Les jumelles franco-cubaines convoquent leur magie des harmonies sur Spell 31, un troisième album rayonnant qui met du baume au cœur.
!["Spell 31" d'Ibeyi : l'appel aux âmes 1 RPA 210903 IBEYI 04 031 RGB F1](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/05/RPA_210903_IBEYI_04_031_RGB_F1-1024x1024.jpg)
Printemps 2020. Comme tout le monde, les sœurs Naomi et Lisa-Kaindé Diaz, réunies sous le pseudo Ibeyi (« jumelles », en yoruba), sont assignées à résidence. Pour s’occuper, la seconde décide de suivre en ligne une série de cours diffusés via Zoom par Aditi Jaganathan, une chercheuse à la Goldsmiths University à Londres. Le copieux programme de « Rhythm, Race, Revolution » s’intéresse au rôle transformateur que joue la musique sur différents terrains (antiracisme, féminisme, décolonialisme, mouvements de libération). Cet apprentissage marque profondément l’artiste et donne le ton de Spell 31, le troisième album d’Ibeyi.
Pour les Franco-Cubaines de 27 ans, la musique est bien plus qu’un arrangement de notes qui conduit à une soul mélancolique, envoûtante et métissée. C’est une philosophie, un mode de vie au croisement de la vibration créative et de la spiritualité, une célébration de leur sororité à toute épreuve (leur nouveau morceau Sister to Sister).
« Durant le cours du Dr Aditi, j’ai découvert l’existence des sangoma, raconte Lisa-Kaindé, dans les locaux parisiens du distributeur français de son label anglais. Ce sont des guérisseurs d’Afrique du Sud qui tombent malades s’ils n’acceptent pas leur vocation, s’ils n’embrassent pas leurs pouvoirs ou n’honorent pas leur lien avec les ancêtres. » Les sangoma ont donné leur nom à la chanson d’ouverture de Spell 31. Les musiciennes sont elles aussi des guérisseuses. « Avec ce qui s’est passé, ces deux dernières années, nous avons eu envie d’apaisement, de panser nos plaies, souligne Lisa-Kaindé. En partant de nos joies et de nos peines, on espère toucher les gens qui nous écoutent, qu’ils se reconnaissent en nous. » Il ne reste plus qu’à répandre la bonne parole. « J’ai appelé Naomi pour lui dire qu’Ibeyi était en quelque sorte une église à ciel ouvert. Elle m’a répondu : “Oui, mais une église où l’on peut twerker”. » Voilà une jolie manière de résumer le syncrétisme musical des demoiselles qui chantent en espagnol, en yoruba et en anglais. Elles prêchent dans un temple sans dogme et sans frontières d’où s’élève vers les cieux leur gospel électro-vaudou.
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Le titre Spell 31 fait référence à une prière du Livre des morts des anciens Égyptiens, un ouvrage que Richard Russel, leur producteur et patron du label XL Recordings, leur a tendu pendant l’enregistrement. Il témoigne de la façon dont les sœurs Diaz convoquent dans leurs harmonies les esprits de leurs proches défunt·es. « Nous essayons de les garder avec nous pour prolonger leur héritage », souligne Naomi, moins bavarde que sa frangine. à 11 ans, elles ont perdu leur père, le talentueux percussionniste Anga Diaz, compagnon du Buena Vista Social Club. « La mort nous a toujours guidées d’une certaine façon, confie Lisa-Kaindé. Dès le début, nous avons chanté pour lui. » La meilleure façon de ne pas oublier les disparu·es est de citer leurs noms. C’est chose faite dans le morceau Los Muertos, bouleversant mémorial sonore. C’est bien connu, la musique adoucit les morts.
Spell 31, d’Ibeyi. XL Recordings/Beggars. Sortie le 6 mai. En concert au festival We Love Green, le 5 juin. En tournée à partir du 2 juin.