BD COUV
© Éditions çà et là / Les Ardentes / Payot Rivages

“Monstera”, “In Limbo”, “Norbu” : nos 3 recos BD du mois de mars

Un héros pris au piège des injonc­tions et des mirages de la mode, un roman gra­phique “thé­ra­peu­tique” sur les ques­tions d’identité, deux récits côtés pile et face en mode oni­rique : voi­ci nos trois recos BD de mars. 

Monstera

C’est l’histoire d’un engre­nage, dans lequel se retrouve coin­cée l’existence de Gabriel. Soit un jeune Parisien qui, de maraude auprès des sans-​abris aux marches pour le cli­mat dont il ne rate pra­ti­que­ment aucune édi­tion, se construit contre un sys­tème capi­ta­liste qu’il rejette. Mais les fins de mois sont dif­fi­ciles et le ventre se met par­fois à gar­gouiller. Lui qui n’avait qu’une confiance très modé­rée en ses capa­ci­tés, se fait sou­dain repé­rer par une agence de man­ne­quins et se voit pro­po­ser quelques shoo­tings. Un com­plé­ment bien­ve­nu, quitte à mettre sous le tapis les quelques contra­dic­tions qui ne man­que­ront pas de sur­gir. Mais Gabriel va vite se retrou­ver pris au piège de l’univers de la mode, de ses injonc­tions et des mirages qu’il construit. “Le corps ne doit pas influer sur le vête­ment” : voi­là son nou­veau man­tra. Au-​delà de son régime strict, c’est toute sa per­son­na­li­té qui s’efface pro­gres­si­ve­ment, le ren­dant aveugle au mal-​être de sa copine, qui s’enfonce dans l’anorexie. Après le court album humo­ris­tique Hors Cadre, publié l’année der­nière chez Vraoum, chan­ge­ment de ton pour Simon Roure qui signe ici son pre­mier récit “long”.

Son trait fin sai­sit avec jus­tesse ces corps mal­me­nés, dans une bichro­mie bleu et blanc qui apporte une cer­taine fra­gi­li­té, comme si chaque moment pou­vait dis­pa­raître subi­te­ment. Il joue sur la repré­sen­ta­tion des corps, sur l’image que les per­son­nages se ren­voient à eux-​mêmes et montre com­ment tout leur échappe au fur et à mesure qu’ils pensent se réap­pro­prier leur image. Dans la der­nière ligne droite, le rythme s’accélère et le lec­teur reste sus­pen­du, à se deman­der si Gabriel va défi­ni­ti­ve­ment bas­cu­ler ou non… Un album sin­gu­lier qui fait de son auteur un artiste à suivre.

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Monstera, de Simon Roure. Virages gra­phiques, 208 pages, 23 euros.

In Limbo

“J’ai lais­sé der­rière moi plus que mon pays de nais­sance quand on a emmé­na­gé aux États-​Unis.” Cette double culture de l’artiste américano-​coréenne contri­bue à faire de In Limbo bien plus qu’un énième témoi­gnage sur l’adolescence et la san­té men­tale. C’est son héri­tage coréen qui va aider Deb JJ Lee à sor­tir de ce pas­sage dif­fi­cile à l’âge adulte et lui per­mettre d’aller au bout de sa quête d’identité. Au milieu de son nom, JJ, pour Jung Jin, deux lettres qui se déploient au fil de l’album comme des ailes pour lui per­mettre de prendre son envol et de se sen­tir enfin à sa place quelque part. Réalisée sur tablette numé­rique mais pas moins arti­sa­nale, cette BD est por­tée par un style éthé­ré très doux qui arrive à trans­mettre les émo­tions par­fois contra­dic­toires du récit. Une ambiance, cou­plée à un des­sin hyper réa­liste, qui ren­voie à des influences diverses, de Brian Selznick à Shaun Tan, en pas­sant par Tillie Walden. Deb JJ Lee fait suf­fi­sam­ment confiance aux images pour les lais­ser par­ler et ne pas sur­char­ger son album de dia­logues. Certaines res­tent gra­vées, comme ces boucles de che­veux qui se mêlent à l’alphabet coréen. De son propre aveu, In Limbo, qui aura connu cinq ans de ges­ta­tion, aura été “sa séance de thé­ra­pie”. On com­prend bien pour­quoi et peut-​être qu’elle ser­vi­ra aus­si à d’autres, coincé·es dans “les limbes.

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In Limbo, de Deb JJ Lee. Akileos, 352 pages, 35 euros.

Norbu

Une fois entre les mains, cet album vous rap­pel­le­ra peut-​être des sou­ve­nirs de lec­ture de jeu­nesse, avec ces livres qui se lisaient dans un sens et qu’il fal­lait retour­ner à la moi­tié pour décou­vrir une autre ver­sion de l’histoire, ou un autre per­son­nage. Norbu n’est pas exac­te­ment une BD palin­drome (ses deux par­ties ne fonc­tionnent pas en miroir), même si on en retrouve par­fois l’esprit. Côté pile : l’errance d’Astrid, trou­blée par sa récente sépa­ra­tion avec Marc, alors qu’elle pré­pare un concours de danse clas­sique. Un récit inti­miste, per­son­nel, que l’autrice espa­gnole Anapurna (Ana Sainz Quesada) rend pal­pable en sur­dé­cou­pant chaque geste de son per­son­nage. Côté face, on retrouve Marc, embar­qué dans la quête sur­réa­liste d’un bijou volé, aux côtés d’une mys­té­rieuse incon­nue. Une for­te­resse à péné­trer, un laby­rinthe : on a l’impression d’être dans une réa­li­té alter­na­tive, à moins que ce ne soit sim­ple­ment les effets secon­daires d’une soi­rée trop arro­sée… Et au milieu de l’album, un lapin (celui d’Alice ?), qui vient connec­ter les deux ver­sants. Bien sûr, on ne com­prend pas tout. Inutile d’attendre une his­toire char­pen­tée, avec un début et une fin. Anapurna est ici dans le registre du rêve, de la poé­sie, de l’onirisme. Chacun pour­ra ima­gi­ner sa ver­sion. Mais elle réus­sit avec une cer­taine audace à confron­ter le quo­ti­dien le plus habi­tuel à l’énigme psy­cho­lo­gique. On en res­sort comme au réveil d’un rêve cryp­té, qui nous parle sans que l’on com­prenne vrai­ment pourquoi.

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Norbu, d’Anapurna, tra­duit de l’espagnol par Hélène Remaud. Çà et là, 172 pages, 23 euros.
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