Le conseil de lec­ture de Laetitia Colombani : « Ce qui nous revient », de Corinne Royer

COLOMBANI3©JF PAGA
J.-F. Paga

Ce roman de Corinne Royer paru cet hiver est pour moi une décou­verte. La décou­verte d’une décou­verte, devrais-​je dire. Celle de Marthe Gautier, qu’on a sur­nom­mée la « Découvreuse oubliée ». Âgée aujourd’hui de 93 ans, cette « jeune fille de longue date », comme la qua­li­fie si joli­ment l’autrice, a joué un rôle majeur dans la mise en lumière du chro­mo­some sur­nu­mé­raire de la tri­so­mie 21, en 1958. Une prouesse dont elle fut tout sim­ple­ment dépos­sé­dée. Éloquente illus­tra­tion de l’effet Matilda, du nom de la mili­tante fémi­niste amé­ri­caine Matilda Joslyn Gage : le déni ou la mini­mi­sa­tion récur­rente de la contri­bu­tion des femmes scien­ti­fiques à la recherche, au pro­fit de leurs col­la­bo­ra­teurs mas­cu­lins. Elles sont nom­breuses, telle Marthe, à avoir été spo­liées du fruit de leur tra­vail, à s’être vu can­ton­nées à quelques remer­cie­ments de bas de page – quand leurs noms ne furent pas com­plè­te­ment effa­cés. La chose ne date pas d’hier : le cas le plus ancien recen­sé remonte au Moyen Âge.

Elles s’appellent Alice Ball, Jocelyn Bell, Rosalind Franklin ou Lise Meitner. La plu­part d’entre elles méri­taient le Nobel, mais aucune ne l’a obte­nu. D’autres ont brillé à leur place, s’accaparant leurs décou­vertes, ain­si que les hon­neurs et prix qu’elles devaient rece­voir. Pour une Marie Curie, com­bien de Marthe Gautier pous­sées dans l’ombre, évin­cées, effa­cées de l’Histoire ?

C’est un peu de cette injustice-​là que Corinne Royer s’emploie à répa­rer par sa plume élé­gante, pré­cise et poé­tique. Elle retrace, dans le détail, le che­mi­ne­ment de Marthe Gautier, les inves­ti­ga­tions et expé­riences qu’elle a menées à par­tir d’un coq de basse-​cour rame­né de son Ocquerre natal et d’un peu de maté­riel ache­té avec ses propres deniers – l’hôpital Trousseau qui l’employait ne met­tant à sa dis­po­si­tion qu’un micro­scope pous­sié­reux. Royer explique com­ment, grâce à une bourse d’études qui l’avait envoyée à Harvard, Marthe était la seule du ser­vice à connaître la tech­nique de la culture cel­lu­laire, déve­lop­pée par les Américains, néces­saire au décompte des chro­mo­somes. Chapitre après cha­pitre, indice après indice, elle construit son roman en forme de plai­doyer, de réha­bi­li­ta­tion de la scien­ti­fique surdouée.

Si le roman se perd par­fois dans quelques digres­sions autour du per­son­nage de Louisa, étu­diante en méde­cine enquê­tant sur le cas Marthe Gautier, la force du livre n’en est pas moins indé­niable. Telle une jus­ti­cière d’encre et de papier, Corinne Royer s’acquitte avec talent de sa mis­sion : celle de rendre, enfin, à l’une de ces décou­vreuses oubliées, ce qui lui revient. 

Ce qui nous revient, de Corinne Royer. Éd. Actes Sud, 272 pages, 21 euros.


En librai­rie · Les Victorieuses

colombani c

Raconte-​nous encore une his­toire… Laetitia Colombani n’a pas fait mijo­ter ses nom­breux lec­teurs. Un an après le suc­cès inter­na­tio­nal de La Tresse, son pre­mier roman, la cinéaste nous régale avec un nou­veau bon­bon lit­té­raire. Dans Les Victorieuses, elle suit la tra­jec­toire de deux femmes. Aussi puis­santes et radieuses que les héroïnes de son pré­cé­dent livre. Solène, avo­cate renom­mée de 40 ans, qui s’effondre d’épuisement dès les pre­mières lignes du roman. Et Blanche, née en 1870, qui esca­lade, de son côté, les bar­rières de son époque en deve­nant capi­taine de l’Armée du salut. À un siècle de ­dis­tance, ces deux forces de la nature adoptent des causes inat­ten­dues et décident de s’y vouer corps et âme sans pou­voir expli­quer leur déter­mi­na­tion. Laetitia Colombani prouve son art de tis­ser des his­toires dans les­quelles on se laisse emmaillo­ter et ber­cer sans cli­gner de l’œil. Surtout, elle confirme son atten­tion aux émo­tions minus­cules, ces débuts de larmes qui nous font prendre l’eau comme la cui­rasse trouée de ses héroïnes. On se laisse faire. Lauren Malka

Les Victorieuses, de Laetitia Colombani. Éd. Grasset, 224 pages, 18 euros. Sortie le 15 mai.

Partager
Écrit par
Articles liés
115 maya angelou g. marshall wilson

Livres : Saga America

Attention les yeux, une œuvre amé­ri­caine magis­trale déboule en France. Celle de Maya Angelou, poé­tesse et acti­viste morte en 2014 à 86 ans, saluée par Michelle Obama comme « l’un des plus grands esprits que notre monde ait jamais...

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.