Melissmell, chan­son innervée

La chan­teuse à la voix rauque et au verbe haut revient le 22 avril avec un qua­trième album, Les Enfants de Maldonne. Colérique, contes­taire et vivi­fiant, comme une pul­sa­tion élec­trique dans les veines.

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Melissmell

Elle se per­çoit comme une « gué­ris­seuse par la musique », qui écrit des chan­sons d'abord pour se soi­gner elle-​même et ensuite les autres, si cela a mar­ché sur elle. « J'ai pas­sé des années à mar­cher sur le bord /​à rejoindre la marge, à frô­ler le décor /​dans ce monde inquié­tant j'ai croi­sé des tor­dus /​Mais tou­jours évi­té la valse des pen­dus », chante ain­si Melissmell dans Petite chan­son du maquis, en ouver­ture de son nou­vel album. A 41 ans, l'artiste née en Ardèche sort un qua­trième opus, Les Enfants de Maldonne, dans lequel elle oscille entre saine révolte contre l'injustice de notre socié­té et espoir d'un sur­saut col­lec­tif créant les moyens du changement. 

La « Maldonne », la chan­teuse l'a bien connue. Celle dont la voix rauque et puis­sante lui per­met de por­ter des titres où le chant se fait cri pour déployer la rage a connu les impasses et même la rue. Jeune adulte, Mélanie Coulet de son vrai nom perd son toit plu­sieurs fois et « crèche à droite à gauche », jusqu'au jour où la seule solu­tion devient « une tente plan­tée dans le Bois de Vincennes, avec des copains ren­con­trés sur le trot­toir ». Cela dure un an et demi et la pudeur s'installe dans la voix de Melissmell quand on cherche à lui faire racon­ter. « En tant que femme, de mon point de vue, c'est très dan­ge­reux », lâche-​t-​elle pour conclure la conver­sa­tion sur cette par­tie de sa vie. Melissmell pré­fère racon­ter la soli­da­ri­té, comme lorsque au début des années 2000, elle habite à L'Isle-sur-la-Sorgue dans le Vaucluse et se rend tous les mer­cre­dis béné­vo­le­ment dans un centre social qui accueille des per­sonnes por­teuses d'handicap – moteur ou psy­chique – et anime des ate­liers d'art thé­ra­pie. Encore cette notion d'art qui répare et console. 

Maraudes avec les Restos du cœur

Rien d'étonnant donc que le pre­mier clip issu des Enfants de Maldonne mette en images la chan­son Bérézina et immerge le public dans une maraude des Restos du cœur de Rouen (la barou­deuse vit aujourd'hui dans une petite ville à côté). Ouvert sur une cita­tion de Coluche – « C'est pas vrai­ment de ma faute si y en a qui ont faim, mais ça le devien­drait si on ne chan­geait rien » – il montre le dis­cret mais si noble tra­vail des béné­voles de l'association pour tendre la main aux miséreux.euses qui peuplent les trot­toirs de nos villes. « On peut encore dis-​moi déci­der ce qu'on s'aime, on peut s'aimer quand même, chante Melissmell. On peut encore dis-​moi évi­ter la béré­zi­na. »

Pour les quinze titres des Enfants de Maldonne, Melissmell s'est entou­rée d'une bande d'hommes qu'elle admire et qui cor­res­pon­daient aux mor­ceaux – un jour, dit-​elle, elle aime­rait faire un album avec des artistes femmes. Bien sûr, il y a sur cet album les Ogres de Barbak, indis­pen­sables à l'équilibre musi­cal de Melissmell : « Avec leur sens des mélo­dies, les Ogres adou­cissent mon côté brut de pomme, dit celle qui a fait leur pre­mière par­tie durant une tour­née. Leur his­toire et leur par­cours corr­res­pondent, ils se battent pour un monde serein, ils ont embar­qué beau­coup de monde sur la route et je leur serai éter­nel­le­ment recon­nais­sante de m'avoir mon­tré le che­min. » Mais aus­si, pêle-​mêle, voi­ci donc les talen­tueux Imbert Imbert, Christian Olivier (des Têtes Raides), Denis Barthe (Noir Désir) ou encore Matu (Indochine, Mano Solo), Guillaume Favray au ser­vice de la niaque retrou­vée de celle qui avait lais­sé son public en 2016 avec l'album L'Ankou. Si l'Ankou annonce la mort dans le folk­lore bre­ton, Les Enfants de Maldonne pro­mettent la renais­sance, notam­ment sur des titres comme Eldorado ou Phoenix.

L'hymne "Aux armes"

La der­nière fois que Causette l'avait ren­con­trée, c'était il y a pile dix ans, en 2012. La chan­teuse s'était faite notam­ment connaître avec Aux armes, une réin­ter­pré­ta­tion de l'hymne natio­nal fran­çais, com­po­sé en 2008 dans un moment de dégoût face à un pays qui a à ses yeux per­du la bous­sole de sa devise « Liberté, éga­li­té, fra­ter­ni­té ». Le titre est deve­nu depuis un hymne pour tout ce que la France compte de contes­ta­taires reven­di­quant de la jus­tice sociale, des Anonymous aux Gilets jaunes en pas­sant par la France insou­mise, qui lui a deman­dé de chan­ter lors de rassemblements.

2012 et 2022 : par deux fois et par hasard, l'échange entre Causette et Melissmell s'est fait à la veille d'une élec­tion pré­si­den­tielle. A l'époque, esso­rée par cinq ans de sar­ko­zysme devant débou­ter sur l'arrivée de François Hollande, elle balan­çait joyeu­se­ment des choses comme ça : « Et ben, moi, je chie dans l’urne ! » Gonflée, celle qui se décri­vait comme « conster­née, impli­quée, mais pas enga­gée ». Elle s'en expli­quait ain­si : « J’ai cra­mé ma carte d’identité en chan­tant Les Petits Papiers, de Gainsbourg. Je me suis cra­mé la main et j’ai mis le feu à mon bureau. Donc, voi­là, je n’appelle pas aux urnes, mais à la res­pon­sa­bi­li­té de cha­cun. Chacun doit s’occuper de sa révo­lu­tion inté­rieure ; si on veut un chan­ge­ment, c’est chez soi qu’il faut le faire. C’est ça, mon enga­ge­ment, si j’en ai un. »

"Le trou­peau te rattrape"

Depuis, Melissmell est deve­nue mère d'un petit gar­çon, il y a deux ans, et comme tant d'autres, cette paren­ta­li­té la res­pon­sa­bi­lise. « Je suis tou­jours une grosse anar­chiste à n’avoir ni dieu ni maitre, sourit-​elle. Seulement, le trou­peau te rat­trape, on peut pas être tou­jours dans la pos­ture en dehors. Face à une crise aus­si grande [sociale et éco­lo­gique, ndlr], on va être tous dans le même bateau et il va fal­loir s’entendre. Il faut aller voter parce que c’est le seul droit qu’il nous reste. Je me sens res­pon­sable, j’ai un enfant, je me dois d’aller voter pour son ave­nir. »

Mais puisque Jean-​Luc Mélenchon, le can­di­dat qui por­tait l'espoir de Melissmell pour une sixième République, a à nou­veau raté la marche du deuxième tour de l'élection ce 10 avril 2022, il reste à l'artiste ses chan­sons qu'on sent désor­mais pleines de matu­ri­té et d'ores-et-déjà tour­nées vers l'après Bérézina. Dans Notre siècle a vingt ans, elle s'adresse ain­si à la géné­ra­tion qui vient : « Que feras-​tu des len­de­mains ? Oseras-​tu prendre la main ? Lèveras-​tu le doigt en l'air, dire aux puis­sants d'aller se faire ? » En fait, Melissmell chante comme d'autres haranguent avec des « Hauts les cœurs ! » : « La vois-​tu briller, seule au fir­ma­ment, l'étoile du ber­ger ? », questionne-​t-​elle dans la jolie bal­lade L'étoile du ber­ger, la voix encore tiraillée mais presqu'apaisée.

Mais avec Melissmell, la colère com­bat­tive ne s'éteint jamais. Pour preuve, ce mor­ceau qui vient conclure l'album, Putain de miracle, incan­ta­tion rageuse écrite au soir de l'attentat de Charlie Hebdo, le 7 jan­vier 2015. Elle aurait pu la sor­tir « de [son] pla­card » sur L'Ankou, l'album pré­cé­dent, mais jugeait « qu'elle n'était pas prête à être enten­due ». Dans son pla­card de gué­ris­seuse par l'expression artis­tique, il y a aus­si le pro­jet d'un mou­ve­ment col­lec­tif inti­tu­lé Organisation d’appel au ras­sem­ble­ment et mélange des arts (OSARMA, pour son­ner comme Aux armes). Melissmell invite les lec­trices inté­res­sées à rejoindre l'aventure en lui écri­vant à cette adresse.

Pochette NouvelAlbum Melismell 2022

Les Enfants de Maldonne, de Melissmell, sor­tie le 22 avril. En concert le 31 mai au Café de la danse à Paris.

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