![Témoignages: l'enfant perdu 1 sarah shadow 2](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/02/sarah-shadow-2.jpg)
« Aimer, c’est regarder ensemble dans la même direction. » La maxime est charmante. Mais dans la vraie vie, les destinées amoureuses sont rarement aussi simples. Chaque mois, Causette donne la parole à un duo sentimental pour comprendre comment les visions divergentes de chacun·e n’empêchent pas (toujours) le ménage de tourner. Dans cet épisode, Cécile et Arnaud* nous racontent le décès de leur premier bébé et la façon dont chacun a surmonté le deuil pour reprendre goût à la vie et envisager un nouvel enfant.
Cécile
38 ans
« Je n’oublierai jamais ce 15 juin 2009. J’étais enceinte de six mois, j’avais des contractions terribles, j’ai failli m’évanouir. Arnaud a appelé les urgences et je me suis retrouvée dans le camion des pompiers sur le périph bouché. Ils m’ont dit de pousser, je n’y arrivais pas, ça a duré des heures. J’ai accouché dans le camion, sans péridurale. Le bébé n’a poussé aucun cri. Il était déjà mort dans mon ventre depuis la veille. Quelques jours plus tard, on était au Père-Lachaise, la famille et les amis autour de son minuscule cercueil. C’était notre premier bébé, il s’appelait Simon. Il est né, même mort, il a existé officiellement. Arnaud a rempli tous les papiers de l’État civil. Simon aurait 10 ans.
Chaque 15 juin, j’ai une boule au ventre. Je me souviens quand le médecin me l’a posé sur la poitrine. Il était beau. On a eu le droit de faire une photo, Arnaud trouvait ça macabre, pas moi. Notre couple a failli ne pas lui survivre. Arnaud est d’un tempérament renfermé et angoissé, tout l’inverse de moi. J’ai aussitôt débarrassé sa petite chambre pour en faire un bureau, j’ai donné ses layettes au Secours populaire, j’ai travaillé mes abdos et j’ai beaucoup parlé à mes amis surtout. J’avais besoin d’évacuer, de retrouver mon corps d’avant.
Six mois après, j’ai demandé à Arnaud qu’on refasse un enfant. Il a refusé, c’était trop tôt pour lui. Faire l’amour est devenu un sujet tabou. Arnaud ne voulait plus me toucher. Je lui ai promis de patienter et de prendre la pilule. Le temps a passé. Nous avons suivi une thérapie de couple et décidé de partir vivre à la campagne dans les environs de Chartres. J’ai quitté mon boulot dans une librairie, fait un bilan de compétences, une formation et je suis devenue praticienne en psychopédagogie positive pour enfants et adultes. Je suis tombée enceinte, Arnaud était enfin prêt. J’ai très mal vécu cette grossesse, je flippais à chaque fois que j’avais une contraction et que je passais une échographie. J’avais peur que le bébé soit déjà mort dans mon ventre. Finalement, notre fille Victoire est née il y a cinq ans. C’est moi qui ai choisi le prénom. Je lui ai parlé de son frère, je lui ai montré sa photo, mais je fais attention à ne pas trop la perturber avec cette image de frère fantôme. J’ai scanné la photo de Simon pour qu’elle ne s’efface pas avec le temps. C’est tout ce qu’il me reste de lui. »
Arnaud
39 ans
« J’étais avec Cécile à l’arrière du camion des pompiers. Je voyais bien qu’il y avait un truc qui clochait. Cécile criait tout ce qu’elle pouvait, j’étais impuissant. Quand la tête du bébé tout bleu est sortie, l’urgentiste m’a regardé tristement. C’est cette image que je n’oublierai jamais. Quand les sages-femmes nous ont proposé de faire une photo à l’hôpital, j’ai refusé, Cécile a insisté. Durant des années, je n’ai pas pu regarder cette photo. Un jour, elle l’a affichée au-dessus de notre bureau, cette image de bébé qui semblait dormir me donnait la nausée. On s’est engueulés, je lui reprochais de cultiver des pensées morbides.
En réalité, je m’en suis rendu compte plus tard, grâce à notre psy de couple, je me reprochais surtout de ne pas éprouver énormément de tristesse pour ce bébé que je n’ai pas connu. On ne s’attache pas tout de suite et, de fait, je n’en ai pas eu le temps. Contrairement à Cécile, j’ai eu beaucoup de mal à l’appeler par son prénom. Quand j’ai rempli la déclaration de décès, écrire Simon suivi de mon nom de famille m’a semblé totalement surréaliste. Cette famille à trois avec lui n’a jamais existé et je culpabilisais de penser comme ça. J’avais honte d’en parler, je déprimais. Quand mes amis me répétaient que c’était normal, qu’il fallait que je prenne le temps de faire mon deuil, j’avais l’impression d’être un imposteur. Au fond de moi, j’étais immensément triste.
Un jour, Cécile m’a dit : “Et si on refaisait un bébé ?” Je n’en avais aucune envie. Pour moi, ce serait forcément un enfant de remplacement. Puis j’avais peur pour elle, elle dit qu’elle est forte, mais elle est bien plus fragile qu’elle ne le montre. Le temps du deuil n’est pas qu’une expression, il m’a fallu du temps pour m’avouer que j’avais envie d’être papa pour de vrai, cette fois-ci. On a refait l’amour comme avant, sans pilule, et j’ai retrouvé le plaisir sexuel que j’avais perdu. Quand on a su que c’était une fille, j’étais soulagé, je ne sais pas pourquoi, je flippais à l’idée d’avoir un autre fils. Aujourd’hui, je suis le plus heureux des pères, j’ai même pris un congé parental, je travaille à mi-temps en tant que mécanicien pour profiter de Victoire. Il m’arrive de penser à Simon, mais contrairement à Cécile, je n’en parle pas à notre fille, je préfère qu’elle grandisse du côté des vivants. »
* Les prénoms ont été modifiés.