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© EMILIE GEIRNAERT pour Causette

Internet, refuge des humo­ristes confiné·es

Le rire est la poli­tesse du déses­poir. Alors avec la crise, les humo­ristes et autres influenceur·euses marrant·es ont repris du ser­vice, comme investi·es d’une mis­sion. Présent·es dans nos quo­ti­diens grâce aux réseaux sociaux, ils et elles ont occu­pé
le ter­rain pour le bien com­mun. Non sans mal, parfois.

C’est la pre­mière chose qui a émer­gé dès les pre­miers jours du confi­ne­ment. Toutes sortes de vidéos virales home made, de plus ou moins grande qua­li­té, par­ta­gées en masse – et jusqu’à l’écœurement par­fois – sur les groupes WhatsApp de nos télé­phones. Clairement, face à l’angoisse, il fal­lait rire. Puis, les humo­ristes professionnel·les ont pris le relais. 

Lison Daniel, créa­trice du compte Instagram Les Caractères, a illu­mi­né nos quo­ti­diens confi­nés. Sa vidéo dans laquelle elle joue Isabelle, une grande bour­geoise qui se demande dans quelle mai­son secon­daire elle va bien pou­voir se reti­rer, a été ultra­vi­rale. Et l’a donc encou­ra­gée à mul­ti­plier les pro­po­si­tions. On a alors décou­vert Yvan, le psy en télé­con­sul­ta­tion ; Rebecca, la res­pon­sable mar­ke­ting en pleine crise exis­ten­tielle ; ou encore Jérôme, le coach spor­tif beau­coup trop impli­qué. En cette période de crise, Lison Daniel, qui œuvre depuis trois ans déjà sur Insta, a tenu à pos­ter des vidéos plus régu­liè­re­ment, répon­dant à une vraie demande : « Je rece­vais beau­coup de mes­sages de gens qui me disaient que ça leur fai­sait du bien. Même des infir­mières et des méde­cins qui me confiaient que ça leur chan­geait les idées entre deux gardes… Comme je ne me sens pas très utile en ce moment, et assez impuis­sante, je me suis dit que ce serait bien d’en faire un petit peu plus. C’est une façon de mettre la main à la pâte, à ma manière. Je me dis que c’est bien si je peux mettre du baume au cœur aux gens. »

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© Emilie Geirnaert pour Causette

Tristan Lopin, humo­riste et comé­dien, a lui aus­si essayé de pro­duire du conte­nu qui fait du bien via son compte Instagram. « J’essaie de pos­ter régu­liè­re­ment, de faire des trucs qui soient vrai­ment rigo­los, un peu plus funs et plus recher­chés que d’habitude pour déga­ger des éner­gies posi­tives. » Il se déguise, s’adonne à des cho­ré­gra­phies endia­blées sur du Shakira et par­tage ses doutes de confi­né au second degré. Et cela fait son effet : « Les gens réagissent beau­coup plus à mes sto­ries. Je reçois des mes­sages très posi­tifs, on me dit que c’est une bouf­fée d’air frais en cette période un peu plus com­pli­quée. Et depuis le confi­ne­ment, mes sto­ries sont quand même plus regar­dées qu’avant… Ces der­niers jours, j’étais envi­ron à 60 000 per­sonnes qui les regar­daient. Contre 40 000 à 50 000 avant. Ça fait quand même une bonne dizaine de mil­liers de per­sonnes en plus. » Lison Daniel a, elle aus­si, vu bon­dir le nombre de ses abonné·es. Sa vidéo virale a été si par­ta­gée qu’elle lui a ame­né près de 80 000 nou­veaux abonné·es sur Instagram. Pour elle, ce fort engoue­ment s’explique par un besoin fon­da­men­tal. « Je vois bien que ce qui marche en top de strea­ming, c’est Louis de Funès. Pas Apocalypse Now. » Tout est dit.

Faire rire quand ça craint !

Mais mal­gré la demande, il n’est par­fois pas si évident de faire rire en temps de crise : pro­duire du diver­tis­se­ment demande beau­coup de tra­vail et d’implication émo­tion­nelle. Yugnat999, sui­vi par près de 432 000 abonnés·es sur Insta pour ses mèmes – des images détour­nées accom­pa­gnées d’une petite phrase humo­ris­tique –, a dû s’adapter à la situa­tion : « J’avoue que j’ai du mal à trai­ter de sujets un peu tri­viaux en ce moment. Habituellement, mon ins­pi­ra­tion vient de mes échanges sociaux et de ma vie de tous les jours, et comme cette der­nière est très limi­tée à cause du confi­ne­ment, je suis moins “pro­duc­tif”. On tourne en rond, chez nous, dans nos têtes, moi, dans mes blagues. » Mais le maître du fran­glais a su se réin­ven­ter : « Quand il y a des annonces impor­tantes du gou­ver­ne­ment ou des nou­velles qui sortent un peu de notre ordi­naire de qua­ran­taine, j’essaie d’en pro­fi­ter un maxi­mum pour offrir aux gens un truc un peu dif­fé­rent de ce que je peux produire. » 

Un besoin presque vital

Sophie-​Marie Larrouy, entre autres autrice, comé­dienne, humo­riste et ani­ma­trice du génial pod­cast À bien­tôt de te revoir, explique avoir eu du mal à faire rire sur les réseaux sociaux durant les pre­mières semaines de confi­ne­ment. Parce que cette crise l’angoissait et ren­dait la créa­tion dif­fi­cile, certes, mais aus­si parce que, selon elle, faire de l’humour reve­nait à jouer le jeu de nos res­pon­sables poli­tiques. « Au début, je n’avais pas envie de dédra­ma­ti­ser le confi­ne­ment parce que, quelque part, ça fai­sait écho à ce qu’avait fait le gou­ver­ne­ment. Ça me gênait d’avoir l’impression de par­ti­ci­per à cette propagande-​là… On a vrai­ment mis les gens en dan­ger et, au-​delà de ça, on les a mis en dan­ger avec le libé­ra­lisme. J’étais tel­le­ment outrée par ce qu’il s’était pas­sé, par la manière qu’avait le gou­ver­ne­ment de ne pas prendre en compte le mal-​être des gens, que je n’avais pas envie de faire de blagues. » Mais alors qu’elle donne un live Instagram – auquel se connectent trois fois plus de per­sonnes que d’habitude –, elle se rend compte, elle aus­si, de l’état dans lequel est la popu­la­tion. « J’ai eu une sorte de déclic à ce moment-​là : les gens étaient vrai­ment en panique, ils étaient aban­don­nés par leur État… Et je n’aime pas trop ça… ». Elle reprend alors ses acti­vi­tés sur les réseaux sociaux et enre­gistre de nou­veaux pod­casts en rece­vant ses invité·es par visio­con­fé­rence, pour le plus grand bon­heur des inter­nautes et des « audi­teu­rices », comme elle dit. 

Si celles et ceux qui nous font rire ont été si suivi·es sur les réseaux sociaux en cette période de crise, c’est parce que l’humour est un moyen indé­niable de sup­por­ter des moments dif­fi­ciles. David Le Breton, pro­fes­seur de socio­lo­gie à l’université de Strasbourg et auteur de Rire. Une anthro­po­lo­gie du rieur (éd. Métailié, 2018), explique que le rire per­met de reprendre le contrôle sur une situa­tion qui nous dépasse. Selon lui, « c’est une manière d’opposer une sorte de désin­vol­ture face à une situa­tion qui nous pèse énor­mé­ment, voire de s’échapper de la situa­tion. Cela per­met alors de ren­for­cer nos res­sources inté­rieures pour tenir le coup. » Et rire, c’est aus­si faire front : « À l’heure de cette crise sani­taire, je le vois comme une forme de résis­tance, comme un refus que le virus nous dicte notre conduite, une manière de le nar­guer, d’avoir le der­nier mot », ajoute-t-il.

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© Emilie Geirnaert pour Causette

Dans un contexte de confi­ne­ment et donc d’isolement, les humo­ristes auront aus­si par­ti­ci­pé à créer du lien. « L’humour est une manière de recréer de la rela­tion, parce que, par défi­ni­tion, il nous réunit. Durant cette crise, on observe un rire de soli­da­ri­té qui per­met d’avoir le sen­ti­ment qu’on n’est pas seul face à la mala­die. On rit ensemble, on tient bon ensemble », conclut David Le Breton. Un sen­ti­ment par­ta­gé par Tristan Lopin, qui pra­tique un humour d’identification : « J’ai l’impression que mes vidéos créent un mou­ve­ment de groupe, une sorte de dyna­mique avec les gens. C’est un peu donnant-​donnant : je reçois de bonnes ondes par leurs mes­sages, et j’ai l’impression d’en envoyer aus­si. » Sophie-​Marie Larrouy raconte, quant à elle, que les per­sonnes qui la suivent se ren­contrent et deviennent par­fois amies, grâce à un compte créé par sa com­mu­nau­té, durant le confi­ne­ment, sur la pla­te­forme de dis­cus­sion Discord. « Ça crée une sorte de cercle ver­tueux. Les gens, qui eux-​mêmes sont sou­vent vrai­ment plus mar­rants que moi, se retrouvent entre eux, avec un humour com­mun… » Et selon elle, cela entraîne une cer­taine « sécu­ri­té émo­tion­nelle de se retrou­ver entre pairs. C’est presque un besoin pri­maire en ce moment. Et il y a un truc dans le fait de rire : c’est que ça te met en sécu­ri­té. T’as com­pris la blague, t’es capable de rigo­ler. Ton cer­veau, ta chi­mie se disent “ah OK, il n’y a pas que l’angoisse, d’accord »… ». Alors qu’importe l’avenir incer­tain, les crises sani­taire et éco­no­mique. Tant que l’humour est là, nous sommes sauvé·es. 

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