CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE200908 RdL 0008 original
© Christophe Raynaud de Lage

Camille Chamoux : « VGE s’est entou­ré des cer­veaux fémi­nins les plus enthou­sias­mants du 20ème siècle, Françoise Giroud et Simone Veil en tête »

La comé­dienne Camille Chamoux avait eu la bonne idée en 2014 de dépeindre les années Giscard dans son spec­tacle Née sous Giscard. Interview sur ce qu'il reste désor­mais du man­dat du pré­sident décé­dé le 2 décembre.

Valéry Giscard d'Estaing n'est plus, et sa dis­pa­ri­tion à l'âge de 94 ans nous fait redé­cou­vrir ce pré­sident aris­to de droite mais libé­ral sur les mœurs. Arrivé au pou­voir à 48 ans à la suite du décès de Georges Pompidou en 1974, éva­cué par François Mitterrand en 1981, Giscard aura sans doute moins brillé que d'autres, et en gar­de­ra un cer­tain res­sen­ti­ment. Ce qui ne l'empêchera pas, qua­rante ans après son acces­sion à la fonc­tion suprême, en 2014 et alors âgé de 88 ans, d'avoir assez d'autodérision pour venir voir le spec­tacle comique de Camille Chamoux, Née sous Giscard, dans lequel elle égra­tigne ce « pré­sident de la France molle » et l'époque qui va avec. À la fin de la repré­sen­ta­tion, l'ex pré­sident a même invi­té la comé­dienne à dîner. « Quand j'ai su qu'il allait venir, j'étais dans mes petits sou­liers, racon­tait la comé­dienne au micro d'Europe 1. Je vou­lais balan­cer toutes mes ran­cœurs, celle de ma géné­ra­tion X et je me suis retrou­vée comme une enfant, admi­ra­tive devant cet homme si cour­tois, si déli­cieux. » Pour Causette, Camille Chamoux revient sur la ten­dresse ambi­va­lente qui l'attache désor­mais à ces années Giscard.

Causette : Comment est née l'idée du spec­tacle Née sous Giscard ? Et le livre épo­nyme qui a sui­vi ?
Camille Chamoux :
Je res­sen­tais vrai­ment une « fat­wa » de médio­cri­té, de galère sur ma géné­ra­tion, d’impossibilité à deve­nir adultes aus­si, et beau­coup de lose, très drôle mais un peu inquié­tante. Un jour je dis à des potes : « Putain, on est nés sous Giscard, les gars, c’est le meilleur mais per­sonne s’en sou­vient, il a ni le panache de De Gaulle ni le cha­risme machia­vé­lique de Mitterand, c’est lui qui a fait plein de trucs mais per­sonne ne s’en sou­vient, c’est un mau­vais kar­ma pour notre géné­ra­tion. Un kar­ma d’aristocrate fin de race. » Le spec­tacle était né.

Est-​ce une sorte de nos­tal­gie heu­reuse ?
C.C. :
La nos­tal­gie a tou­jours une teinte heu­reuse. On met un filtre ins­ta très puis­sant sur le pas­sé. Alors que sou­vent, on s’est fait autant chier que dans le pré­sent. Je suis pour la liqui­da­tion de la nostalgie.

Vous dites qu'être née sous Giscard, c'est « avoir des bases molles ». Pour celles et ceux d'entre nous qui ne l'ont pas vécu, c'était quoi de gran­dir dans ces années-​là ? 
C.C. : Ah ! C’était comme à toutes les époques, sans le dan­ger, avec le fric et le confort comme hori­zons ultimes. J’ai gran­di avec des héros qui n’avaient aucun pro­blème : Beverly Hills, Hélène et les gar­çons, je veux dire on parle essen­tiel­le­ment de gens impec­cables qui s’éclatent dans des cafettes. Je pense à mes enfants (ils ont 2 et 5 ans) et je me dis qu’eux, c’est l’inverse par exemple : ils res­sentent que le dan­ger est par­tout, les gens sont mas­qués et les ter­rasses peuvent tou­jours explo­ser, la peur de la mala­die est plus forte que la pul­sion de vie, MAIS on leur dit aus­si : un concert est un acte de résis­tance, une soi­rée au théâtre ou un verre entre amis, un dîner fami­lial réus­si sont les MEILLEURS moments d’une vie. Aujourd’hui, les héros des fic­tions sont en lose, et c’est ça qui est bon… On a ralen­ti la course au fric, au suc­cès débile, 2020 a vrai­ment chan­gé ça. 

Comment se mani­fes­tait le conser­va­tisme de vos parents ?
C.C. : Des auto­col­lants « Giscard Président » et « Giscard à la barre dans les toi­lettes ». Le libé­ra­lisme comme doc­trine reli­gieuse. Le Point et Le Figaro comme Bible. Nous envoyer faire col­lège et lycée chez les jésuites. Après, ils ont aus­si des côtés aty­piques, voire tarés, qui les font contour­ner la norme.

Quelle est la dimen­sion comique des années 74–81 ? Ces années ont-​elles une dimen­sion plus comique que les années Pompidou ou Mitterrand ?
C.C. : Bokassa, c’est quand même une bonne poi­lade. Et don­ner aux femmes un compte en banque, puis tous les droits sur leurs corps dont elles étaient pri­vées (léga­li­sa­tion de la pilule et de l’avortement), ça devait être une bonne source de comé­die aus­si à l’époque. Non, ce qui est sur­tout comique, avec le recul, c’est cet aris­to­crate assu­mé avec une patate chaude dans la bouche aux manettes de la France. Mais n’oublions pas qu’on lui doit les plus huma­nistes des mesures des 60 der­nières années.

Avec le recul, VGE aura été le pré­sident du droit de vote à 18 ans et du droit à l'avortement. Finalement, il avait rai­son de dire à Mitterrand que ce der­nier n'avait pas le mono­pole du cœur…
C.C. : Exactement… Lorsque nous avons dîné ensemble, figurez-​vous qu’il m’avait même rap­pe­lé que c’était lui qui avait mis tout en place pour pré­pa­rer à l'abolition de la peine de mort. Mitterrand a ensuite gagné les élec­tions, et fait pas­ser le truc. Il est deve­nu le pré­sident de l’abolition de la peine de mort, mais Giscard lui avait pré­pa­ré le ter­rain… Valéry a été un pré­sident huma­niste et pour cause : il s’est entou­ré des cer­veaux fémi­nins les plus enthou­sias­mants du 20ème siècle, Françoise Giroud et Simone Veil en tête. 

À quoi res­sem­ble­rait un spec­tacle d'un·e comédien·ne né·e sous Macron ? Ce serait aus­si drôle, vous pen­sez ?
C.C. : Cynique, je dirais. 

Quelles sont vos actus ? Aura-​t-​on la chance de vous revoir jouer Née sous Giscard ?
C.C. : Non, car je crois à la puis­sance caduque du théâtre, au miracle éphé­mère d’un spec­tacle. Ma géné­ra­tion n’est plus la même depuis les atten­tats et les confi­ne­ments. On n’avait rien vécu, bin­go, on a eu notre lot… En revanche je rejoue Le temps de vivre au théâtre de la Porte Saint-​Martin du 28 au 31 décembre. J’aurai donc la chance de ter­mi­ner cette année si bizarre dans le temple de la fic­tion ! Et peut-​être avec vous ?

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Le temps de vivre, de et par Camille Chamoux, mise en scène de Vincent Dedienne, au théâtre de la Porte Saint-​Martin à Paris du 28 au 31 décembre à 19h30. Réservations par là.

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