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Clara Ysé (©Olivier Metzger)

Avec son pre­mier album "Oceano Nox", Clara Ysé se mue en magi­cienne des temps modernes

Après un pre­mier EP remar­qué en 2019, Clara Ysé entre dans la cour des grande·es avec son pre­mier album, Oceano Nox, une col­lec­tion de chan­sons puis­santes et mys­tiques, por­tée par sa voix aux accents lyriques.

Près d'une fenêtre ouverte, dans une grande salle de son label Tôt Ou Tard, en plein cœur du XIe arron­dis­se­ment de Paris, Clara Ysé tire sur la der­nière clope de son paquet de ciga­rettes. La chan­teuse, à la longue che­ve­lure brune, semble à la fois sereine et un brin stres­sée. Il y a de quoi. On la ren­contre deux semaines seule­ment avant la sor­tie de son très beau pre­mier album, Oceano Nox, paru ce ven­dre­di. Après un pre­mier EP remar­qué en 2019, Le monde s'est dédou­blé, qu'elle a auto-​produit, l'artiste, âgée de 30 ans, entre dans la cour des grande·es avec une col­lec­tion de chan­sons puis­santes et mys­tiques, por­tée par sa voix si carac­té­ris­tique, aux accents qua­si lyriques. Des titres, pour beau­coup, emprunts d'un fémi­nisme fort, por­té par des paroles poé­tiques et d'une rare élé­gance. Comme le mor­ceau d'ouverture, Pyromanes, qui appelle à la révo­lu­tion, Douce, qui sou­ligne la mul­ti­pli­ci­té des femmes et rejette l'assignation à la seule dou­ceur, ou Souveraines, hom­mage gran­diose à toutes les figures fémi­nines qui l'ont marquée.

Rendre audible un cri

Aussi loin qu'elle s'en sou­vienne, chan­ter a tou­jours été une évi­dence. « Depuis que je sais par­ler, je chante. Toute petite, je chan­tais toute la jour­née et je disais que je devien­drais chan­teuse », assure Clara Ysé, qui a gran­di à Paris, dans le XIVe arron­dis­se­ment. Cela ne tombe pas dans l'oreille d'une sourde. Au moment du divorce de ses parents, le peintre Bruno Dufourmantelle et la phi­lo­sophe Anne Dufourmantelle, sa grand-​mère cherche une acti­vi­té pour l'occuper, dans cette période pas évi­dente. Cette der­nière ren­contre alors, à cette époque-​là, la chan­teuse lyrique et pro­fes­seure Yva Barthélémy, avec qui le cou­rant passe. Dans son agen­da rem­pli de cours avec des professionnel·les de tout l'Europe, elle trouve une place pour Clara Ysé, alors âgée de 8 ans, la casant en même temps que sa petite-​fille. Une révé­la­tion, pour celle qui s'initie aus­si, en paral­lèle, au violon. 

« En plus des cours que je pre­nais avec Yva, je res­tais toute la jour­née à ses côtés, pour écou­ter les artistes qui venaient la voir, raconte-​t-​elle, encore émer­veillée. Je pense que c'est l'une de mes expé­riences qui m'a le plus fait décou­vrir le fémi­nisme. Car lorsqu'il s'agissait de chan­teuses, elle pas­sait tout le cours à expli­quer com­ment la voix pou­vait prendre le plus d'espace, com­ment par telle tech­nique elle pou­vait tra­ver­ser un orchestre. Nous étions enfer­mées dans une petite pièce, avec juste un pia­no. J'étais impres­sion­née par ces voix d'opéra. Je me disais : "Putain, mais nous avons une sau­va­ge­rie de fou en nous, quelque chose de dingue à por­tée de main."»

La chan­teuse lyrique lui glisse alors deux phrases, « magni­fiques », qui l'accompagnent encore aujourd'hui : « Yva disait que le chant tra­vaille à rendre audible un cri. Je pense qu'elle par­lait du chant lyrique, mais cela s'applique aus­si au chant, en géné­ral. Elle affir­mait aus­si que les cordes vocales, en étant au niveau de la gorge, relient l'esprit et le corps. »

Chanter par­tout, tout le temps

Clara Ysé passe son enfance et son ado­les­cence à chan­ter, écrire et com­po­ser, notam­ment à la gui­tare, un ins­tru­ment qu'elle apprend en auto­di­dacte. Si elle se lance, après le bac, dans une pré­pa lit­té­raire puis dans des études de phi­lo, avant de se tour­ner vers le Conservatoire Régional de Paris, elle ne lâche pas pour autant sa pas­sion orga­nique pour la musique. Ses études l'aident à déve­lop­per son écri­ture et à façon­ner son rap­port au monde. Elle y ren­contre aus­si sa meilleure amie, Lou, avec qui elle chante par­tout où c'est pos­sible. Dans des petits bars à Paris, mais aus­si à Athènes, Florence, ou La Havane. 

À cette époque, elle orga­nise aus­si ce qu'elle appelle, en sou­riant, ses « soi­rées musique » : « À mes 18 ans, j'ai com­men­cé à invi­ter des amis chez moi pour faire de la musique. On jouait toute la nuit, dans des grands moments d'improvisation. Au fur et à mesure des années, ça a bras­sé plein de musi­ciens d'univers musi­caux très dif­fé­rents. » Un moment de par­tage à la croi­sée de mul­tiples cultures, qui rap­pelle à Clara Ysé son enfance, au contact d'une nou­nou d'origine colom­bienne et d'une grand-​mère de cœur d'origine espa­gnole, deux proches de sa famille. Des langues et influences qui se retrouvent sur son pre­mier EP, com­po­sé il y a quatre ans, dans un moment d'urgence, à la mort de sa mère. 

Pour Oceano Nox, Clara Ysé a pris plus de temps, s'octroyant même le plai­sir de publier entre-​temps un pre­mier roman, Mise à feu, en 2021. Dans ce pre­mier disque, la touche-​à-​tout brasse encore de nom­breuses influences, jouant même du dou­douk, une flûte armé­nienne. Mais elle chante exclu­si­ve­ment en fran­çais, un défi. « Je vou­lais trou­ver une ligne direc­trice forte sur cet album-​là. Il explore déjà pas mal d'endroits dif­fé­rents, donc c'était impor­tant pour moi de chan­ter dans ma langue mater­nelle. Le fran­çais est une langue très écrite, qui peut très rapi­de­ment deve­nir assez lyrique. Pour retrou­ver de l'émotion, une cer­taine bru­ta­li­té, il y a pas mal besoin d'un tra­vail de dépouillage », décrit-​elle. Pari réus­si pour l'artiste, qui, de chan­son en chan­son, se dévoile avec force, que ce soit lorsqu'elle parle de son deuil, de sa renais­sance, de son admi­ra­tion pour les femmes qui ont mar­qué sa vie ou d'un amour saphique. Clara Ysé a fait sienne les croyances de son ancienne men­tor : trans­for­mer un cri en chant.

Oceano Nox, de Clara Ysé, Tôt ou Tard

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