Témoignages : l'enfant perdu

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© T. Hollingsworth

« Aimer, c’est regar­der ensemble dans la même direc­tion. » La maxime est char­mante. Mais dans la vraie vie, les des­ti­nées amou­reuses sont rare­ment aus­si simples. Chaque mois, Causette donne la parole à un duo sen­ti­men­tal pour com­prendre com­ment les visions diver­gentes de chacun·e n’empêchent pas (tou­jours) le ménage de tour­ner. Dans cet épi­sode, Cécile et Arnaud* nous racontent le décès de leur pre­mier bébé et la façon dont cha­cun a sur­mon­té le deuil pour reprendre goût à la vie et envi­sa­ger un nou­vel enfant. 







Cécile

38 ans

« Je n’oublierai jamais ce 15 juin 2009. J’étais enceinte de six mois, j’avais des contrac­tions ter­ribles, j’ai failli m’évanouir. Arnaud a appe­lé les urgences et je me suis retrou­vée dans le camion des pom­piers sur le périph bou­ché. Ils m’ont dit de pous­ser, je n’y arri­vais pas, ça a duré des heures. J’ai accou­ché dans le camion, sans péri­du­rale. Le bébé n’a pous­sé aucun cri. Il était déjà mort dans mon ventre depuis la veille. Quelques jours plus tard, on était au Père-​Lachaise, la famille et les amis autour de son minus­cule cer­cueil. C’était notre pre­mier bébé, il s’appelait Simon. Il est né, même mort, il a exis­té offi­ciel­le­ment. Arnaud a rem­pli tous les papiers de l’État civil. Simon aurait 10 ans. 

Chaque 15 juin, j’ai une boule au ventre. Je me sou­viens quand le méde­cin me l’a posé sur la poi­trine. Il était beau. On a eu le droit de faire une pho­to, Arnaud trou­vait ça macabre, pas moi. Notre couple a failli ne pas lui sur­vivre. Arnaud est d’un tem­pé­ra­ment ren­fer­mé et angois­sé, tout l’inverse de moi. J’ai aus­si­tôt débar­ras­sé sa petite chambre pour en faire un bureau, j’ai don­né ses layettes au Secours popu­laire, j’ai tra­vaillé mes abdos et j’ai beau­coup par­lé à mes amis sur­tout. J’avais besoin d’évacuer, de retrou­ver mon corps d’avant. 

Six mois après, j’ai deman­dé à Arnaud qu’on refasse un enfant. Il a refu­sé, c’était trop tôt pour lui. Faire l’amour est deve­nu un sujet tabou. Arnaud ne vou­lait plus me tou­cher. Je lui ai pro­mis de patien­ter et de prendre la pilule. Le temps a pas­sé. Nous avons sui­vi une thé­ra­pie de couple et déci­dé de par­tir vivre à la cam­pagne dans les envi­rons de Chartres. J’ai quit­té mon bou­lot dans une librai­rie, fait un bilan de com­pé­tences, une for­ma­tion et je suis deve­nue pra­ti­cienne en psy­cho­pé­da­go­gie posi­tive pour enfants et adultes. Je suis tom­bée enceinte, Arnaud était enfin prêt. J’ai très mal vécu cette gros­sesse, je flip­pais à chaque fois que j’avais une contrac­tion et que je pas­sais une écho­gra­phie. J’avais peur que le bébé soit déjà mort dans mon ventre. Finalement, notre fille Victoire est née il y a cinq ans. C’est moi qui ai choi­si le pré­nom. Je lui ai par­lé de son frère, je lui ai mon­tré sa pho­to, mais je fais atten­tion à ne pas trop la per­tur­ber avec cette image de frère fan­tôme. J’ai scan­né la pho­to de Simon pour qu’elle ne s’efface pas avec le temps. C’est tout ce qu’il me reste de lui. » 

Arnaud

39 ans

« J’étais avec Cécile à l’arrière du camion des pom­piers. Je voyais bien qu’il y avait un truc qui clo­chait. Cécile criait tout ce qu’elle pou­vait, j’étais impuis­sant. Quand la tête du bébé tout bleu est sor­tie, l’urgentiste m’a regar­dé tris­te­ment. C’est cette image que je n’oublierai jamais. Quand les sages-​femmes nous ont pro­po­sé de faire une pho­to à l’hôpital, j’ai refu­sé, Cécile a insis­té. Durant des années, je n’ai pas pu regar­der cette pho­to. Un jour, elle l’a affi­chée au-​dessus de notre bureau, cette image de bébé qui sem­blait dor­mir me don­nait la nau­sée. On s’est engueu­lés, je lui repro­chais de culti­ver des pen­sées morbides. 

En réa­li­té, je m’en suis ren­du compte plus tard, grâce à notre psy de couple, je me repro­chais sur­tout de ne pas éprou­ver énor­mé­ment de tris­tesse pour ce bébé que je n’ai pas connu. On ne s’attache pas tout de suite et, de fait, je n’en ai pas eu le temps. Contrairement à Cécile, j’ai eu beau­coup de mal à ­l’appeler par son pré­nom. Quand j’ai rem­pli la décla­ra­tion de décès, écrire Simon sui­vi de mon nom de famille m’a sem­blé tota­le­ment sur­réa­liste. Cette famille à trois avec lui n’a jamais exis­té et je culpa­bi­li­sais de pen­ser comme ça. J’avais honte d’en par­ler, je dépri­mais. Quand mes amis me répé­taient que c’était nor­mal, qu’il fal­lait que je prenne le temps de faire mon deuil, j’avais l’impression d’être un impos­teur. Au fond de moi, j’étais immen­sé­ment triste. 

Un jour, Cécile m’a dit : “Et si on refai­sait un bébé ?” Je n’en avais aucune envie. Pour moi, ce serait for­cé­ment un enfant de rem­pla­ce­ment. Puis j’avais peur pour elle, elle dit qu’elle est forte, mais elle est bien plus fra­gile qu’elle ne le montre. Le temps du deuil n’est pas qu’une expres­sion, il m’a fal­lu du temps pour m’avouer que j’avais envie d’être papa pour de vrai, cette fois-​ci. On a refait l’amour comme avant, sans pilule, et j’ai retrou­vé le plai­sir sexuel que j’avais per­du. Quand on a su que c’était une fille, j’étais sou­la­gé, je ne sais pas pour­quoi, je flip­pais à l’idée d’avoir un autre fils. Aujourd’hui, je suis le plus heu­reux des pères, j’ai même pris un congé paren­tal, je tra­vaille à mi-​temps en tant que méca­ni­cien pour pro­fi­ter de Victoire. Il m’arrive de pen­ser à Simon, mais contrai­re­ment à Cécile, je n’en parle pas à notre fille, je pré­fère qu’elle gran­disse du côté des vivants. »

* Les pré­noms ont été modifiés. 

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