Érotisme poli­tique : avec sa "Chanson de Baise", Sebastien Delage célèbre les sexua­li­tés LGBT

Le 4 août 1982, la France abrogeait le « délit d'homosexualité » institué par Vichy. Quarante ans plus tard, sur un air pop-rock entêtant, le chanteur et musicien Sébastien Delage ne vous demandera qu'une chose cet été : faites du sexe, et recommencez.

SEBASTIEN 06
Sébastien Delage © Laurent Humbert

C'est hédoniste, bien sûr. Mais à l'heure où, en pleine épidémie de variole du singe, certain·es trouvent de bon ton de stigmatiser les gays qui ont une vie sexuelle très active et multi-partenaires, ça en devient presque politique. Chanson de Baise, c'est ce morceau qui colle aux oreilles et vous donne instantanément l'envie de profiter de l'instant au contact tactile d'un·e partenaire ou d'un·e inconnu·e. « On se perd dans nos regards de baise / Chauds et pervers, escarpés comme des falaises / Le verre de trop, histoire d'être à l'aise / À découvert allongés comme sur des braises », chante avec gourmandise Sébastien Delage. Un manifeste célébrant la sexualité queer, quarante ans après la dépénalisation totale de l'homosexualité, via l'abrogation du « délit d'homosexualité » institué par Vichy, qui empêchait les relations entre hommes si l'un des deux avait moins de 21 ans.

Le titre s'accompagne depuis début juillet d'un clip ultra-sexy signé Roger de la Société, où le chanteur et musicien, armé de l'élégance d'une brassée de fleurs, fait la tournée des appartements de ses amant·es pour goûter aux plaisirs de parties de jambes en l'air. Nectar issu de six heures trente de rush, elles sont filmées en plans très rapprochés, avec un grain de pellicule qui masque par moments, comme pour mieux attiser encore les sens. Forcément, la vidéo étant un peu trop explicite pour les standards YouTube, il faut aller la voir directement sur la plateforme.

Ça tourbillonne grâce à un montage presque saccadé, comme peut l'être une succession d'aventures estivales - on fera les comptes à la rentrée, l'urgence est de vivre, et de vivre fort. « Allez viens vite (du temps, j'en ai assez perdu) / Sois mon grand huit, allô Houston j'réponds plus », susurre le refrain de Chanson de Baise. L'auteur-interprète indépendant de 36 ans, grandi en banlieue nord, le dit sans ambage : « Globalement, une personne queer subit l’homophobie-transphobie toute sa vie et quasi-quotidiennement. Notre sexualité ne se construit pas si facilement, déjà parce que notre orientation sexuelle et/ou identité de genre sont depuis longtemps considérées par beaucoup comme anormales, déviantes, perverses. En exemples les récentes lois anti-LGBTQIA+ aux États-Unis, le génocide homosexuel en Tchétchénie et les innombrables agressions homophobes quotidiennes qu’on subit tous et toutes me poussent à (me) dire qu’aujourd’hui il est important d’être visiblement queer. »

Drama Queen music

Ex-membre fondateur de Hollydays passé par des labels de renom tels que Polydor et Warner, Sébastien Delage a décidé début 2020 de créer son propre label, Drama Queen music, pour être libéré de l'homophobie qu'il raconte avoir subi dans ces grandes structures. « Certes, être indépendant, c’est plus de travail, c’est plus difficile, mais ça me permet de m'affranchir du marketing des gros labels, explique à Causette celui qui entend signer d'autres artistes, à terme, sur Drama Queen. Quand j'étais avec Hollydays, un directeur artistique m'a tout de même conseillé de ne pas faire publicité de mon homosexualité afin de ne pas se couper de tout un pan du public. » Avant Chanson de baise, Sébastien Delage a sorti en octobre 2021 une autre pépite, Les Garçons de l'Été, balade chavirante au goût de sel marin, accompagnée d'un clip d'animation réalisé par Julien Hazebroucq et auréolé de quatre prix en festival.

« Carte postale Saint-Saturnin / Signée en bas par Valentin / Mon bel amant du Lubéron / Beauté cruelle sans concession. » À propos de ce titre, déjà, il avait reçu la remarque cinglante d'un oncle : « ta chanson Les Garçons de L’Été, c’est vachement gay hein ? » « Ma musique n’est pas "gay" en soit, en fonction des chansons ça serait plutôt le message qui l’est, recadre-t-il. M’aurait-on dit "ta chanson, là, elle est vachement hétéro" si j’avais été hétérosexuel que cette chanson s’appelait Les Filles de L’Été ? » Les deux titres sont disponibles sur l'EP Fou sorti en octobre 2021, qui tire son nom d'une chanson dévoilant cette fois la part mélancolique de Sébastien. « On est déjà hier / Je voudrais savoir quoi en faire / Pourtant je vais vers la lumière / Mais parfois ça ressemble à l'enfer / Et dans ma tête c'est pas très clair / Parce que j'suis fou / J'sais pas si c'est vrai et dans le fond, j'm'en fous / Mais je sais que ça bout / Et je pourrais être n'importe où / J'ai peur beaucoup. »

En attendant la sortie de son album en septembre, ces réflexions en fil rouge de son œuvre sur l'injonction à intégrer les normes ont mené l'artiste à accompagner Chanson de baise d'un joli fanzine rose pétard éponyme, distribué en ligne. Dedans, les acteur·rices du clip mais aussi des invité·es tels que la musicienne Mélissa Laveaux ou le·la bédéaste Jul Maroh livrent leur rapport à la sexualité, dans un mélange de célébration du plaisir et d'introspection. Souvent, l'idée revient du parcours sinueux qu'il faut encore entreprendre pour s'accepter soi-même quand on est queer. « Le sexe est une effrayante thérapie, observe un certain Gibier. Quand je baise, c’est toutes les barrières sociales que j’ai acquises, toutes les restrictions mentales que je me suis imposées, qui tombent une à une. L’excitation sexuelle permet ce lâcher-prise qui est à la fois libérateur et terrifiant, qui révèle une autre facette de soi plus brute, moins polie, que l’on dissimule aux autres et à soi-même. » « Je pense que rentrer dans une sincérité avec nos désirs et nos corps peut faire évoluer notre paradigme sexuel vers une dynamique d’amour et de confiance, et non de peur », semble lui répondre Arturo.

Quant à Sébastien, il espère apporter avec sa Chanson de Baise sa pierre à l'édifice de nos tolérances : « Pendant longtemps j’ai été convaincu par des voix extérieures que la sexualité était quelque chose de sale qui devait être tu et réprimé. Pire, j’ai été persuadé que la sexualité gay (queer même) était anormale, déviante, perverse. [...] Aujourd’hui, quand il est consenti, mutuellement désiré, je considère le sexe comme un espace de joie et de liberté, c’est ce que j’ai voulu dire avec Chanson de Baise. Je voulais que le clip retranscrive ça : de l’érotisme queer, inclusif, subversif mais tendre. » Et maintenant, baisons.

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