![Le conseil de lecture de Laetitia Colombani : «Ce qui nous revient», de Corinne Royer 1 COLOMBANI3©JF PAGA](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/02/COLOMBANI3©JF-PAGA-684x1024.jpg)
Ce roman de Corinne Royer paru cet hiver est pour moi une découverte. La découverte d’une découverte, devrais-je dire. Celle de Marthe Gautier, qu’on a surnommée la « Découvreuse oubliée ». Âgée aujourd’hui de 93 ans, cette « jeune fille de longue date », comme la qualifie si joliment l’autrice, a joué un rôle majeur dans la mise en lumière du chromosome surnuméraire de la trisomie 21, en 1958. Une prouesse dont elle fut tout simplement dépossédée. Éloquente illustration de l’effet Matilda, du nom de la militante féministe américaine Matilda Joslyn Gage : le déni ou la minimisation récurrente de la contribution des femmes scientifiques à la recherche, au profit de leurs collaborateurs masculins. Elles sont nombreuses, telle Marthe, à avoir été spoliées du fruit de leur travail, à s’être vu cantonnées à quelques remerciements de bas de page – quand leurs noms ne furent pas complètement effacés. La chose ne date pas d’hier : le cas le plus ancien recensé remonte au Moyen Âge.
Elles s’appellent Alice Ball, Jocelyn Bell, Rosalind Franklin ou Lise Meitner. La plupart d’entre elles méritaient le Nobel, mais aucune ne l’a obtenu. D’autres ont brillé à leur place, s’accaparant leurs découvertes, ainsi que les honneurs et prix qu’elles devaient recevoir. Pour une Marie Curie, combien de Marthe Gautier poussées dans l’ombre, évincées, effacées de l’Histoire ?
C’est un peu de cette injustice-là que Corinne Royer s’emploie à réparer par sa plume élégante, précise et poétique. Elle retrace, dans le détail, le cheminement de Marthe Gautier, les investigations et expériences qu’elle a menées à partir d’un coq de basse-cour ramené de son Ocquerre natal et d’un peu de matériel acheté avec ses propres deniers – l’hôpital Trousseau qui l’employait ne mettant à sa disposition qu’un microscope poussiéreux. Royer explique comment, grâce à une bourse d’études qui l’avait envoyée à Harvard, Marthe était la seule du service à connaître la technique de la culture cellulaire, développée par les Américains, nécessaire au décompte des chromosomes. Chapitre après chapitre, indice après indice, elle construit son roman en forme de plaidoyer, de réhabilitation de la scientifique surdouée.
Si le roman se perd parfois dans quelques digressions autour du personnage de Louisa, étudiante en médecine enquêtant sur le cas Marthe Gautier, la force du livre n’en est pas moins indéniable. Telle une justicière d’encre et de papier, Corinne Royer s’acquitte avec talent de sa mission : celle de rendre, enfin, à l’une de ces découvreuses oubliées, ce qui lui revient.
Ce qui nous revient, de Corinne Royer. Éd. Actes Sud, 272 pages, 21 euros.
En librairie · Les Victorieuses
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Raconte-nous encore une histoire… Laetitia Colombani n’a pas fait mijoter ses nombreux lecteurs. Un an après le succès international de La Tresse, son premier roman, la cinéaste nous régale avec un nouveau bonbon littéraire. Dans Les Victorieuses, elle suit la trajectoire de deux femmes. Aussi puissantes et radieuses que les héroïnes de son précédent livre. Solène, avocate renommée de 40 ans, qui s’effondre d’épuisement dès les premières lignes du roman. Et Blanche, née en 1870, qui escalade, de son côté, les barrières de son époque en devenant capitaine de l’Armée du salut. À un siècle de distance, ces deux forces de la nature adoptent des causes inattendues et décident de s’y vouer corps et âme sans pouvoir expliquer leur détermination. Laetitia Colombani prouve son art de tisser des histoires dans lesquelles on se laisse emmailloter et bercer sans cligner de l’œil. Surtout, elle confirme son attention aux émotions minuscules, ces débuts de larmes qui nous font prendre l’eau comme la cuirasse trouée de ses héroïnes. On se laisse faire. Lauren Malka
Les Victorieuses, de Laetitia Colombani. Éd. Grasset, 224 pages, 18 euros. Sortie le 15 mai.