Taubira l'écrivaine
Paru en pleine rentrée littéraire, le premier roman de Christiane Taubira est de ceux qu’on ne lit pas comme les autres. En quelques pages, on est rassuré : le style littéraire est à l’aune de la verve oratoire de l’ancienne ministre. Gran Balan s’ouvre dans un tribunal de Guyane où comparait le jeune Kerma, pris malgré lui dans une affaire de braquage et de meurtre. Pour raconter l’enchaînement des faits qui l’ont mené là, le récit digresse vers d’autres personnages, en alternant les scènes et les songes : un éducateur, des mères courage, des élus, des magistrats, des malfrats. Tous convergeront vers le verdict qui attend Kerma. À travers eux, c’est l’histoire postcoloniale de cette terre qui est convoquée. En plus de trois cents pages où tout est « critique et pot-de-chambrique », tambours et chansons, épique et foisonnant. Validé ! H. A.
Marseille, ma belle
D’elle, il dit : « Elle en a marre, elle veut se sentir désirable. Elle se tire les cheveux, les décolore. […] Moi, je la trouve belle comme ça. Avec ses mots simples et ses manières de fille des rues. » Elle, c’est Marseille. Lui, c’est Hadrien Bels, qui signe un premier roman à la tchatche aussi vivante et fleurie qu’un gamin du Panier. Le Panier, justement, c’est le quartier qu’il raconte dans Cinq dans tes yeux. Celui où il a grandi dans les années 1990 – à l’instar de son héros, Stress –, avant que cet îlot populaire et bigarré ne devienne un repère de « venants ». Les « venants », c’est ainsi que Stress surnomme les bobos qui ont changé la face de Marseille. Ceux qui s’encanaillent à la Belle-de-Mai ou sur le cour Julien. Ceux qui débarquent quand la place est chaude. Stress, lui, a le cul entre deux chaises. Quand il a posé là ses bagages avec ses intellos de parents à la fin des années 1970, personne ne voulait y aller. Seul blanc bec du Panier. Mais aujourd’hui, malgré tout, lui aussi est un « venant »… contrarié. Cinq dans tes yeux oscille entre le portrait de la jeunesse de Stress avec ses potes Ichem, Kassim, Djamel et Ange, à base de soirées en boîtes afros, de virées à la plage, de bastons carabinées et de gros joints, et l’ambivalente Marseille d’aujourd’hui. Une déclaration d’amour très personnelle. S. G.
Nouveau Genre
Autrice remarquée en science-fiction, aussi frondeuse que politique (Le Goût de l’immortalité, Outrage et rébellion, entre autres), Catherine Dufour change de genre littéraire, et ça lui va bien. Elle se met au thriller et garde son humour noir. Voici donc Claude, tout juste 40 ans, SDF depuis qu’elle est au RSA, qui répond à cette annonce : un juriste américain prête une villa, au fin fond d’une région dépeuplée. En échange, il faut enquêter sur… la disparition des derniers locataires, un an plus tôt. La voilà partie. Pour une villa qui est en fait un manoir. Nous voici plongé·es dans un roman rural, de plus en plus inquiétant, avec ses histoires de fantômes, de revenants, de grincements. Doublé d’une trame sociale sur les déclassements successifs qu’a subi Claude. Entre le récit d’horreur, la série B et le roman noir : de la frousse et du rire. H. A.
Renversantes
C’était un·e des nominé·es surprises sur la première liste du prix Goncourt. Troisième roman de la Camerounaise Djaïli Amadou Amal, il a d’abord paru sur place, avant d’être repris par une maison d’édition hexagonale. Il avait déjà imposé cette militante féministe comme une écrivaine africaine d’envergure. Trois destins y sont racontés : Hindou, mariée de force à un cousin alcoolique et drogué qui la frappe ; Ramla, sa demi-sœur, qui avait épousé l’homme qu’elle aime, mais que son père vient de promettre à un oncle ; Safira, autre épouse de cet oncle-là, qui va donc devoir apprendre la polygamie. Dépossédées de leur corps et de leur sort, elles vont chercher à se libérer. Par une intrigue finement menée, avec une langue simple qui privilégie l’émotion, le politique et le lyrique, Les Impatientes fait exploser ces traditions. H. A.
Le roman du passé
Un livre qui s’écrit sous nos yeux, une saga intense, alliant suspens, secrets, coups de théâtre et enquête policière. C’est ce que nous offre Gaël Octavia, digne héritière de Duras, avec La Bonne Histoire de Madeleine Démétrius. L’héroïne est une autrice de romans de gare qui exerce son métier machinalement, sans passion. Un jour, une amie d’enfance, Madeleine, lui demande de rédiger son histoire. Et si le moment était venu pour elle d’écrire enfin LE roman de sa vie ? Martiniquaise, élevée dans la pudeur de la pauvreté, la jeune femme décide de fouiller les secrets de Madeleine et, au passage, de son propre passé. Comment en vient-on un jour à retirer les vieilles échardes invisibles qui nous empêchaient de marcher ? Quelle énergie, quelle finesse, quelle sensualité dans ce roman qui, comme les plus grands, nous apprend à vivre et à rêver. L. M.
Fin de récré
Prenez un roman d’ado que vous adorez, trempez-le dans un alcool bien fort, vous obtenez Zone d’éducation privilégiée, de Christophe Desmurger, comédie réjouissante et satirique sur le monde de l’Éducation nationale. On y suit Louis, instit de 42 ans, au sein d’une école parisienne huppée pendant toute une année scolaire. Il se rêve justicier solitaire, façon Clint Eastwood, veut réconcilier les pauvres et les riches, déjouer les règles absurdes de la directrice (comme le cache-cache en cas d’attentat terroriste). Autour de lui, une galerie de personnages où les adultes sont parfois plus dissipés que les gamins, et pour qui, malheureusement, les grands drames ne sont pas interrompus par la sonnerie de fin de récré. Un roman savoureux et engagé, qui se boit comme du petit lait, mais qui – attention danger – contient des pages inflammables prêtes à exploser. L. M.