Dans un ouvrage très documenté, la comédienne et auteure Yasmine Modestine déconstruit l’idée selon laquelle il n’y aurait pas d’héroïnes afrodescendantes dans le répertoire théâtral. Elle démontre comment elles ont disparu ou sont devenues blanches.
Saviez-vous que des soldats africains de l’Empire romain furent présents aux IIe et IIIe siècles en Angleterre ? Et que la Cléopâtre de Shakespeare était tawny (basanée) et celle dessinée par Michel Ange, métissée ? Vous l’ignorez probablement, tant son image est associée à sa peau laiteuse.
Andromède, qui, dans la mythologie grecque, est une princesse éthiopienne, est devenue blanche sous la plume de Corneille. Cléanthis, Trivelin et Arlequin, personnages de L’île des esclaves, de Marivaux, sont d’anciens esclaves. Mais la pièce, un échec, fut retirée de l’affiche par son auteur et, bien qu’elle fût à son répertoire, les comédiens du Français refusèrent de la jouer. Quant à Imoinda, la « Vénus noire », héroïne de Oroonoko, or the Royal Slave, roman anglais publié par Aphra Behn en 1688 et adapté à plusieurs reprises au théâtre, elle deviendra blanche dans sa version de 1769.
Déni de l’Histoire
Dans Noires mais blanches, blanches mais noires, Yasmine Modestine nous raconte l’effacement de plusieurs héroïnes noires ou métisses du répertoire du théâtre classique, leur disparition. Avec minutie, elle dévoile les traces de leur présence dans l’art occidental théâtral, mais aussi pictural. En remontant ainsi dans le temps, elle démontre l’influence de l’histoire coloniale et esclavagiste sur la représentation, l’image négative des femmes afrodescendantes ou leur disparition. Une falsification du récit de l’Histoire que l’on retrouve dans l’actualité de 2020, un déni.
Comédienne, chanteuse et autrice, Yasmine Modestine enseigne également l’art dramatique. En 2009, elle dénonçait avec la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) les discriminations que subissaient les comédien·nes noir·es dans le milieu du doublage. Et dans Quel dommage que tu ne sois pas plus noire (éd. Max Milo, 2015), son précédent livre, elle témoignait de la difficulté d’être une artiste métisse en France, victime de préjugés, et d’obtenir un rôle car il n’y aurait pas d’héroïnes noires ou métisses au théâtre. Son dernier ouvrage démontre le contraire et s’inscrit donc dans un mouvement qui se fait entendre depuis la mort de George Floyd aux États-Unis, en mai dernier.
Son « enquête » est importante, car le manque de représentation, en particulier au cinéma et au théâtre, entraîne une dévalorisation des personnes concernées et un défaut d’estime d’elles-mêmes. Le film de Disney et Marvel Black Panther, qui a eu tant de succès, notamment auprès des spectateurs afrodescendants, démontre l’attente du public. L’annonce de la mort, le 28 août, de son acteur principal, Chadwick Boseman, à l’âge de 43 ans, a suscité une très grande émotion. Et les hommages adressés par de nombreuses personnalités noires et métisses, ainsi que des anonymes, sont l’expression de ce besoin de se voir représenté dans l’imaginaire commun, de s’y reconnaître. D’avoir une place dans la société.
Noires mais blanches, blanches mais noires – Les Figures féminines noires ou métisses au théâtre de Cléopâtre à Ourika, de Yasmine Modestine. Préface de Roger Little. Éd. L’Harmattan, 170 pages, 19 euros.