La chanteuse Carima Amarouche monte au front avec Folies berbères, un troisième album moderne et flamboyant dans lequel elle combat le sexisme et le racisme tout en gardant le sourire. Rencontre.
En élève appliquée, Carima Amarouche a préparé l’interview. Dans un petit carnet, posé à côté d’elle sur le canapé, elle a listé des noms, fixé des anecdotes, noté des références d’associations humanitaires qui la touchent, comme Air Partage, qui creuse des puits au Maroc. Avec son bonnet de marin vissé sur la tête et son pull rouge éclatant, celle qui s’est rebaptisée Karimouche aurait pu appareiller sans difficulté à bord de la Calypso du commandant Cousteau. Karimouche est une frondeuse au grand cœur. Élevée dans une famille matriarcale de tradition musulmane, inspirée aussi bien par la verve d’Édith Piaf que par le rap futuriste de Missy Elliott, l’artiste berbéro-charentaise sait diriger sa barque au milieu des courants contraires. Le chanteur Erwan Séguillon, dit R.wan (Java, Soviet Suprem), son complice d’écriture, la présente comme une pirate. Venant d’un Breton, c’est un compliment.
“ Liberté, égalité, sororité ”
À 43 ans, Karimouche s’apprête à ouvrir les portes de Folies berbères, un troisième album en forme de cabaret oriental hip-hop. On y découvre des numéros percutants, féministes, intimes ou festifs. À son fronton, l’établissement pourrait graver la devise : « Liberté, égalité, sororité. » « Chez moi, j’ai une ancienne affiche des Folies Bergère. On l’a oublié, mais la salle parisienne est la première en France à avoir accueilli des artistes venus d’ailleurs. » Qui se souvient de la charmeuse de serpents Nala Damajanti, de la Troupe Zoulou ou des lutteurs d’Istanbul ? Karimouche n’abat pas la carte de l’exotisme pour attirer l’attention. Son disque est à son image. Une fusion moderne des styles, un carambolage des cultures, un jeu de (multi)pistes en guise de visa. Entre hip-hop, gnawa, chanson française, dubstep ou électro, l’interprète ne choisit pas. Elle prend tout. Un œil dans le rétro, le pied sur l’accélérateur, la conteuse affole le compteur de son véhicule hybride.
La veine militante de Folies berbères prend ses racines en novembre 2015. « Après les attentats du Bataclan, j’ai reçu énormément de messages racistes sur les réseaux sociaux. On me disait de rentrer chez moi. Mais je suis née en Charente ! Mes parents y sont arrivés à l’âge de 7 ans, au lendemain de la guerre d’Algérie. Cela m’a mise en colère. » Pour l’état civil, Carima Amarouche est née le 6 mars 1977 à Angoulême. Elle a ensuite grandi en périphérie, à Soyaux, dans un milieu modeste. La famille Karimouche occupe les deux appartements du rez-de-chaussée du bâtiment Z1. D’un côté, la petite Carima, ses deux sœurs, Nora et Nissa, et ses parents. Sur le palier d’en face, ses grands-parents paternels. « Ma grand-mère, “Mama”, était une femme libre qui se moquait du regard des autres. Elle avait des tatouages berbères sur tout le corps, même sur le visage. Elle était paralysée et se déplaçait en fauteuil roulant. Pour la divertir, j’imaginais des spectacles, des costumes, des mises en scène. »
Détour par la couture
La vie est un jeu. L’immeuble de quatre étages, une salle de concerts. La fillette chante du soir au matin dans la cage d’escalier. Quand la voisine du dessus ne l’entend plus, elle passe une tête inquiète pour voir si la cantatrice va bien. À la maison, sa mère, Yamina, écoute les divas méditerranéennes Fairuz et Oum Kalthoum. Elle a le sens du spectacle. On l’invite aux mariages pour danser et mettre l’ambiance. Voilà de qui Carima tient son énergie. Le grand-père, lui, pense à la réussite et à l’intégration de sa petite citoyenne de la République. Il lui fait apprendre le dictionnaire par cœur. « Un mot tous les jours », répète-t-il. Héritière d’une double culture, dans Folies berbères, Karimouche chante La Promesse de Marianne pour rappeler à la France ses devoirs et aux migrant·es leurs droits.
Ses parents divorcent quand elle a 11 ans. Carima quitte ses charentaises pour vivre avec sa mère dans l’Yonne, à Joigny. Elle fréquente l’atelier théâtre de la MJC locale. À 18 ans, elle monte son premier seule-en-scène. Une adaptation d’Elle et moi, de Michel Boujenah, dont elle est fan. La musique n’est jamais loin. En BEP « couture flou » à Montargis (Loiret),
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Carima fredonne au rythme de sa machine à coudre. Sa tante Rachida, qui habite à Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine), joue la Fée Clochette. Elle veut lui offrir ses études à Paris. La filleule hésite entre le Cours Florent et l’École supérieure des arts et techniques de la mode (Esmod). Elle participe à une journée portes ouvertes à l’école de théâtre. Elle déteste l’ambiance. De fil en aiguille, elle choisit la couture. « Comme je n’avais pas le bac, j’ai été prise sur dossier. Cela a dû arriver deux fois dans l’histoire d’Esmod [créée en 1841, ndlr], précise-t-elle, avec une pointe de fierté. Je me suis spécialisée dans les costumes de scène. » Comme ça, si elle monte un jour sur les planches, elle ne dépendra de personne. Malin.
Diplômée en 1997, elle hérite d’une première commande qui en aurait désarçonné plus d’un·e : créer pour des femmes dix pénis d’un mètre de long correspondant chacun à un thème. Elle découpe des housses de matelas avec un couteau à kebab, recycle un piège à loups, des bois de rennes… Karimouche ne manque pas d’imagination. Pendant le confinement, elle a dessiné les tenues de la compagnie de danse hip-hop Pokemon Crew.
Hip-hop et série télé
La touche-à-tout ne reste jamais en place très longtemps. « Petite, j’avais très peur de la mort. À 7 ans, je craignais de m’arrêter de respirer. » Depuis, elle nourrit l’irrépressible besoin de remplir sa vie à ras bord. Résultat, Carima déborde aujourd’hui d’humour et de poésie. « Elle est comme Chihiro, résume son ami R.wan. Ce personnage du film de Miyazaki à qui il arrive de nombreuses mésaventures, mais qui parvient toujours à rebondir. » Karimouche peut aussi compter sur le soutien de ses proches. Quand on parle avec elle, c’est toute sa famille qui s’installe dans le canapé : son père, sa mère, sa grand-mère… Un festival d’imitations.
Entre 2000 et 2007, elle tourne à travers le monde avec la compagnie de danse hip-hop Käfig, d’abord en coulisses comme costumière, puis sur les planches. En parallèle, elle arpente en solo la scène du Nombril du monde, à Lyon, un café-théâtre où Florence Foresti a débuté. Karimouche pose des paroles en français sur des instrumentaux hip-hop. Sa sœur Nora joue les manageuses. Sur une boucle empruntée à Dr. Dre, elle sert un P’tit Kawa, tube électro swing qui ouvre son premier album en 2010, Emballage d’origine, réalisé avec Mouss et Hakim du groupe Zebda, qui la dévoile au grand public. « N’ayant jamais pris de cours de musique ou de chant, je faisais tout à l’oreille. Je n’avais aucune légitimité. J’avais l’impression de rouler les gens. »
Cinq ans plus tard, elle récidive avec Action. Le parolier R.wan met en mots sa gouaille ravageuse. Un directeur de casting repère son profil dans la presse. La réalisatrice Lucie Borleteau prépare Cannabis, une série pour Arte qui raconte le trafic de drogue entre le Maroc et la France. Elle cherche une femme originaire d’Afrique du Nord pour incarner la maire d’une ville de banlieue. « Sur le tournage d’une série, le nombre de prises est limité, il faut aller vite, raconte Lucie Borleteau. Tonie Marshall, la productrice, me disait : “Carima, c’est un miracle.” C’était ma première série et, elle, son premier rôle devant une caméra. Nous sommes devenues amies. »
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Comme une évidence, la chanteuse a appelé sa copine pour réaliser le clip de Princesses, le premier single de Folies berbères, un hymne féministe flamboyant. Entourée de la chanteuse brésilienne Flavia Coelho, de ses amies chanteuses (Carmen Maria Vega, Zaza Fournier), de comédiennes croisées sur le tournage des séries dans lesquelles elle a joué – Cannabis (Arte) et Les Sauvages (Canal+) –, de femmes au verbe haut comme l’actrice Aïssa Maïga, du collectif Noire n’est pas mon métier, mais aussi de sa mère et de sa grand-mère maternelle Mimounth, 93 ans, Karimouche balance une mise au poing aux machos et aux fachos : « J’suis pas/Ta beurette à chicha/Ta biquette chawarma […]/Ta bé-bête archi blonde/Ta bobonne qui fait d’l’ombre/Ta bourgeoise du grand monde. » Princesses déballe les souffrances des femmes avec l’optimisme en bandoulière. « Dans Les Sauvages, on découvre des personnages de femmes d’origine arabe qui déjouent les clichés. Elles sont brillantes, dignes et fières, pas cantonnées aux fourneaux. Ce sont elles qui m’ont inspiré cette chanson. » Rassembleuse, Karimouche rappelle la reine berbère Kahena, qui a mené les hommes à la guerre pour défendre son peuple contre l’invasion des Omeyyades au VIIe siècle.
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Cri d’alarme contre le racisme banalisé
On l’a compris, la Lyonnaise prend désormais les problèmes de front. Folies berbères est son album le plus personnel. Il est représentatif du chemin qu’elle trace dans la musique et au cinéma. « Pendant le tournage des Sauvages, je reçois un appel d’une fille qui me demande si je cherche un agent : “Tu sais, les Arabes sont trop à la mode en ce moment.’’ Attends, quelle mode ? Elle n’avait pas compris que le cinéma, avec des réalisateurs issus de l’immigration, devenait enfin le reflet de la société française. » Sur son disque, le racisme banalisé a pris la forme d’un titre provocateur : Buñul. Elle l’a fait écouter à son père, craignant un peu sa réaction. Verdict : « Tu devrais le chanter plus fort », a exhorté le père à sa fille. L’insulte est devenue un cri d’alarme.
Les yeux sur son petit carnet, Karimouche déroule le nom des femmes qui l’inspirent : la militante pour les droits civiques Angela Davis, la chanteuse lyrique Malika Bellaribi Le Moal, qui intervient dans les quartiers défavorisés (lire son portrait dans Causette #51), la cosmonaute russe Valentina Terechkova, première femme à voyager dans l’espace… Fan de science-fiction, la comédienne aimerait bien enfiler sur grand écran une combinaison de super-héroïne. « Elle me fait penser au X‑Men qui a le regard laser, confie R.wan. Comme lui, elle a une énergie qui la dépasse et qu’elle doit canaliser. Chez elle, c’est le rôle de la scène. » Surnommée tendrement « boule de feu », l’artiste tient à la fois du caméléon et de Wonder Woman. Carima Amarouche est une mutante.
Folies berbères, de Karimouche. At(h)ome. Sortie le 15 janvier. Dates de concerts sur Karimoucheofficiel.com.