La comédienne Camille Chamoux avait eu la bonne idée en 2014 de dépeindre les années Giscard dans son spectacle Née sous Giscard. Interview sur ce qu'il reste désormais du mandat du président décédé le 2 décembre.
Valéry Giscard d'Estaing n'est plus, et sa disparition à l'âge de 94 ans nous fait redécouvrir ce président aristo de droite mais libéral sur les mœurs. Arrivé au pouvoir à 48 ans à la suite du décès de Georges Pompidou en 1974, évacué par François Mitterrand en 1981, Giscard aura sans doute moins brillé que d'autres, et en gardera un certain ressentiment. Ce qui ne l'empêchera pas, quarante ans après son accession à la fonction suprême, en 2014 et alors âgé de 88 ans, d'avoir assez d'autodérision pour venir voir le spectacle comique de Camille Chamoux, Née sous Giscard, dans lequel elle égratigne ce « président de la France molle » et l'époque qui va avec. À la fin de la représentation, l'ex président a même invité la comédienne à dîner. « Quand j'ai su qu'il allait venir, j'étais dans mes petits souliers, racontait la comédienne au micro d'Europe 1. Je voulais balancer toutes mes rancœurs, celle de ma génération X et je me suis retrouvée comme une enfant, admirative devant cet homme si courtois, si délicieux. » Pour Causette, Camille Chamoux revient sur la tendresse ambivalente qui l'attache désormais à ces années Giscard.
Causette : Comment est née l'idée du spectacle Née sous Giscard ? Et le livre éponyme qui a suivi ?
Camille Chamoux : Je ressentais vraiment une « fatwa » de médiocrité, de galère sur ma génération, d’impossibilité à devenir adultes aussi, et beaucoup de lose, très drôle mais un peu inquiétante. Un jour je dis à des potes : « Putain, on est nés sous Giscard, les gars, c’est le meilleur mais personne s’en souvient, il a ni le panache de De Gaulle ni le charisme machiavélique de Mitterand, c’est lui qui a fait plein de trucs mais personne ne s’en souvient, c’est un mauvais karma pour notre génération. Un karma d’aristocrate fin de race. » Le spectacle était né.
Est-ce une sorte de nostalgie heureuse ?
C.C. : La nostalgie a toujours une teinte heureuse. On met un filtre insta très puissant sur le passé. Alors que souvent, on s’est fait autant chier que dans le présent. Je suis pour la liquidation de la nostalgie.
Vous dites qu'être née sous Giscard, c'est « avoir des bases molles ». Pour celles et ceux d'entre nous qui ne l'ont pas vécu, c'était quoi de grandir dans ces années-là ?
C.C. : Ah ! C’était comme à toutes les époques, sans le danger, avec le fric et le confort comme horizons ultimes. J’ai grandi avec des héros qui n’avaient aucun problème : Beverly Hills, Hélène et les garçons, je veux dire on parle essentiellement de gens impeccables qui s’éclatent dans des cafettes. Je pense à mes enfants (ils ont 2 et 5 ans) et je me dis qu’eux, c’est l’inverse par exemple : ils ressentent que le danger est partout, les gens sont masqués et les terrasses peuvent toujours exploser, la peur de la maladie est plus forte que la pulsion de vie, MAIS on leur dit aussi : un concert est un acte de résistance, une soirée au théâtre ou un verre entre amis, un dîner familial réussi sont les MEILLEURS moments d’une vie. Aujourd’hui, les héros des fictions sont en lose, et c’est ça qui est bon… On a ralenti la course au fric, au succès débile, 2020 a vraiment changé ça.
Comment se manifestait le conservatisme de vos parents ?
C.C. : Des autocollants « Giscard Président » et « Giscard à la barre dans les toilettes ». Le libéralisme comme doctrine religieuse. Le Point et Le Figaro comme Bible. Nous envoyer faire collège et lycée chez les jésuites. Après, ils ont aussi des côtés atypiques, voire tarés, qui les font contourner la norme.
Quelle est la dimension comique des années 74–81 ? Ces années ont-elles une dimension plus comique que les années Pompidou ou Mitterrand ?
C.C. : Bokassa, c’est quand même une bonne poilade. Et donner aux femmes un compte en banque, puis tous les droits sur leurs corps dont elles étaient privées (légalisation de la pilule et de l’avortement), ça devait être une bonne source de comédie aussi à l’époque. Non, ce qui est surtout comique, avec le recul, c’est cet aristocrate assumé avec une patate chaude dans la bouche aux manettes de la France. Mais n’oublions pas qu’on lui doit les plus humanistes des mesures des 60 dernières années.
Avec le recul, VGE aura été le président du droit de vote à 18 ans et du droit à l'avortement. Finalement, il avait raison de dire à Mitterrand que ce dernier n'avait pas le monopole du cœur…
C.C. : Exactement… Lorsque nous avons dîné ensemble, figurez-vous qu’il m’avait même rappelé que c’était lui qui avait mis tout en place pour préparer à l'abolition de la peine de mort. Mitterrand a ensuite gagné les élections, et fait passer le truc. Il est devenu le président de l’abolition de la peine de mort, mais Giscard lui avait préparé le terrain… Valéry a été un président humaniste et pour cause : il s’est entouré des cerveaux féminins les plus enthousiasmants du 20ème siècle, Françoise Giroud et Simone Veil en tête.
À quoi ressemblerait un spectacle d'un·e comédien·ne né·e sous Macron ? Ce serait aussi drôle, vous pensez ?
C.C. : Cynique, je dirais.
Quelles sont vos actus ? Aura-t-on la chance de vous revoir jouer Née sous Giscard ?
C.C. : Non, car je crois à la puissance caduque du théâtre, au miracle éphémère d’un spectacle. Ma génération n’est plus la même depuis les attentats et les confinements. On n’avait rien vécu, bingo, on a eu notre lot… En revanche je rejoue Le temps de vivre au théâtre de la Porte Saint-Martin du 28 au 31 décembre. J’aurai donc la chance de terminer cette année si bizarre dans le temple de la fiction ! Et peut-être avec vous ?
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Le temps de vivre, de et par Camille Chamoux, mise en scène de Vincent Dedienne, au théâtre de la Porte Saint-Martin à Paris du 28 au 31 décembre à 19h30. Réservations par là.