![Témoignages : quand l’enfant adopte son père 1 HillerbrandMagsamen](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/01/HillerbrandMagsamen-819x1024.jpg)
« Aimer, c’est regarder ensemble dans la même direction. » La maxime est charmante. Mais dans la vraie vie, les destinées amoureuses sont rarement aussi simples. Chaque mois, Causette donne la parole à un duo sentimental pour comprendre comment les visions divergentes de chacun·e n’empêchent pas (toujours) le ménage de tourner. Ce mois-ci, Magali et Vincent* racontent leur rencontre alors que Magali vient de faire un bébé toute seule. Et comment Vincent a été adopté par la fille de Magali.
Magali
42 ans
« À 29 ans, je voulais un enfant, mais je n’avais personne dans ma vie et pas envie de me mettre avec un mec pour de mauvaises raisons. Je savais que tant que je n’aurais pas d’enfant, je ne pourrais pas rencontrer quelqu’un sereinement. De toute façon, je voyais mon bonheur passer par un enfant, pas par un mec. Je me suis lancée dans une PMA en solo et je suis tombée enceinte du premier coup. Après la naissance de ma fille, mon but dans la vie n’était toujours pas de trouver un compagnon. Je prenais mes marques, je gérais le retour au boulot, les horaires de la crèche, les maladies… Je n’excluais rien, mais je ne cherchais pas. Et puis, comme dans les films, ça me tombe dessus alors que je ne m’y attends pas.
Vincent intègre l’entreprise où je travaille, c’est moi qui l’accueille. On accroche, il me fait rire. Il sait très vite que j’ai une fille, lui-même a une nièce qui a deux mois de différence. On se rapproche, il rencontre Emy*, ils s’entendent bien, cela ne lui pose aucun souci. Comme il n’y a pas d’ex dans les parages, pas de papa qui ferait concurrence, c’est finalement plus facile pour lui de s’intégrer. Les choses se font naturellement et rapidement. Et puis il y a ce jour où tout bascule. Emy a 24 mois, ça fait six mois que Vincent a emménagé dans l’appart. En se réveillant d’une sieste, on l’entend appeler “Papa”, alors que jusque-là elle disait “Vivi”. Je vois Vincent se lever sans hésiter une seconde. Jamais je ne lui avais demandé d’adopter ce rôle et je ne lui en aurais pas voulu s’il ne s’était pas levé.
Cinq ans après, pour ma deuxième grossesse, j’ai dû apprendre à faire de la place, contrairement à la première fois où j’avais géré seule. À ce moment-là, Vincent a reconnu Emy et son acte de naissance a été modifié. C’est une petite fille qui pose peu de questions, même en regardant les albums photo de naissance où on voit bien qu’il n’y a pas de papa. Mais quand même, un jour, vers 8 ou 9 ans, elle m’a demandé : “Quand tu as rencontré papa, je n’étais pas née ?” Je ne me voyais pas lui mentir, j’ai saisi l’occasion pour lui expliquer que Vincent n’était pas son père biologique, que j’avais vu des docteurs et que j’avais utilisé la petite graine d’un monsieur pour avoir la chance d’être maman sans attendre un prince charmant. Elle a rigolé en disant que j’avais fait les choses à l’envers, que j’aurais pu être plus patiente ! Maintenant qu’elle connaît son histoire, je la laisse venir avec ses questions. »
Vincent
37 ans
« Lorsque j’ai débarqué à Paris, j’étais en couple avec une fille qui voulait un enfant. Moi, c’était pas ma priorité. Et puis je rencontre Magali, qui a “fait un bébé toute seule”. Ça aurait pu me faire peur, mais ça a produit tout l’inverse. Qu’elle ait ce courage, ça m’a bluffé, ça m’a fait l’apprécier encore plus. J’admirais sa démarche, sa détermination, sa personnalité. Moi, je ne connaissais rien à la PMA, le mot n’existait même pas !
Bizarrement, je ne me souviens pas de la première fois où j’ai vu Emy. Je me souviens en revanche du moment précis où elle m’a appelé “Papa”. Je ne cherchais pas à ce qu’elle m’appelle ainsi, je n’avais jamais prononcé ce mot-là devant elle. J’imagine qu’elle l’avait entendu à la crèche et qu’elle devait savoir ce que ça représentait. La scène va très vite. Magali me dit : “Je crois que c’est pour toi.” Dans ma tête, je pense : “Que j’y aille ou pas, il va falloir que j’assume toute ma vie.” À partir de là, elle m’a toujours appelé “Papa”.
Je suis passé, en un an, de jeune garçon célibataire qui vient à la maison tous les soirs à père ayant autorité sur enfant. La difficulté a été de trouver la bonne distance, le bon dosage, ça a pris du temps, on a connu des ajustements sur des mois, voire sur des années. Pendant dix-huit mois, elles n’avaient été que toutes les deux, il n’était pas question de m’imposer. Lorsque j’ai reconnu Emy, j’ai tenu à ce qu’elle porte nos deux noms : je ne voulais pas remplacer celui de Magali par le mien, ça aurait éteint sa démarche.
Notre but n’a jamais été de cacher la vérité à Emy. Nous avons été accompagné·es par un pédopsy qui nous a conseillé d’attendre que le sujet vienne d’elle. Le jour où elle a questionné Magali, je me suis dit “tant mieux, au moins c’est fait”. Pour l’instant, elle n’en a jamais parlé avec moi. Je sais qu’un jour je prendrai dans la gueule le fameux “t’es pas mon père”, et là, ça va piquer. À part lui montrer le livret de famille qui indique que je le suis légalement, je ne pourrai rien dire.
Aujourd’hui, nous avons trois enfants, dont deux dits “biologiques”. Je déteste cette expression ! Je ne fais aucune différence. Il y a beaucoup de gens, même proches, qui ignorent qu’Emy n’est pas ma fille biologique. Je ne le crie pas sur tous les toits. Quand je raconte mon histoire, les gens sont scotchés. C’est comme si j’avais fait un acte de bravoure. Mais je ne suis pas un héros, je suis juste tombé amoureux d’une femme qui avait fait un bébé toute seule. »
* Les prénoms ont été modifiés.
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