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Livres : la hotte idéale de la Mère Noël

Comme chaque année, Causette vous propose une petite sélection bien sentie de livres à offrir à Noël. Oui, on vous mâche le boulot.

Pour le ou la lettré·e de la famille
raconter la vie

Une boîte aux trésors, c’est ainsi qu’il faut déballer Journaux intimes, beau livre coordonné par deux bibliophiles, Sophie Pujas et Nicolas Malais. Ils y ont rassemblé et commenté les journaux de près de cent écrivain·es et artistes – Marie Curie, Grisélidis Réal, Goliarda Sapienza, Roland Barthes. On goûte les comptes rendus de repas arrosés de Georges Perec. On sourit aux vœux de la grande peintre russe Marie Bashkirtseff, 19 ans, qui rêve d’« obtenir le prix de Rome en [se] présentant sous le nom d’un homme ». On tombe de notre chaise en découvrant qu’une certaine Jeanne Sandelion a noirci cent cinquante carnets pour déverser son admiration et sa haine vis-à-vis d’Henry de Montherlant qui l’a transformée en personnage. On suit les affres de Simone de Beauvoir, tiraillée entre Jean-Paul Sartre et son « œuvre à faire ». Des mots qui jaillissent, une vérité qui « échappe » (dit Annie Ernaux) et dont nous avons la chance – plaisir coupable – de recueillir le secret. L.M.

Journaux intimes. Raconter la vie, de Sophie Pujas et Nicolas Malais. Éd. Hoëbeke, 320 pages, 35 euros.

Pour les gueulard·es déconstruit·es
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« L’huître mène une vie terrible, mais palpitante ». C’est sur ce ton badin, tragi-comique que Mary Frances Kennedy Fisher, éditée pour la première fois en 1937 à Londres (sous des initiales non genrées) et vénérée aux États-Unis comme la grande « poétesse des appétits », nous entraîne dans son inénarrable Biographie sentimentale de l’huître. L’adolescence au sexe indéterminé du mollusque, les risques qu’il (ou elle) encourt toute sa courte vie, son prétendu pouvoir aphrodisiaque, les voluptés procurées par sa « chair croquante », « frisottante »… Ce texte merveilleusement poétique et moqueur est émaillé de recettes commentées qui ont révolutionné la littérature culinaire. Oublié en France, il revient sous la forme d’un livre illustré par l’imagerie gourmande de la dessinatrice Jeanne Detallante. Une œuvre gastronomique et littéraire fine, piquante, inattendue. Un régal absolu. L. M.

Biographie sentimentale de l’huître, de M. F. K. Fisher, illustré par Jeanne Detallante, traduit de l’anglais (États-Unis) par Jacqueline Henry et Béatrice Vienne. éd. Dalva, 224 pages, 24 euros. 

Pour la tata du MLF
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Icône de l’émancipation féminine, la garçonne est-elle si libre que cela ? Pas sûr, répond Christine Bard, historienne qui décrypte dans Les Garçonnes ce phénomène contradictoire. Héritière des « femmes en pantalon » comme George Sand et des ouvrières, elle est projetée sur le devant de la scène dans les années 1920 par un best-seller, signé Victor Margueritte, qui la dépeint comme une fille qui, voulant se venger d’un fiancé infidèle, couche à droite, à gauche avec les hommes et les femmes et découvre ainsi le plaisir. Le succès et le scandale suivent. La garçonne devient à la fois une mode et un objet de haine pour les conservateur·rices qui la condamnent et lui reprochent de mettre le boxon dans la grande valeur « famille ». Une excuse toute trouvée pour ne pas donner aux féministes ce qu’elles demandent à ce moment-là : le droit de vote ! Résultat, ces dernières se mettent, elles aussi, à fustiger la garçonne ! Tout en analysant la capacité du patriarcat à renverser les rébellions, Christine Bard nous montre aussi l’infinie créativité des femmes pour se réinventer. Les ­garçonnes n’ont pas dit leur dernier mot. L. M.

Les Garçonnes. Mode et fantasmes des Années folles, de Christine Bard. éd. Autrement, 192 pages, 19,90 euros.

Pour la cousine intersectionnelle
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C’est un ouvrage collectif, à l’image des mouvements féministes des vingt dernières années qu’il entend raconter : protéiforme et radical. Réunissant soixante-huit autrices, intellectuelles ou militantes, connues ou non, sous la coordination de la philosophe Elsa Dorlin, Feu ! Abécédaire des féminismes présents dessine une histoire populaire des luttes contemporaines. Une histoire internationale et intersectionnelle, nourrie de témoignages, de manifestes et d’analyses universitaires, qui s’écrit ici à travers des entrées thématiques singulières. On y entre par l’Abolitionnisme pénal (Gwenola Ricordeau), on en sort par les Zines féministes (Nur Noukhkhaly), et l’on zigzague entre Éducation sexuelle (Ovidie), Luttes Romani (Anina Ciuciu et Lise Foisneau), Ménopausées (Cécile Kiefer) ou Mères solidaires (Geneviève Bernanos). Un dictionnaire amoureux autant qu’une boîte à outils, qui embrasera toutes celles et ceux qui mettront leur main au Feu ! A.B.

Feu ! Abécédaire des féminismes présents, coordonné par Elsa Dorlin. Éd. Libertalia, 736 pages, 20 euros. 

Lire aussi l SOS cadeaux de Noël : notre sélection de beaux livres

Pour tous les bambins du coin
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Il y a Baba Ourse, qui ne comprend pas pourquoi sa copine Lulu Hibou refuse de mettre du vernis : « Mais enfin, une fille, ça aime bien se maquiller ! » Il y a Toto Goéland, qui soutient à Gégé Castor que, non, il ne peut pas avoir UNE meilleure amie : « Les filles, ça va avec les filles, et les ­garçons avec les garçons ! » Ou Kiki Moutonne, qui explique à sa cop’s que les filles ne peuvent évidemment pas devenir pilote… avant de se raviser. À travers trois courtes bandes dessinées, Chouette, pas chouette invite les enfants (dès 4 ans) à identifier et déconstruire les stéréotypes sexistes. Des ­histoires ­inspirées de la série animée du même nom, qui s’accompagnent ici de questions (« Tu penses qu’un garçon peut jouer à la corde à sauter ? ») et de petits paragraphes documentaires pour engager la ­discussion avec les plus jeunes… et contrebalancer (un peu) le sexisme des cours de récré ! A. B.

Chouette, pas chouette. Petit manuel de l’égalité filles-garçons, de Sandrine Acquistapace, Franck Salomé, Nicolas Sedel et Fernando Worcel. éd. Glénat Jeunesse, 64 pages, 10 euros. 

Pour les fans de séries
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Rarement une dystopie aura fait tant d’heureux·euses. Parue en 1985, devenue culte depuis son adaptation en série en 2017, La Servante écarlate est désormais une œuvre féministe pop par excellence. En avril dernier, la quatrième saison de la série était diffusée en France. Voici à présent une nouvelle déclinaison du phénomène : un roman graphique. Fidèle au texte d’origine, ­l’illustratrice canadienne Renée Nault alterne les séquences aux traits réalistes – celles sur la vie au quotidien de Defred, une des « servantes écarlates », dans la maison de son commandant –, avec des séquences plus suggestives, plus abstraites, qui sont celles des souvenirs d’avant… Avant l’instauration de la république théocratique de Gilead. Subtilement séquencée, l’adaptation offre une saisissante palette de variations et se révèle aussi crue, aussi provocante et aussi emballante que ­l’objet originel. H.A.

La Servante écarlate, de Margaret Atwood, adaptation et illustrations de Renée Nault, traduit de l’anglais par Michèle Albaret-Maatsch. éd. Robert Laffont, 248 pages, 23 euros.

Pour les ados et leurs mères
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C’est le récit d’une adolescence dans les années 1990, une jeune fille toute simple dans une paisible banlieue pavillonnaire. Vu d’ici, c’est un passé sans drame : pas encore de lynchage sur les réseaux sociaux, le mot féminicide n’existe pas, on ne parle pas de harcèlement sexuel, et se faire importuner dans la rue, évidemment que « c’est flatteur ». Alors, pas d’histoire ? Ovidie décrypte ce passé faussement tranquille et fait un tour par les coulisses. Car c’est aussi une époque où la culture du viol existe bien – mais pas encore les mots pour le dire et donc pas les armes pour s’en défendre. Une époque où les « filles qui couchent » doivent subir ce qu’on n’appelle pas encore des « tournantes », sous peine d’être ostracisées. C’est cette réalité qu’Ovidie revisite avec acuité. Les embûches à surmonter, les situations qu’on déconstruit en tâtonnant. Elle qui est devenue, grâce à cette adolescence ou malgré elle, une femme inspirante et une mère attentive nous fait partager ses réflexions sans aigreur et éveille, forcément, l’écho de nos propres souvenirs. Un témoignage remarquablement servi par le dessin d’Audrey Lainé, au trait incisif. Ses couleurs éclairent subtilement les circonstances et les états d’âme. Ces cœurs insolents font assurément battre le nôtre. I.M.

Les Cœurs insolents, d’Ovidie et Audrey Lainé. Éd. Marabulles, 128 pages, 17,95 euros. 

Pour l’artiste de la famille 
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Si vous voulez un ouvrage qui détonne parmi tous ceux déjà parus au sujet de Frida Kahlo, ouvrez donc celui-ci. Rosa Maria Unda Souki, peintre née à Caracas, a passé, en juillet 2019, plusieurs mois à Paris pour une exposition qu’elle préparait alors sur l’iconique artiste mexicaine. Elle la vénère depuis toujours et vient de lui consacrer cinq années de sa vie en épluchant toutes les archives à son sujet et en explorant tous les lieux de sa vie. Alors qu’elle attaque le texte prévu pour le catalogue, son esprit vagabonde, s’évade, et revient à cette femme singulière qui l’obsède. Cette divagation donne ce livre-puzzle, qui mêle dessins, bribes autobiographiques, autoportraits de Rosa Maria Unda Souki en miroir avec ceux de Frida, et des témoignages sur son Venezuela natal dont elle s’est exilée. Ce n’est pas (seulement) un livre sur Kahlo, c’est un ouvrage pétaradant sur la peinture, la transmission, la mémoire, la passion. H.A.

Ce que Frida m’a donné, de Rosa Maria Unda Souki, traduit de l’espagnol (Venezuela) par Margot Nguyen Béraud, avec l’autrice. éd. Zulma, 190 pages, 22,50 euros. 

Pour les cinéphiles du futur  
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Si vous aimez Les Beaux Gosses, La Vie secrète des jeunes, la lose adolescente, Vincent Lacoste et les coulisses du cinéma, vous allez être servi·e. Dans sa nouvelle BD, Le Jeune Acteur 1 (il y aura donc d’autres tomes !), l’hilarant Riad Sattouf raconte les débuts de celui qu’il a inventé au cinéma et qui est devenu, depuis, l’un des plus grands acteurs de sa génération : Vincent Lacoste. Fan de François Truffaut, Sattouf se rappelle que, pour son premier film, il ambitionnait de trouver son Antoine Doinel à lui. C’est ainsi que, grâce à un casting sauvage, il dénicha Lacoste, un ado de 14 ans super lambda pas du tout destiné au 7e art. Ici se mélangent les souvenirs du dessinateur et ceux du comédien. Les auditions, l’adolescence de Lacoste, ses années collège entre potes un peu nazes et ses débuts sur grand écran, ses parents, sa petite sœur, son accident juste avant le début du tournage, ses premières scènes avec Noémie Lvovsky. C’est croustillant, passionnant et à pleurer de rire. Comme le sont ces deux hommes précieux. S.G.

Le Jeune Acteur 1. Aventures de Vincent Lacoste au cinéma, de Riad Sattouf. Éd. Livres du futur, 140 pages, 21,50 euros. 

Pour... Toute la stratosphère
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Qu’est-ce qui constitue la personne que nous sommes ? Pas grand-chose, en vérité. Des microparticules. Mais élémen- taires, ma chère Watson ! De petits événements dérisoires pour le reste du monde, mais si importants à l’échelle de soi. La mort d’un chat qu’on a adoré, une meilleure copine qui roule des pelles au mec qu’on convoitait, l’adieu à une grand-mère chérie sur son lit d’hôpital, un échec pour décrocher son flocon au ski, des seins qui tardent à faire leur apparition, un Erasmus glacial à Londres... Des instants de joie, de minuscules humiliations, de grandes blessures. Tout ce qui fait le sel de la vie. Après des années à raconter les histoires des autres avec le succès que l’on sait, Pénélope Bagieu s’autorise enfin à sauter le pas de l’autobiographie. Dans Les Strates, elle trace au crayon noir ces instantanés de sa vie qui, au fil du temps, se sont superposés pour constituer la femme qu’elle est aujourd’hui. Avec l’humour qu’on lui connaît et une bienveillance charmante à l’égard de l’enfant, de l’ado puis de la jeune femme qu’elle fut, la dessinatrice emporte le morceau. Le livre, très bel objet qui plus est, a l’apparence d’un gros carnet à dessins. Comme si Pénélope Bagieu nous confiait le sien. Diffusez-le sans crainte, il est universel. S.G.

Les Strates, de Pénélope Bagieu. Éd. Gallimard, 144 pages, 22 euros.

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