L’autrice de La Sixième, de Premier amour, dernier amour et de Terminale ! Tout le monde descend, star de la littérature jeunesse, qui a enchanté des générations de petit·es lecteur·rices, nous a reçues chez sa fille, à Paris, pour revenir sur sa vie haute en couleur, qu’elle raconte dans Mes 18 exils.
![Susie Morgenstern : confessions d'une grande petite fille 1 susie morgenstern](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2021/06/susie-morgenstern-683x1024.jpg)
Quand on sonne à la porte de l’appartement où elle reçoit Causette, il est 13 h 30 et Susie Morgenstern termine à peine de déjeuner en famille. Entourée de sa fille, de son gendre et de son petit-fils, elle semble dans son élément. « Bonsoir ! Enfin non, bonjour, je ne sais plus bien où j’en suis », lance-t-elle en se levant de table. Tout y est : les célèbres lunettes roses en forme de cœur, l’accent américain, le sourire, large et chaleureux. Un sautoir à paillettes et des collants rose bonbon – « que je vais quitter dès que vous partirez » –viennent relever l’ensemble robe et veste noires du jour et nous rappeler l’excentricité du personnage.
Si elle a quitté sa maison de Nice, dans les Alpes-Maritimes, pour l’appartement parisien d’Aliyah, sa fille aînée, c’est pour parler d’elle. Une fois n’est pas coutume, celle que l’on surnomme « la papesse du livre jeunesse » n’est pas là pour évoquer l’un de ses cent cinquante romans pour enfants et adolescent·es, mais pour la sortie de Mes 18 exils. Une autobiographie où les différentes ruptures qui ont marqué sa vie s’organisent en chapitres. De sa naissance en 1945 à Newark, petite ville du New Jersey, au dernier exil qui viendra inexorablement : la mort. L’idée lui est venue lors d’un cours sur les ateliers d’écriture. « On nous a demandé de travailler sur ce mot : exil. Tout de suite, s’est imposée à moi une liste de moments de ma vie qui y faisaient écho. Pour moi, cela signifie le changement. C’est changer de peau comme un serpent, un lézard. C’est muer », explique-t-elle dans ce français imparfait qui fait son charme, mais qu’elle s’étonne de ne toujours pas maîtriser, cinquante-quatre ans après avoir quitté son Amérique natale.
De Gaulle et Chanel N° 5
Dès le début, c’est l’amour qui guide la vie de Susie : elle arrive en France en 1967, après un coup de foudre dans un restau U de Jérusalem avec Jacques Morgenstern, un mathématicien français barbu pour qui elle quittera tout pour migrer dans un pays dont elle ne connaît rien. Enfin si, « Charles de Gaulle et Chanel N° 5 ». C’est pourtant en français qu’elle écrira plus d’une centaine de livres pour enfants inspirés directement de son enfance, puis de celle de ses enfants et de ses petits-
enfants. Des histoires empreintes de réalisme, enlevées, où il est question de la vie quotidienne des kids et de leurs préoccupations. « J’ai commencé à écrire quand j’avais un vocabulaire de cinquante mots. Mais mes filles parlaient français entre elles, et comme elles étaient mon inspiration, ça n’allait pas d’écrire en anglais. Pourtant, quand j’ai écrit mon premier roman C’est pas juste [qui recevra le Grand Prix du livre pour la jeunesse en 1981, ndlr], je pensais que j’allais l’écrire en anglais. Mais quand je me suis levée, après ma première journée d’écriture, j’ai vu que j’avais écrit en français. » Un premier roman qui sera suivi d’autres succès : La Sixième en 1984, puis Lettres d’amour de 0 à 10 en 1996,pour n’en citer que quelques-uns.
Autre spécificité des livres de Susie Morgenstern : les filles y ont le beau rôle. Et pour cause. Petite, elle grandit entourée de femmes fortes qu’elle admire, ses sœurs aînées Sandra et Effie en tête. Une enfance qu’elle racontera dans La Petite Dernière. Chez les Hoch, ce sont les femmes qui font vivre la maison, les hommes étant considérés « comme nuls et pathétiques… mais comme un mal nécessaire ». Elle grandit néanmoins en quête du grand amour, à la recherche du Graal que serait le mariage. Sa relation avec Jacques, décédé en 1994, lui fait se frotter à la complexité des relations amoureuses. Elle en tirera un livre, Jacques a dit. Une relation qu’elle juge aujourd’hui « peut-être un peu paternaliste » entre un homme très sûr de lui et une femme très amoureuse qui l’idolâtre. « Le moi de maintenant n’est pas tellement contente du moi de ce temps-là. Si Jacques revenait, il trouverait une tigresse », dit-elle. Un changement pour celle qui se décrit comme une féministe passive, admirative de ses petites-filles qui « n’iront pas voir un film de Roman Polanski ». Les comportements de ces hommes la dépassent, mais ne l’ont pas découragée. En 2004, après dix ans de veuvage, elle s’est inscrite sur Jewishcafe, où elle est tombée sous le charme de Georges, de quatorze ans son aîné. L’amoureux a eu 90 ans le 1er mai. Ils devaient aussi fêter leurs fiançailles. Mais Covid oblige, elle n’a pas pu se rendre auprès de son jules. Une occasion manquée pour celle qui ne recule devant aucune opportunité d’exprimer sa tendresse et son amour.
La passion qui rend coupable
Pendant que son petit-fils, son gendre et sa fille débarrassent les restes de leur repas, elle offre à boire et à grignoter. Installée sur un fauteuil en cuir carmin, elle se plie avec patience et chaleur à cet exercice de questions-réponses. Comme à chaque sortie d’un de ses livres ? Faux ! « Il fallait que j’écrive un livre “vieillesse” pour arriver à la matinale de France Inter. Alors que j’en ai écrit cent cinquante quand même », se désole-t-elle en admettant se sentir vexée quand ses ami·es lui demandent quand elle écrira « un vrai livre ». Car pour Susie Morgenstern, écrire des livres pour les 3–16 ans n’est pas un plaisir égoïste, mais bien une mission dont le but ultime est de donner aux enfants l’envie de lire. Comme elle a tant aimé la lecture enfant.
Dans Mes 18 exils, elle raconte : « Lire et écrire, les deux techniques que j’ai apprises à l’école sont devenues mon exil permanent et constant à partir de mes 7 ans. » Élève modèle, elle n’a jamais vraiment quitté les salles de classe. À son arrivée en France, elle devient professeure d’anglais à l’université Nice-Sophia-Antipolis. « Quand j’enseignais, je me sentais chaque fois coupable de ne pas écrire. Et quand j’écrivais, je me sentais coupable de ne pas préparer les cours. » Alors quand l’envie est trop forte, elle donne des interros à ses élèves pour pouvoir noircir le papier à sa guise. Un métier qu’elle gardera trente-huit ans, mais qui ne comble pas ce qui relève chez elle d’un besoin vital : « J’écris, c’est tout. Je me lève, je m’habille, je prends mon petit déjeuner et j’écris », déclare-t-elle comme une évidence.
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Sa force est d’apporter à ses histoires, nourries des anecdotes de ses enfants puis de ses quatre petits-
enfants, un léger twist. « Elle prend des thématiques quotidiennes, qu’elle raconte avec une langue que je trouve très vivante, très directe, presque palpable », analyse Mathilde Lévêque, maîtresse de conférences à l’université Paris-13 et spécialiste de littérature jeunesse. « Elle dit souvent qu’elle avait un stylo dans le ventre de sa mère. Elle en aura un aussi sur son lit de mort », s’amuse Béatrice Decroix, fondatrice des maisons d’édition La Martinière Jeunesse et Saltimbanque. Car « Susie Shakespeare », comme la surnommaient ses camarades d’école, est inarrêtable. À 76 ans et malgré le cancer qui a failli l’emporter, sa force de travail reste considérable et son stock d’idées loin d’être épuisé. En ce moment, elle travaille à un livre sur l’écriture. Mais elle prépare aussi un ouvrage avec Yona, l’une de ses petites-filles. En parallèle de quoi elle collabore à Bestioles, la série de podcasts pour les 5–7 ans de France Inter. Et en juillet paraîtra Perla et le mot magique, premières aventures de sa nouvelle héroïne, imaginée pour les petit·es dès 3 ans.
Inspiration et névrose
Intarissable sur l’autrice (comme toutes celles et ceux qui semblent la connaître), Béatrice Decroix poursuit : « Elle est surprenante dans sa façon de voir la vie, jamais où on l’attend. Il y a un côté à la fois naïf et profond. C’est ce qui fait la force de son écriture, je n’ai vu ça chez personne d’autre. Susie a souvent été le point de départ de nos projets les plus surprenants, comme Confessions. » Une collection publiée chez La Martinière Jeunesse, où des auteur·rices racontent un souvenir d’enfance, à la première personne. Susie Morgenstern décide, elle, de parler de son amour pour les pommes de terre. Ainsi naîtra, en 2003, le fameux Confession d’une grosse patate, qui a ravi les ados de tous bords.
La nourriture est à la fois inspiration et névrose personnelle. Enfant, elle aime manger autant que lire ou écrire. Un appétit qui lui vaudra des remarques de sa mère et de ses sœurs, mais aussi quelques complexes dont elle ne se défera jamais. D’ailleurs, Confession d’une grosse patate parle des problèmes de poids, des régimes, de la relation parfois complexe des adolescent·es avec leur corps. « Elle arrive à résoudre ce problème que peut avoir la littérature jeunesse : lier plaisir et éducation. Des écrivains comme elle arrivent à créer une synthèse quasi parfaite entre ces deux versants, de façon très intelligente. C’est peut-être aussi grâce à son bilinguisme et sa multiculturalité », remarque Mathilde Lévêque.
Mi-enfant, mi-grand-mère
Depuis son cancer qu’elle attribue à un manque d’hygiène de vie, elle tente de résister à sa gourmandise. « Plus que la gourmandise, ce qui la caractérise bien, c’est, comme on dit en anglais, “greed”. Un mot qui évoque la notion de voracité, mais pas seulement pour la nourriture. Quand elle aime, c’est à l’excès. Au risque de se manger elle-même… », admet sa fille, Aliyah. Alors, un peu contrainte par ses proches, elle est devenue plus ou moins végane « sauf si je croise un bon bifteck », badine-t-elle.
L’humour de Susie Morgenstern a toujours le don de faire mouche. Philippe, son gendre, se souvient de son arrivée dans la famille Morgenstern, juive et pratiquante. « Un cauchemar » pour ce catholique laïc. « Elle voulait que je devienne juif ! » explique-t-il avec sérieux alors que sa belle-mère mime de ses doigts une paire de ciseaux en train de couper. Un humour spontané, presque enfantin, qui fait dire à son petit-fils Noam qu’elle a « l’innocence d’une petite fille et la sagesse d’une grand-mère ».
Un mix pas banal. Mais chez Susie Morgenstern, rien ne l’est. « Elle est un peu anticonformiste, mais sans être dans l’anarchie, observe Mathilde Lévêque. Par exemple, dans ses livres, si elle questionne le système éducatif français, ce n’est pas pour le mettre par terre, mais pour qu’il s’améliore. Tout ça grâce à des personnages un peu à la marge, qui restent dans un cadre, mais toujours un peu excentriques. » À son image. Car, comme elle aime à le dire : « Il faut se dire que la vie n’est pas sérieuse. Personne n’en ressortira vivant ! »