Les Goguettes (en trio mais à quatre) : confi­nées, révélées

En plein confi­ne­ment, en avril, T’as vou­lu voir le salon, sur l’air de Vesoul, de Jacques Brel, a comp­ta­bi­li­sé en quelques jours près de 4 mil­lions de vues sur Internet. Cette paro­die drôle et poli­tique est l’œuvre d’un groupe jusque-​là peu connu du grand public : Les Goguettes (en trio mais à quatre). Retour sur un incroyable phé­no­mène en com­pa­gnie de deux membres du qua­tuor, Clémence et Valentin.

© David Desreumaux
© David Desreumaux

21 avril 2020. Depuis un mois déjà, les vidéos virales tournent à fond sur nos fils de dis­cus­sion et autres réseaux sociaux. Mais alors qu’on com­men­çait à se las­ser de ces paro­dies en tout genre et plus ou moins dro­la­tiques débarque cette reprise « confil­mée » du fameux Vesoul de Brel, qui fait mouche. Tournée entre la chambre et le salon. Allez, on se repasse un petit extrait : « T’as vou­lu voir Macron, et on a vu Macron. Maintenant tout est plus clair, on sait ce qu’il faut faire. Pour pas se conta­mi­ner, il faut se confi­ner. Mais pour se décon­fi­ner, faut être immu­ni­sé. Pour être immu­ni­sé, faut se faire conta­mi­ner. Pour se faire conta­mi­ner, il faut se décon­fi­ner. CQFD. » C’est Valentin Vander, accom­pa­gné par Clémence Monnier au pia­no, qui a écrit ces paroles bien sen­ties et qui les inter­prète : « J’ai trou­vé ça drôle de rem­pla­cer Vierzon par salon, Vesoul par ma chambre. C’est un peu le seul voyage que l’on pou­vait s’offrir en temps de confi­ne­ment. Dans la chan­son ori­gi­nale, il y a une espèce de folie qui monte au fur et à mesure et cela cor­res­pon­dait à notre état d’impuissance, on était tous un peu hébé­tés face à cette situa­tion poli­tique absurde. Les gens ont été tou­chés et concer­nés par cer­tains cou­plets et ils ont eu envie de la par­ta­ger. Il y a eu un effet “exu­toire par le rire”. » 

Quels sont les thèmes abor­dés dans ce fameux Vesoul 2.0 ? Le manque anxio­gène de masques : « T’as vou­lu mettre un masque. Eh ben, y avait pas de masque. Mais je peux t’en faire un à base de Sopalin » ; les « insup­por­tables » attes­ta­tions de dépla­ce­ment déro­ga­toire : « J’ai vou­lu faire un truc de ouf, aller ache­ter de la bouffe. Mais juste au coin de la rue, un flic m’est tom­bé des­sus, j’avais pas mar­qué l’heure sur mon attes­ta­tion. Jamais une motte de beurre n’a coû­té tant de pognon. Inflation ! » ; ou encore la soli­da­ri­té pour les soignant·es seul·es au front : « À 20 heures, il faut se mettre à gueu­ler à la fenêtre pour sou­te­nir les soi­gnants en galère d’équipements. C’est les mêmes l’an pas­sé qui se fai­saient tabas­ser par la maré­chaus­sée pour avoir du bud­get, main­te­nant c’est des héros, moi je leur tire mon cha­peau. Si avec tout ça, ils deviennent pas un peu schi­zo­phrènes. Pourvu qu’ils tiennent. Qu’on s’en sou­vienne. » C’est rigo­lo, enga­gé, en prise avec notre actua­li­té directe. De quoi créer le buzz. Clémence pré­cise : « Avec cette chan­son, on n’est pas dans le pathos. On prend du recul, c’est drôle et ça fait du bien. » On ne pour­rait mieux dire. 

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Cinq cents dates à leur actif

À dire vrai, le suc­cès des Goguettes (en trio mais à quatre) ne tient aucu­ne­ment du hasard. Le groupe, com­po­sé de Clémence Monnier, Aurélien Merle, Valentin Vander et Stan, s’est créé en 2013 et, depuis, par­court la France avec des spec­tacles qui fonc­tionnent de bouche à oreille. Depuis leurs débuts, nos quatre aco­lytes ont don­né plus de cinq cents dates à tra­vers le ter­ri­toire et fait les beaux soirs du Festival off d’Avignon, qu’ils devaient refaire cette année. Ils s’apprêtaient même à rem­plir leur pre­mière Cigale, à Paris, le 7 avril. 

Tout a com­men­cé en 2009 quand Clémence et Stan se ren­contrent lors d’une scène ouverte de goguettes, au Limonaire, un petit restaurant-​cabaret pari­sien. Les goguettes, c’est cet art qui consiste à paro­dier une chan­son popu­laire en mal­trai­tant l’actualité. Un peu dans la lignée des chan­son­niers poli­tiques. Et dont ils ont fait leur spé­cia­li­té depuis. Fan de chan­sons fran­çaises, de Brassens ou de Renaud, Stan y chan­tait depuis déjà quelques années tout en tra­vaillant en tant que rédac­teur juri­dique en droit du tra­vail (eh oui, il est très calé sur le chô­mage par­tiel et tiens ! ça leur a d’ailleurs ins­pi­ré une goguette sur l’air de Message per­son­nel, de Françoise Hardy : « Oui, même si tu tombes au chô­mage par­tiel, ne crois pas que je serai infi­dèle, je t’aimerai comme Patrick aime Isabelle [Balkany, ndlr]. » Clémence com­mence à l’accompagner au pia­no : « Le Limonaire était un lieu ouvert à tous. Les gens écri­vaient des goguettes et les chan­taient. C’était très ama­teur, cer­tains chan­taient faux, pas en rythme… Il y avait une ambiance bien­veillante, c’est ça qui était génial ! »

C’est en 2010 que Clémence et Stan font la connais­sance d’Aurélien Merle et de Valentin Vander, eux aus­si habi­tués du lieu. Chacun appré­cie les paro­dies des autres. Trois années plus tard, les quatre goguet­tiers décident de s’unir pour pré­sen­ter leur tout pre­mier spec­tacle pro au Lieu-​dit, à Paris. Avec Clémence au pia­no, Valentin à la gui­tare, la bande détourne à gorge déployée les clas­siques d’Édith Piaf, de Diam’s, des Rita Mitsouko, de Brassens… Bygmalion, J’suis Fillon, NKM dans le métro, Valls t’en va pas… Tout y passe ! Pour créer leurs chan­sons, cha­cun cogite en solo, puis pro­pose les textes au groupe. Tout est ensuite peau­fi­né en com­mun et mis en scène par Yéshé Henneguelle. On les recon­naît à leur tenue de scène : che­mises rouges et cra­vates noires en hom­mage au groupe alle­mand Kraftwerk. S’ils se sont bap­ti­sés Les Goguettes (en trio mais à quatre), c’est parce qu’à leurs débuts Clémence les accom­pa­gnait au pia­no sans chanter. 

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La saveur de la goguette

Clémence et Aurélien ont gran­di près d’Angers, Valentin en Normandie et Stan à Versailles. C’est la goguette qui les a réunis. Tous sont musi­ciens : Clémence joue aus­si du cla­ve­cin et a rédi­gé une thèse de doc­to­rat en musi­co­lo­gie sur la chan­son fran­çaise au XVIIe siècle ! Son père était agri­cul­teur et sa mère ‑ins­tit, ils écou­taient beau­coup de musique en famille. Aurélien a mon­té son label de musiques actuelles, Le Saule. Valentin, lui, a appris la musique avec son père pia­niste et il est petit-​fils d’accordéoniste. Il se sou­vient : « Quand je suis arri­vé à Paris, j’ai décou­vert ce caba­ret qui ras­sem­blait des gens pour chan­ter et boire du vin. On res­tait jusqu’à pas d’heure. J’ai un peu retrou­vé ma famille en allant au Limonaire ou sur le Bateau El Alamein où on retrouve la même atmo­sphère. » Le côté jovial, c’est ce qui fait toute la saveur de la goguette : « être en goguette » est d’ailleurs une expres­sion qui date du XVe siècle, déri­vée du mot « gogue », qui veut dire réjouis­sance en ancien fran­çais. Par exten­sion, cela sous–entendait des fes­ti­vi­tés bien arro­sées et par­fois libertines.

Le 13 mars, le groupe devait don­ner un concert à Palaiseau (Essonne). Les tech­ni­ciens avaient com­men­cé à mon­ter le décor. Mais, à 13 heures, Édouard Philippe annonce que les ras­sem­ble­ments de plus de cent per­sonnes sont inter­dits. Consternation ! Les tech­ni­ciens doivent tout démon­ter. Le groupe est sous le choc, comme beau­coup de Français. Leur tour­née est annu­lée. C’est alors que la bande cherche des idées pour « se réin­ven­ter » (comme dirait Macron)… L’idée des Goguettes en vidéos fait son che­min. Clémence se sou­vient : « C’est seule­ment au bout de quinze jours, trois semaines, qu’on a eu l’idée des goguettes. Il y a eu un effet de sur­prise, car ce confi­ne­ment, on ne pen­sait pas que cela nous arri­ve­rait ! Pour Vesoul, j’ai enre­gis­tré le pia­no de mon côté, dans notre appar­te­ment pari­sien où je vis avec Stan, un autre membre du groupe. Julia, la sœur cadette de Valentin [confi­nés tous les deux dans la mai­son de leur père dans le Gers, ndlr], a mon­té le clip avec les moyens du bord. Elle est comé­dienne, mais elle a aus­si fait des études de ciné­ma. » 

Et voi­ci com­ment quatre mil­lions de Français ont alors décou­vert la goguette et nos quatre auteurs-​chanteurs-​musi-​ciens qui ont la cri­tique caus­tique facile et tapent avec une égale viva­ci­té sur tous les par­tis et les tra­vers de notre socié­té. Valentin pré­cise : « Pour écrire une bonne goguette, on va sou­vent for­cer un trait exis­tant avec iro­nie. Le second degré donne encore plus de force aux pro­pos. C’est de la satire. Plus les paroles de la goguette sont proches des paroles d’origine, plus l’exercice est réus­si, un peu magique… On est plu­tôt de gauche, mais on ne fait pas des goguettes pour expri­mer une opi­nion poli­tique par­ti­cu­lière. Et évi­dem­ment, quand on se moque de la gauche, c’est parce qu’elle est de droite. [Rires.] J’étais assez fan des Guignols, des Inconnus, des Robins des Bois… Je ne pré­tends pas que notre spec­tacle le soit, mais ça serait un peu Le Canard enchaî­né en spec­tacle musi­cal. C’est vrai­ment cet humour-​là qui nous parle. » Clémence confirme : « On n’est pas mili­tants. On est plu­tôt bien­veillants et jamais agres­sifs. Donc, on a plein de gens de droite qui nous adorent ! On a un public assez large en fait. » 

C’est repar­ti pour la tournée !

Hormis Vesoul, ils ont réa­li­sé plein d’autres goguettes confi­nées, mon­tées en majo­ri­té par le geek de la bande, Aurélien : les dénon­cia­tions et la Vichy nos­tal­gie sur l’air de Ça balance pas mal à Paris, de Michel Berger et France Gall ; La Guerre du coro­na­vi­rus, sur l’air de La Guerre de 14–18, de Georges Brassens ; Le Battement d’ailes du pan­go­lin, sur l’air du Youki, par Richard Gotainer… Succès oblige, ils vont enta­mer une grande tour­née à par­tir de sep­tembre et rema­nier leur der­nier spec­tacle Globalement d’accord, créé au prin­temps 2019. Ils vont y ajou­ter le meilleur des clips du confi­ne­ment, bien sûr, et d’autres perles écrites au gré de l’actualité. « Pour moi, le suc­cès n’a rien chan­gé. À part pas­ser mes jour­nées à répondre à des jour­na­listes ! Et on me recon­naît un peu dans la rue », plai­sante Valentin. En tout cas, ils n’ont qu’une hâte, retrou­ver et ras­sem­bler enfin leur public vir­tuel ! U 

Confilmées ! Goguettes du confi­ne­ment et dates de la tour­née sur le site goguettesentrio.fr
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