Témoignages : quand l’enfant adopte son père

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© Hillerbrand + Magsamen

« Aimer, c’est regar­der ensemble dans la même direc­tion. » La maxime est char­mante. Mais dans la vraie vie, les des­ti­nées amou­reuses sont rare­ment aus­si simples. Chaque mois, Causette donne la parole à un duo sen­ti­men­tal pour com­prendre com­ment les visions diver­gentes de chacun·e n’empêchent pas (tou­jours) le ménage de tour­ner. Ce mois-​ci, Magali et Vincent* racontent leur ren­contre alors que Magali vient de faire un bébé toute seule. Et com­ment Vincent a été adop­té par la fille de Magali.








Magali

42 ans

« À 29 ans, je vou­lais un enfant, mais je n’avais per­sonne dans ma vie et pas envie de me mettre avec un mec pour de mau­vaises rai­sons. Je savais que tant que je n’aurais pas d’enfant, je ne pour­rais pas ren­con­trer quelqu’un serei­ne­ment. De toute façon, je voyais mon bon­heur pas­ser par un enfant, pas par un mec. Je me suis lan­cée dans une PMA en solo et je suis tom­bée enceinte du pre­mier coup. Après la nais­sance de ma fille, mon but dans la vie n’était tou­jours pas de trou­ver un com­pa­gnon. Je pre­nais mes marques, je gérais le retour au ­bou­lot, les horaires de la crèche, les mala­dies… Je n’excluais rien, mais je ne cher­chais pas. Et puis, comme dans les films, ça me tombe des­sus alors que je ne m’y attends pas.

Vincent intègre l’entreprise où je tra­vaille, c’est moi qui l’accueille. On accroche, il me fait rire. Il sait très vite que j’ai une fille, lui-​même a une nièce qui a deux mois de dif­fé­rence. On se rap­proche, il ren­contre Emy*, ils s’entendent bien, cela ne lui pose aucun sou­ci. Comme il n’y a pas d’ex dans les parages, pas de papa qui ferait concur­rence, c’est fina­le­ment plus facile pour lui de s’intégrer. Les choses se font natu­rel­le­ment et rapi­de­ment. Et puis il y a ce jour où tout bas­cule. Emy a 24 mois, ça fait six mois que Vincent a emmé­na­gé dans l’appart. En se réveillant d’une sieste, on l’entend appe­ler “Papa”, alors que jusque-​là elle disait “Vivi”. Je vois Vincent se lever sans hési­ter une seconde. Jamais je ne lui avais deman­dé d’adopter ce rôle et je ne lui en aurais pas vou­lu s’il ne s’était pas levé. 

Cinq ans après, pour ma deuxième gros­sesse, j’ai dû apprendre à faire de la place, contrai­re­ment à la pre­mière fois où j’avais géré seule. À ce moment-​là, Vincent a recon­nu Emy et son acte de nais­sance a été modi­fié. C’est une petite fille qui pose peu de ques­tions, même en regar­dant les albums pho­to de nais­sance où on voit bien qu’il n’y a pas de papa. Mais quand même, un jour, vers 8 ou 9 ans, elle m’a deman­dé : “Quand tu as ren­con­tré papa, je n’étais pas née ?” Je ne me voyais pas lui men­tir, j’ai sai­si l’occasion pour lui expli­quer que Vincent n’était pas son père bio­lo­gique, que j’avais vu des doc­teurs et que j’avais uti­li­sé la petite graine d’un mon­sieur pour avoir la chance d’être maman sans attendre un prince char­mant. Elle a rigo­lé en disant que j’avais fait les choses à l’envers, que j’aurais pu être plus patiente ! Maintenant qu’elle connaît son his­toire, je la laisse venir avec ses questions. » 

Vincent

37 ans

« Lorsque j’ai débar­qué à Paris, j’étais en couple avec une fille qui vou­lait un enfant. Moi, c’était pas ma prio­ri­té. Et puis je ren­contre Magali, qui a “fait un bébé toute seule”. Ça aurait pu me faire peur, mais ça a pro­duit tout l’inverse. Qu’elle ait ce cou­rage, ça m’a bluf­fé, ça m’a fait l’apprécier encore plus. J’admirais sa démarche, sa déter­mi­na­tion, sa per­son­na­li­té. Moi, je ne connais­sais rien à la PMA, le mot n’existait même pas !

Bizarrement, je ne me sou­viens pas de la pre­mière fois où j’ai vu Emy. Je me sou­viens en revanche du moment pré­cis où elle m’a appe­lé “Papa”. Je ne cher­chais pas à ce qu’elle m’appelle ain­si, je n’avais jamais pro­non­cé ce mot-​là devant elle. J’imagine qu’elle l’avait enten­du à la crèche et qu’elle devait savoir ce que ça repré­sen­tait. La scène va très vite. Magali me dit : “Je crois que c’est pour toi.” Dans ma tête, je pense : “Que j’y aille ou pas, il va fal­loir que j’assume toute ma vie.” À par­tir de là, elle m’a tou­jours appe­lé “Papa”.

Je suis pas­sé, en un an, de jeune gar­çon céli­ba­taire qui vient à la mai­son tous les soirs à père ayant auto­ri­té sur enfant. La dif­fi­cul­té a été de trou­ver la bonne dis­tance, le bon dosage, ça a pris du temps, on a connu des ajus­te­ments sur des mois, voire sur des années. Pendant dix-​huit mois, elles n’avaient été que toutes les deux, il n’était pas ques­tion de m’imposer. Lorsque j’ai recon­nu Emy, j’ai tenu à ce qu’elle porte nos deux noms : je ne vou­lais pas rem­pla­cer celui de Magali par le mien, ça aurait éteint sa démarche. 

Notre but n’a jamais été de cacher la véri­té à Emy. Nous avons été accompagné·es par un pédop­sy qui nous a conseillé d’attendre que le sujet vienne d’elle. Le jour où elle a ques­tion­né Magali, je me suis dit “tant mieux, au moins c’est fait”. Pour l’instant, elle n’en a jamais par­lé avec moi. Je sais qu’un jour je pren­drai dans la gueule le fameux “t’es pas mon père”, et là, ça va piquer. À part lui mon­trer le livret de famille qui indique que je le suis léga­le­ment, je ne pour­rai rien dire.

Aujourd’hui, nous avons trois enfants, dont deux dits “bio­lo­giques”. Je déteste cette expres­sion ! Je ne fais aucune dif­fé­rence. Il y a beau­coup de gens, même proches, qui ignorent qu’Emy n’est pas ma fille bio­lo­gique. Je ne le crie pas sur tous les toits. Quand je raconte mon his­toire, les gens sont scot­chés. C’est comme si j’avais fait un acte de bra­voure. Mais je ne suis pas un héros, je suis juste tom­bé amou­reux d’une femme qui avait fait un bébé toute seule. » 

* Les pré­noms ont été modifiés.

Si vous aus­si, vous sou­hai­tez nous racon­ter votre his­toire de couple, écri­vez à [email protected]

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