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© Natalia Kovachevski

Mathilde : la haine en ligne n’aura pas sa voix

Féministe et engagée, la chanteuse qui s’est fait connaître en participant à The Voice creuse son sillon artistique avec un nouvel album prévu en mars. Et ce, malgré le cyberharcèlement quotidien qu’elle subit de la part de milliers de personnes grossophobes et antiféministes déterminées à – purement – l’empêcher d’exister.

Lorsqu’on lui demande comment elle tient face au torrent de haine qui l’assaille quotidiennement et qui en aurait découragé plus d’une, c’est une évocation de bataille navale collective qui vient aux lèvres de Mathilde. “Quand je perds pied et que j’oublie que je suis une femme forte, je me rappelle que mon rôle est d’être à la proue du navire de tête. Dans l’incroyable flotte de navires que nous sommes avec ma communauté, il y a des gens qui agissent dans l’ombre comme des sous-marins, d’autres qui sont des réservistes, là en soutien. Moi, j’opère comme brise-glace, cela fait partie de mon caractère, il n’y a pas de problème”, déroule-t-elle à Causette. L’image est à la hauteur du parcours artistique de la chanteuse aux plus de 60 000 abonné·es Instagram, qui met la puissance de sa voix au service d’une “pop à textes” : depuis qu’elle a été révélée par la saison 4 de The Voice en 2015, Mathilde essuie des moqueries grossophobes et un harcèlement constant de milliers d’internautes en raison de ses prises de position féministes et intersectionnelles.

Rien ne les arrête. Regroupé·es dans un groupe Facebook dédié à leur obsession pour l’autrice-compositrice-interprète de bientôt 40 ans, quatre mille personnes s’esclaffent chaque jour depuis décembre 2022 autour de détournements dégradants de l’image de Mathilde, qu’ils surnomment “Fathilde” ou “Grathilde”. Le nom de ce groupe Facebook : “Neurchi [verlan de ‘chineur’, ndlr] de sororité envers les sœurs captives en sucre fin et sans sel”, au croisement de leur détestation envers les personnes grosses et les féministes. Comme souvent dans les phénomènes de haine en ligne, le sentiment d’impunité est tel que nombreux·euses sont ces hater·euses qui diffusent ces contenus insultants en affichant leurs noms. En avril 2023, ce groupe avait fait l’objet d’une enquête de Numerama qui montrait qu’au-delà de quelques leaders masculinistes et proches des idées d’extrême droite, le groupe rassemblait surtout Monsieur et Madame Tout-le-Monde : “Un jeune papa qui diffuse des photos de son enfant, un membre des forces de l’ordre de Belgique, un autre encore qui affiche son soutien à la lutte contre le cancer du sein, ou bien un internaute qui déplore la mort de Lucas, jeune homme gay harcelé par ses camarades de classe.”

Tentatives de sabotage

Il faut dire que les harceleur·euses de Mathilde se sont engouffré·es dans le boulevard au mépris grossophobe que leur avait offert dès 2015 Nicolas Canteloup, sur Europe 1, alors l’une des radios parmi les plus écoutées de France. L’humoriste s’était abaissé à renommer la candidate de The Voice “Margarine” dans l’un de ses sketches. Ainsi, depuis ses débuts et son premier album, Je les aime tous, sorti en 2016, Mathilde doit composer avec un constant bruit de fond autour de son physique. “La grossophobie, c’est la dernière discrimination acceptable, même au niveau étatique puisqu’elle n’est pas reconnue comme une discrimination qui tombe sous le coup de la loi, observe la chanteuse. La société la tolère sous couvert de préoccupations pour la santé de la personne que l’on raille.”

Jusqu’ici, Mathilde avait choisi de ne pas engager de démarches pour faire fermer le groupe Facebook qui la cible. Mais depuis quelques mois, cette haine en ligne déborde dans la vie réelle, à coups de tentatives de sabotage de sa carrière artistique. “Des gens se sont mis à contacter les personnes qui me bookent, qu’il s’agisse de salles de concert ou de festivals engagés pour me dénigrer et tenter de faire annuler ma présence”, retrace-t-elle à Causette. Le procédé est aussi grossier que celles et ceux qui l’emploient : de l’artiste qui se décrit volontiers comme “anarcho-féministe” et que l’on aperçoit régulièrement dans les cortèges du 8 mars ou du 25 novembre, ils et elles essaient de salir la réputation. “Ils appellent pour dire aux festivals : ‘Attention, cette femme est misogyne ou transphobe’, ou même carrément ‘fasciste’”, soupire celle qui, fort heureusement, a pu compter jusqu’à présent sur le bon sens et le soutien des personnes contactées.

Face à ce qui ressemble à un lâche acharnement pour l’empêcher d’exister, Mathilde a le cuir tanné. La native de Paris, qui réside actuellement dans le Berry, est une survivante des violences conjugales, épisode qui a forgé son féminisme. Mais alors que le deuxième album de Mathilde, intitulé La Nuit, le Jour, s’apprête à sortir le 1er mars prochain, le temps est venu pour l’artiste d’arrêter les frais d’un harcèlement qui se fait de plus en plus oppressant. Le 19 janvier dernier, Mathilde lance un appel officiel à sa communauté pour signaler le groupe nauséabond à Facebook (par principe, car elle n’en attend pas grand-chose) mais surtout à Pharos, la plateforme gouvernementale dédiée aux crimes et délits en ligne. “Je vous demande de m’aider moi […] pour que vous puissiez, je n’espère que ça, vous frayer dans mon sillage un chemin vers la liberté et l’affirmation de vous-même vous aussi”, écrit-elle. La démarche semble avoir été entendue : de nombreux·euses internautes lui ont écrit pour lui dire qu’ils et elles avaient contacté Pharos mais aussi que l’URL du groupe Facebook était désormais inaccessible, signe que ses administrateur·rices ont décidé de le passer en privé pour faire (pour l’heure) profil bas.

"Le monde à l'endroit"

Une preuve de l’engagement de sa communauté qui offre à Mathilde un peu d’oxygène dans un contexte devenu irrespirable. “Ce n’est pas que ce n’était pas grave avant, mais je parvenais à trouver la force de passer outre, pose celle qui prend des anxiolytiques pour faire face. Mais là, en s’attaquant à ce qui pour moi est de l’ordre du vital – c’est-à-dire le fait de pouvoir chanter mes chansons –, ils m’ont atteinte. En appeler à l’action de ma communauté, c’est aussi une manière de me sentir entourée parce qu’au quotidien, je suis en fait très seule pour gérer tout cela. Ça m’a rassurée, je me suis dit : ‘C’est bien, le monde est encore à l’endroit’.”

En parallèle, Mathilde s’est rapprochée d’une avocate pour préparer un dépôt de plainte afin de neutraliser ses harceleur·euses… Et tente, bon gré mal gré, de se concentrer sur la sortie imminente de son album. On y trouvera, c’est sa signature, des chansons à textes, d’amour (La nuit, le Jour) et engagées. Féministes évidemment (Martyre de la cause, Le Corps des femmes), mais aussi sur le nouveau mal du siècle, l’écoanxiété (Je me souviens).

Pour la sortie de son dernier single, J’veux plus mentir“Peut-être ma chanson la plus honnête jusque-là”, confie-telle à Causette –, la chanteuse a fait le choix de tourner un clip où elle apparaîtra sans maquillage. Un parti pris en pied de nez pour celle que les hordes malveillantes d’internautes renvoient sans cesse à son physique. “Les illusions bidon, les semblants, les fictions, c’est fini”, entonne-t-elle sur le titre calibré pour devenir un hymne à la confiance en soi repris en manifs.

Service d'ordre

Reste qu’à la veille de la sortie de ce deuxième album, l’artiste n’a pas droit à la légèreté et à la sérénité qui devraient accompagner l’aboutissement d’un travail de création et d’enregistrement de plusieurs années. “Avec la production, nous craignons que le harcèlement déborde physiquement lors de la tournée et avons pris la décision d’allouer un budget à ma protection personnelle”, révèle Mathilde. Une double peine financière qui laisse un goût amer à celle qui se bat pour vivre de son art en tant qu’artiste indépendante.

Alors, si 2024 marquera ses 40 ans en décembre, on souhaite à Mathilde que cette année soit celle de la mise hors d’état de nuire de ses harceleur·euses. Pour qu’un jour on puisse évoquer l’artiste sans cet encombrant décor haineux. Autre chose ? “Pour mes 40 ans, je voudrais de la joie, réfléchit-elle. On n’y pense jamais à la joie, mais… À 40 ans, je vais commencer à compter les années à l’envers. Je n’ai plus le temps de m’embarrasser des choses qui ne me font pas kiffer. Je veux de la joie, pour moi et tous ceux que j’aime. Que ma joie demeure.” Amen. 

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