à la suite d’une relation avec le facteur ? Mais notre décision n’est pas figée à 100 %. Les mœurs évoluent, nous aussi… »
* Les prénoms ont été modifiés.