Susie Morgenstern : confes­sions d'une grande petite fille

L’autrice de La Sixième, de Premier amour, der­nier amour et de Terminale ! Tout le monde des­cend, star de la lit­té­ra­ture jeu­nesse, qui a enchan­té des géné­ra­tions de petit·es lecteur·rices, nous a reçues chez sa fille, à Paris, pour reve­nir sur sa vie haute en cou­leur, qu’elle raconte dans Mes 18 exils. 

susie morgenstern
©Olivier Metzger pour Causette

Quand on sonne à la porte de l’appar­tement où elle reçoit Causette, il est 13 h 30 et Susie Morgenstern ter­mine à peine de déjeu­ner en famille. Entourée de sa fille, de son gendre et de son petit-​fils, elle semble dans son élé­ment. « Bonsoir ! Enfin non, bon­jour, je ne sais plus bien où j’en suis », lance-​t-​elle en se levant de table. Tout y est : les célèbres lunettes roses en forme de cœur, l’accent amé­ri­cain, le sou­rire, large et cha­leu­reux. Un sau­toir à paillettes et des col­lants rose bon­bon – « que je vais quit­ter dès que vous par­ti­rez » –viennent rele­ver l’ensemble robe et veste noires du jour et nous rap­pe­ler l’excentricité du personnage. 

Si elle a quit­té sa mai­son de Nice, dans les Alpes-​Maritimes, pour l’appar­tement pari­sien d’Aliyah, sa fille aînée, c’est pour par­ler d’elle. Une fois n’est pas cou­tume, celle que l’on sur­nomme « la papesse du livre jeu­nesse » n’est pas là pour évo­quer l’un de ses cent cin­quante romans pour enfants et adolescent·es, mais pour la sor­tie de Mes 18 exils. Une auto­bio­gra­phie où les dif­fé­rentes rup­tures qui ont mar­qué sa vie s’organisent en cha­pitres. De sa nais­sance en 1945 à Newark, petite ville du New Jersey, au der­nier exil qui vien­dra inexo­ra­ble­ment : la mort. L’idée lui est venue lors d’un cours sur les ate­liers d’écriture. « On nous a deman­dé de tra­vailler sur ce mot : exil. Tout de suite, s’est impo­sée à moi une liste de moments de ma vie qui y fai­saient écho. Pour moi, cela signi­fie le chan­ge­ment. C’est chan­ger de peau comme un ser­pent, un lézard. C’est muer », explique-​t-​elle dans ce fran­çais impar­fait qui fait son charme, mais qu’elle s’étonne de ne tou­jours pas maî­tri­ser, cinquante-​quatre ans après avoir quit­té son Amérique natale. 

De Gaulle et Chanel N° 5

Dès le début, c’est l’amour qui guide la vie de Susie : elle arrive en France en 1967, après un coup de foudre dans un res­tau U de Jérusalem avec Jacques Morgenstern, un mathé­ma­ti­cien fran­çais bar­bu pour qui elle quit­te­ra tout pour migrer dans un pays dont elle ne connaît rien. Enfin si, « Charles de Gaulle et Chanel N° 5 ». C’est pour­tant en fran­çais qu’elle écri­ra plus d’une cen­taine de livres pour enfants ins­pi­rés direc­te­ment de son enfance, puis de celle de ses enfants et de ses petits-
enfants. Des his­toires empreintes de réa­lisme, enle­vées, où il est ques­tion de la vie quo­ti­dienne des kids et de leurs pré­oc­cu­pa­tions. « J’ai com­men­cé à écrire quand j’avais un voca­bu­laire de cin­quante mots. Mais mes filles par­laient fran­çais entre elles, et comme elles étaient mon ins­pi­ra­tion, ça n’allait pas d’écrire en anglais. Pourtant, quand j’ai écrit mon pre­mier roman C’est pas juste [qui rece­vra le Grand Prix du livre pour la jeu­nesse en 1981, ndlr], je pen­sais que j’allais l’écrire en anglais. Mais quand je me suis levée, après ma pre­mière jour­née d’écriture, j’ai vu que j’avais écrit en fran­çais. » Un pre­mier roman qui sera sui­vi d’autres suc­cès : La Sixième en 1984, puis Lettres d’amour de 0 à 10 en 1996,pour n’en citer que quelques-uns.

Autre spé­ci­fi­ci­té des livres de Susie Morgenstern : les filles y ont le beau rôle. Et pour cause. Petite, elle ­gran­dit entou­rée de femmes fortes qu’elle admire, ses sœurs aînées Sandra et Effie en tête. Une enfance qu’elle racon­te­ra dans La Petite Dernière. Chez les Hoch, ce sont les femmes qui font vivre la mai­son, les hommes étant consi­dé­rés « comme nuls et pathé­tiques… mais comme un mal néces­saire ». Elle gran­dit néan­moins en quête du grand amour, à la recherche du Graal que serait le mariage. Sa rela­tion avec Jacques, décé­dé en 1994, lui fait se frot­ter à la com­plexi­té des rela­tions amou­reuses. Elle en tire­ra un livre, Jacques a dit. Une rela­tion qu’elle juge aujourd’hui « peut-​être un peu pater­na­liste » entre un homme très sûr de lui et une femme très amou­reuse qui l’idolâtre. « Le moi de main­te­nant n’est pas tel­le­ment contente du moi de ce temps-​là. Si Jacques reve­nait, il trou­ve­rait une tigresse », dit-​elle. Un chan­ge­ment pour celle qui se décrit comme une fémi­niste pas­sive, admi­ra­tive de ses petites-​filles qui « n’iront pas voir un film de Roman Polanski ». Les com­por­te­ments de ces hommes la dépassent, mais ne l’ont pas décou­ra­gée. En 2004, après dix ans de veu­vage, elle s’est ins­crite sur Jewishcafe, où elle est tom­bée sous le charme de Georges, de qua­torze ans son aîné. L’amoureux a eu 90 ans le 1er mai. Ils devaient aus­si fêter leurs fian­çailles. Mais Covid oblige, elle n’a pas pu se rendre auprès de son jules. Une occa­sion man­quée pour celle qui ne recule devant aucune oppor­tu­ni­té d’exprimer sa ten­dresse et son amour. 

La pas­sion qui rend coupable

Pendant que son petit-​fils, son gendre et sa fille débar­rassent les restes de leur repas, elle offre à boire et à gri­gno­ter. Installée sur un fau­teuil en cuir car­min, elle se plie avec patience et cha­leur à cet exer­cice de questions-​réponses. Comme à chaque sor­tie d’un de ses livres ? Faux ! « Il fal­lait que j’écrive un livre “vieillesse” pour arri­ver à la mati­nale de France Inter. Alors que j’en ai écrit cent cin­quante quand même », se désole-​t-​elle en admet­tant se sen­tir vexée quand ses ami·es lui demandent quand elle écri­ra « un vrai livre ». Car pour Susie Morgenstern, écrire des livres pour les 3–16 ans n’est pas un plai­sir égoïste, mais bien une mis­sion dont le but ultime est de don­ner aux enfants l’envie de lire. Comme elle a tant aimé la lec­ture enfant. 

Dans Mes 18 exils, elle raconte : « Lire et écrire, les deux tech­niques que j’ai apprises à l’école sont deve­nues mon exil per­ma­nent et constant à par­tir de mes 7 ans. » Élève modèle, elle n’a jamais vrai­ment quit­té les salles de classe. À son arri­vée en France, elle devient pro­fes­seure d’anglais à l’université Nice-​Sophia-​Antipolis. « Quand j’enseignais, je me sen­tais chaque fois cou­pable de ne pas écrire. Et quand j’écrivais, je me sen­tais cou­pable de ne pas pré­pa­rer les cours. » Alors quand l’envie est trop forte, elle donne des inter­ros à ses élèves pour pou­voir noir­cir le papier à sa guise. Un métier qu’elle gar­de­ra trente-​huit ans, mais qui ne comble pas ce qui relève chez elle d’un besoin vital : « J’écris, c’est tout. Je me lève, je m’habille, je prends mon petit déjeu­ner et j’écris », déclare-​t-​elle comme une évidence.

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©Olivier Metzger pour Causette

Sa force est d’apporter à ses his­toires, nour­ries des anec­dotes de ses enfants puis de ses quatre petits-
enfants, un léger twist. « Elle prend des thé­ma­tiques quo­ti­diennes, qu’elle raconte avec une langue que je trouve très vivante, très directe, presque pal­pable », ana­lyse Mathilde Lévêque, maî­tresse de confé­rences à l’université Paris-​13 et spé­cia­liste de lit­té­ra­ture jeu­nesse. « Elle dit sou­vent qu’elle avait un sty­lo dans le ventre de sa mère. Elle en aura un aus­si sur son lit de mort », s’amuse Béatrice Decroix, fon­da­trice des mai­sons d’édition La Martinière Jeunesse et Saltimbanque. Car « Susie Shakespeare », comme la sur­nom­maient ses cama­rades d’école, est inar­rê­table. À 76 ans et mal­gré le can­cer qui a failli l’emporter, sa force de tra­vail reste consi­dé­rable et son stock d’idées loin d’être épui­sé. En ce moment, elle tra­vaille à un livre sur l’écriture. Mais elle pré­pare aus­si un ouvrage avec Yona, l’une de ses petites-​filles. En paral­lèle de quoi elle col­la­bore à Bestioles, la série de pod­casts pour les 5–7 ans de France Inter. Et en juillet paraî­tra Perla et le mot magique, pre­mières aven­tures de sa nou­velle héroïne, ima­gi­née pour les petit·es dès 3 ans. 

Inspiration et névrose

Intarissable sur l’autrice (comme toutes celles et ceux qui semblent la connaître), Béatrice Decroix pour­suit : « Elle est sur­pre­nante dans sa façon de voir la vie, jamais où on l’attend. Il y a un côté à la fois naïf et pro­fond. C’est ce qui fait la force de son écri­ture, je n’ai vu ça chez per­sonne d’autre. Susie a sou­vent été le point de départ de nos pro­jets les plus sur­pre­nants, comme Confessions. » Une col­lec­tion publiée chez La Martinière Jeunesse, où des auteur·rices racontent un sou­ve­nir d’enfance, à la pre­mière per­sonne. Susie Morgenstern décide, elle, de par­ler de son amour pour les pommes de terre. Ainsi naî­tra, en 2003, le fameux Confession d’une grosse patate, qui a ravi les ados de tous bords. 

La nour­ri­ture est à la fois ins­pi­ra­tion et névrose per­son­nelle. Enfant, elle aime man­ger autant que lire ou écrire. Un appé­tit qui lui vau­dra des remarques de sa mère et de ses sœurs, mais aus­si quelques com­plexes dont elle ne se défe­ra jamais. D’ailleurs, Confession d’une grosse patate parle des pro­blèmes de poids, des régimes, de la rela­tion par­fois com­plexe des adolescent·es avec leur corps. « Elle arrive à résoudre ce pro­blème que peut avoir la lit­té­ra­ture jeu­nesse : lier plai­sir et édu­ca­tion. Des écri­vains comme elle arrivent à créer une syn­thèse qua­si par­faite entre ces deux ver­sants, de façon très intel­li­gente. C’est peut-​être aus­si grâce à son bilin­guisme et sa mul­ti­cul­tu­ra­li­té », remarque Mathilde Lévêque.

Mi-​enfant, mi-grand-mère

Depuis son can­cer qu’elle attri­bue à un manque d’hygiène de vie, elle tente de résis­ter à sa gour­man­dise. « Plus que la gour­man­dise, ce qui la carac­té­rise bien, c’est, comme on dit en anglais, “greed”. Un mot qui évoque la notion de vora­ci­té, mais pas seule­ment pour la nour­ri­ture. Quand elle aime, c’est à l’excès. Au risque de se man­ger elle-​même… », admet sa fille, Aliyah. Alors, un peu contrainte par ses proches, elle est deve­nue plus ou moins végane « sauf si je croise un bon bif­teck », badine-​t-​elle. 

L’humour de Susie Morgenstern a tou­jours le don de faire mouche. Philippe, son gendre, se sou­vient de son arri­vée dans la famille Morgenstern, juive et pra­ti­quante. « Un cau­che­mar » pour ce catho­lique laïc. « Elle vou­lait que je devienne juif ! » explique-​t-​il avec sérieux alors que sa belle-​mère mime de ses doigts une paire de ciseaux en train de cou­per. Un humour spon­ta­né, presque enfan­tin, qui fait dire à son petit-​fils Noam qu’elle a « l’inno­cence d’une petite fille et la sagesse d’une grand-​mère »

Un mix pas banal. Mais chez Susie Morgenstern, rien ne l’est. « Elle est un peu anti­con­for­miste, mais sans être dans l’anarchie, observe Mathilde Lévêque. Par exemple, dans ses livres, si elle ques­tionne le sys­tème édu­ca­tif fran­çais, ce n’est pas pour le mettre par terre, mais pour qu’il s’améliore. Tout ça grâce à des per­son­nages un peu à la marge, qui res­tent dans un cadre, mais tou­jours un peu excen­triques. » À son image. Car, comme elle aime à le dire : « Il faut se dire que la vie n’est pas sérieuse. Personne n’en res­sor­ti­ra vivant ! » 

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