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© Isabelle Motrot pour Causette

SÉRIE NOUVELLES FAMILLES : Décohabitation ! Le secret du bonheur ?

On s’est aimé comme on se quitte chan­tait Joe Dassin en 1972. La vieille ren­gaine à papa a fait long feu pour les « LAT » (Living Apart Together) (vivre ensemble sépa­ré­ment), comme les socio­logues appellent ces couples d’un genre nou­veau, qui « déco­ha­bitent » pour mieux s’aimer. Analyse du phé­no­mène et témoignages.

Les enquêtes montrent le bon­heur inso­lent des couples qui choi­sissent de ne pas coha­bi­ter*. Un mode de vie qui apporte tout à la fois amour, indé­pen­dance et éga­li­té au sein du couple. Qui dit mieux ? Pourtant, le modèle reste encore très mino­ri­taire et davan­tage trus­té par les couples homo­sexuels, entre trois et quatre fois plus nom­breux que les hétérosexuel·les à faire ce choix de vie. 13 % des couples com­po­sés de deux femmes et 14 % des couples com­po­sés de deux hommes vivent sépa­ré­ment, contre 4 % seule­ment des couples com­po­sés d’un homme et d’une femme**. Bien évi­dem­ment, les finances sont un fac­teur essen­tiel de la rare­té de ce choix, comme le confirme le socio­logue Arnaud Régnier-​Loilier, inter­ro­gé par Causette : « La non-​cohabitation est un choix réser­vé à des per­sonnes qui en ont les moyens. » Mais pour com­prendre le faible nombre de non coha­bi­tants, le gap entre couples hété­ros et homos est inté­res­sante. Il pré­cise d’autres cri­tères à l’œuvre que l’argent, les couples homos n’étant pas plus for­tu­nés que les autres : « En France, il y a un fort idéal conju­gal de la famille nucléaire, sous le même toit, construite autour du couple. Les couples hété­ro­sexuels y sont davan­tage sou­mis que les couples homo­sexuels, long­temps stig­ma­ti­sés et tenus à part », comme le rap­pelle le sociologue.

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© Isabelle Motrot pour Causette

Ce qui fut naguère un « besoin de dis­cré­tion » pour les couples de même sexe est à pré­sent source de plus grande liber­té par rap­port aux modèles patriar­caux. Ils sont aus­si plus nom­breux à être d’authentiques LAT, tels que les défi­nissent les socio­logues, non coha­bi­tants au sens strict : cha­cun vit par choix dans un foyer prin­ci­pal. Au contraire des autres couples non coha­bi­tants, dits « non-​cohabitants par­tiels », dont l’un ou l’autre s’échappe régu­liè­re­ment dans un loge­ment secon­daire, plus petit en géné­ral – un refuge où s’isoler, mais pas la « mai­son » prin­ci­pale, celle-​ci demeu­rant sou­vent le lieu où vivent aus­si les enfants.

Sandra, une authen­tique LAT

Sandra, 44 ans, comé­dienne, for­ma­trice et coach, fait par­tie des « purs » LAT. « Je suis en couple avec Myriam depuis trois ans et demi. Nous vivons cha­cune dans un appar­te­ment dis­tinct. Les cir­cons­tances ont fait que nous avons vécu ensemble, lors des confi­ne­ments, au début de notre rela­tion, pen­dant presque deux ans. C’était un peu un test de notre rela­tion – réus­si – sans nous don­ner envie de conti­nuer à habi­ter ensemble pour autant. Dans mon pas­sé sen­ti­men­tal, il y a eu beau­coup de coha­bi­ta­tions amou­reuses. Et puis deux années de céli­bat que j’ai beau­coup aimées. Je n’ai pas envie de perdre mon indé­pen­dance. Avoir un espace phy­sique à soi per­met un vrai repos, une vraie atten­tion à ses envies. C’est fer­tile pour créer des choses. Je le res­sens en tant qu’artiste. Ça coûte cher – c’est un vrai choix de s’autoriser ce luxe finan­cier –, mais j’aime vivre seule. Je l’apprécie, pour moi et pour le couple : cela per­met de ne pas vivre la rou­tine, de ne pas par­ta­ger les tâches domes­tiques, les fac­tures… La sépa­ra­tion, c’est une façon d’être ensemble. Je trouve que sexuel­le­ment aus­si, c’est mieux. Je n’ai pas sa pré­sence, son odeur, sa cha­leur quo­ti­dien­ne­ment à mes côtés : alors quand je les retrouve, je suis trop contente ! À long terme, je n’exclus pas qu’on vive ensemble. On avance très len­te­ment. On a un rythme avec zéro pres­sion. On n’a pas d’horloge bio­lo­gique à regar­der ; on ne veut pas d’enfant. La vraie ques­tion que je me pose, c’est que je vou­drais que notre rela­tion nous pro­tège. En cas d’accident de la vie pour l’une ou pour l’autre, je vou­drais que nous soyons léga­le­ment liées. Mais admi­nis­tra­ti­ve­ment, ce n’est pas pos­sible de se marier ni de se pac­ser sans vivre ensemble. » En effet, la loi oblige marié·es et pacsé·es à décla­rer une rési­dence com­mune. Les LAT ne sont pas dans les clous.

“Je n’ai pas envie de perdre mon indé­pen­dance. Avoir un espace phy­sique à soi per­met un vrai repos, une vraie atten­tion à ses envies”

Sandra

Anaïs, 44 ans, est autrice. Mariée avec Jérôme, avec qui elle a vécu sous le même toit pen­dant vingt-​trois ans et mère de Téa, 16 ans, elle explique sa déci­sion d’entamer une « déco­ha­bi­ta­tion par­tielle ». Chacun des deux parents vit envi­ron une semaine seul, dans un appar­te­ment secon­daire, plus petit que leur domi­cile prin­ci­pal, puis une semaine avec leur fille à la mai­son pen­dant que l’autre n’y est pas. Et enfin tous et toutes passent plu­sieurs jours, plus ou moins long­temps, ensemble. « Avec sou­plesse », rit- elle. « J’aime Jérôme. Ce que je n’aime plus, c’est le quo­ti­dien impo­sé 24 heures sur 24 avec l’autre. La rela­tion de couple hété­ro clas­sique telle que je la vois main­te­nant, au fond, c’est une bizar­re­rie. Tu dois tout attendre d’une seule per­sonne.

"Les couples non coha­bi­tants incarnent bien une ver­sion ultra­mo­derne de la rela­tion amoureuse” 

Arnaud Régnier-​Loilier, sociologue

Dans les autres rela­tions, fami­liales, ami­cales, on s’en va et on revient. On ne fonc­tionne pas en conti­nu. On s’appartient. » Elle pour­suit : « Notre his­toire a com­men­cé quand j’avais 21 ans. Jérôme était sou­vent par­ti pour son tra­vail. Il avait déjà deux jeunes enfants, dont je me suis beau­coup occu­pée. Ensuite, notre fille est arri­vée. Il y a clai­re­ment un enjeu fémi­niste dans ma démarche : rendre à mon conjoint des res­pon­sa­bi­li­tés dont il s’est déchar­gé sur moi pen­dant des années et dont je ne veux plus. J’ai beau­coup ten­té de négo­cier ma charge men­tale avant d’en arri­ver là. Et j’ai obte­nu beau­coup de choses quant aux tâches ména­gères. Mais cela ne fait pas tout. Je pou­vais lui deman­der quatre fois de pré­ve­nir l’école quand ma fille était absente : il oubliait. Parce qu’au fond il savait que j’allais le faire. Pour moi, c’est dif­fi­cile aus­si, en étant pré­sente, de ne pas faire les choses. Il faut se reti­rer du sys­tème pour qu’il fonc­tionne sans toi. Et ça marche… Pendant une semaine où j’étais absente, il se trouve que Jérôme m’avait deman­dé d’appeler l’école de Téa pour une absence. Mais j’ai oublié : je n’étais pas en charge. À mon tour, “j’aidais” sim­ple­ment, sans être res­pon­sable ! » La déco­ha­bi­ta­tion seule per­met une décons­truc­tion réelle, et pas seule­ment théo­rique, des rôles de genre.

Pour Arnaud Régnier-​Loilier, les couples non coha­bi­tants incarnent bien une ver­sion ultra­mo­derne de la rela­tion amou­reuse : la « rela­tion pure*** », qui ne se main­tient que dans la mesure où elle rend heureux·ses les par­te­naires, sans obéir à aucune pres­sion sociale. Somme toute : une rela­tion libre ! Alors, prêt·es à déco­ha­bi­ter ; un peu, beau­coup, passionnément ?

* À com­men­cer par l’article pion­nier de Gilda Charrier et Marie-​Laure Déroff : La Décohabitation par­tielle : un moyen de rené­go­cier la rela­tion conju­gale ? Les Cahiers du genre, 2006.

** Depuis, le socio­logue Arnaud Régnier-​Loilier a chif­fré et confir­mé dans ses enquêtes cette ten­dance des couples à moins coha­bi­ter. Voir Faire couple à dis­tance. Prévalence et carac­té­ris­tiques, dans La Famille à dis­tance. Ined, 2018.

*** Arnaud Régnier-​Loilier emprunte cette notion au socio­logue bri­tan­nique Anthony Giddens, qui la théo­rise dans La Transformation de l’intimité. Sexualité, amour et éro­tisme dans les socié­tés modernes. Hachette, 2006, tra­duc­tion de Stanford University Press, 1992.


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