![La sélection de janvier 2020 1 irma pelatan09webcreditsphoto hesseromier A](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/02/irma_pelatan09webcreditsphoto_hesseromier_A.jpg)
L’Odeur de chlore, d’Irma Pelatan
Attribué chaque année à un livre issu de maisons d’édition indépendantes, le prix Hors Concours récompense toujours des ouvrages surprenants. Hors des sentiers battus. Cette fois encore, avec L’Odeur de chlore, il couronne un ovni littéraire.
C’est un livre mince, moins de cent pages, troublant et juste comme un haïku. Difficile à définir. Irma Pelatan précise que son court récit est la « chronique d’un corps qui fait des longueurs ». Elle y raconte quatorze années de natation intense, dans l’extraordinaire piscine de Firminy-Vert, dans la Loire, conçue par Le Corbusier. Durant ces années, la narratrice quitte l’état de petite fille pour devenir une femme. Au fil des longueurs de bassin, au creux de la solitude de l’effort, le dialogue intérieur est permanent et la jeune fille va devoir affronter un souvenir douloureux, volontairement oublié, qui remonte à la surface.
On plonge avec délice dans ce récit intime au style inimitable. « J’ai cherché à traduire la langue du corps, précise Irma Pelatan, une langue qui est toute eau et rythme. Délaissant la fiction, j’ai laissé le réel me submerger jusqu’à rendre visible l’invisible, jusqu’à donner une place à l’inaudible. » I. M.
L’Odeur de chlore, d’Irma Pelatan. Éd. La Contre Allée, 98 pages, 13 euros.
Laissez-nous la nuit, de Pauline Clavière
Ça commence au grand air : les premiers rayons de soleil au printemps, deux merles qui se font la cour en haut du vieux cèdre. Au bout de quelques pages, tout rétrécit : celui qui goûtait le spectacle, Maxime Nedelec, quinqua et imprimeur en faillite, est arrêté chez lui. Jugement, prison, neuf mètres carrés pour deux. On attendrait un polar. Mais on oscillera entre le pur récit carcéral (Nedelec, ses codétenus, les matons, au quotidien) et une multitude de digressions qui nous font voir chaque personnage autrement (leur vie avant et pendant leurs délits, leurs proches). Alternant toujours ombre et lumière, violence et tendresse, évitant le misérabilisme comme l’angélisme, Laissez-nous la nuit épluche ses personnages jusqu’à l’âme. La chroniqueuse télé (C l’hebdo, sur France 5) Pauline Clavière offre un premier roman dense, malicieux, aéré, qui vous saisit par un verbe puissant et une empathie de tous les instants. H. A.
Laissez-nous la nuit, de Pauline Clavière. Éd. Grasset, 624 pages, 22,50 euros.
Le Sel de tes yeux, de Fanny Chiarello
Après une trentaine de romans, nouvelles et recueils de poésie, Fanny Chiarello offre une nouvelle variation de son travail, autour de son thème majeur : la naissance du désir entre femmes. Sarah, bientôt 18 ans, vit avec une mère du genre castratrice, qui lit ses mails et surveille bientôt ses « lectures orientées ». Au milieu desquelles, un jour, un roman de… Fanny Chiarello. Dès lors, la fiction et la vérité s’entremêleront. L’autrice intervient, prévenant qu’elle a inventé ce personnage de Sarah en croisant une adolescente qui courait dans la rue. Une lycéenne inconnue qui lui a inspiré Le Sel de tes yeux. Résultat : un court roman, une mise en abyme, qui se double de son making of. Une microfiction qui raconte aussi un personnage en quête d’auteur, et vice-versa. Il y est question de sexualité, d’identités, de rage intérieure, mais surtout d’affirmation (de soi comme de l’art romanesque). H. A.
Le Sel de tes yeux, de Fanny Chiarello. Éd. L’Olivier, 176 pages, 17 euros.
![La sélection de janvier 2020 2 de Caunes Photo2 A](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/02/de-Caunes-Photo2_A.jpg)
La Mère morte, de Blandine de Caunes
Benoîte Groult, icône du féminisme, était, de son vivant et jusqu’à ses 96 ans, adulée, citée, commentée. Dans son récit, La Mère morte, sa fille, l’écrivaine Blandine de Caunes, la réinscrit dans le clan des femmes qui l’ont entourée toute sa vie – ses filles, petites-filles et son arrière-petite-fille. Quand le livre s’ouvre, cette tribu féminine est réunie autour de Benoîte, qui souffre de la maladie d’Alzheimer. La fille de Blandine meurt à ce moment-là, à 36 ans, dans un accident de voiture. Entre sa mère mourante, sa petite-fille orpheline, Blandine écrit pour ne pas oublier, pour survivre. Et pour nous dire le débordement d’amour que représentait cette matriarche incroyable, « femme mariée, femme adultère, mère, écrivaine, ‑journaliste, militante féministe, socialiste… », dont nous sommes toutes un peu les héritières. Un récit choral, tristement humain et lumineux. L. M.
La Mère morte, de Blandine de Caunes. Éd. Stock, 220 pages, 20 euros.
Love Me Tender, de Constance Debré
Avant d’entrer dans un roman de Constance Debré, il faut laisser les conventions sur le palier. Ancienne avocate, devenue écrivaine, elle avait signé, en 2018, Play Boy, un livre jouissif, sulfureux et bouleversant. L’héritière du clan Debré – les Kennedy à la française – y plaquait, sous nos yeux, ses racines, son milieu et son mari pour s’enfermer dans une chambre de bonne, écrire et coucher avec des femmes.
Avec Love Me Tender, elle nous livre l’acte 2 de sa quête radicale d’identité. La narratrice, accusée par son ex-mari d’inceste et de pédophilie sur son fils de 8 ans – ce dont elle se défend –, paie cher sa liberté. Écumant les cours de justice qu’elle connaît par cœur, mais cette fois sur le banc des prévenu·es, elle rédige ici une confession littéraire à couper le souffle, entre saint Augustin et les Sex Pistols, foi en la vérité absolue et conscience affûtée des violences de notre époque. L. M.
Love Me Tender, de Constance Debré. Éd. Flammarion, 192 pages, 18 euros.
Préférer l’hiver, d’Aurélie Jeannin
« Si tu peux rester, reste, disait Baudelaire, pars s’il le faut. » Une mère et sa fille ont décidé de partir. Elles vivent dans une cabane dans la forêt, aux confins de la ville, dans un pays en guerre, où sont enterrés leurs enfants à chacune d’entre elles. Leur histoire s’égrène au fil des pages. L’hiver ‑glacial, le blanc, le silence, le vide… c’est ce qu’elles cherchaient. L’oubli aussi. Mais pas la violence des hommes, qui « traînent comme des animaux, […] griffent les sols et posent leurs pattes sur les femmes qu’ils trouvent ». La fille raconte ce huis clos où rien ne vit à part sa mère, lumineuse, belle, qui tranche avec la mort environnante. Dans ce premier roman, Aurélie Jeannin raconte l’histoire d’une résignation absolue, le duo d’une mère et de sa fille qui acceptent de survivre dans la douleur et le silence. Une poésie sidérante qui fait écarquiller les yeux de la première à la dernière page. L. M.
Préférer l’hiver, d’Aurélie Jeannin. Éd. Harper Collins, 240 pages, 17 euros.
Inland, de Téa Obreht
Américaine d’origine serbe, Téa Obreht se mesure ici à un récit typiquement américain : le western. Et ce, dès son ‑deuxième roman – le premier, La Femme du tigre, avait remporté l’Orange Prize for Fiction 2011. Nous voici en 1893. Dans leur ranch de l’Arizona, la famille de Nora et d’Emmett souffre de la sécheresse. Le mari est parti chercher de l’eau et le fils cadet se met à voir une bête mystérieuse. Cette journée d’attente est une trame du récit. L’autre, qui s’étend sur un espace-temps plus long, met en scène Lurie, immigré de ‑l’Empire ottoman, hors-la-loi poursuivi pour meurtre. Pour couvrir sa fuite, il a ‑intégré une troupe qui traverse la Californie… à dos de ‑chameau. Hanté par son passé, il communique avec les morts, et même avec les fantômes. La trame des pionniers et celle de l’immigré vont se ‑croiser, aussi bien par l’histoire que par une écriture envoûtante, qui alterne entre naturalisme, humour et chamanisme. H.A.
Inland, de Téa Obreht. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Blandine Longre. Éd. Calmann-Lévy, 472 pages, 21,90 euros.
Miroir de nos peines, de Pierre Lemaitre
L’année commence bien quand elle commence avec Pierre Lemaitre. Sept ans après Au revoir là-haut (Goncourt 2013, adapté au cinéma par Albert Dupontel, en 2017), deux ans après Couleurs de l’incendie, voici le troisième tome de la trilogie. Comme le volume précédent, une femme en est l’héroïne : Louise Belmont, qu’on a aperçue dans le livre premier. On la retrouve trentenaire, en ce mois de mai 1940. Un homme la fait chanter et… se suicide devant elle. Pourquoi ? Vous le décou-vrirez avec elle. Pendant ce temps, dans les forêts ardennaises, les bataillons attendent l’invasion allemande en trafiquant des denrées rares. Parmi eux, deux hommes, qui seront les antihéros de l’histoire. Vous irez ensuite sur les routes de l’exode, en passant par la prison militaire du Cherche-Midi, à Paris, les couloirs de la censure militaire, et deux-trois intrigues cocasses. Solidement documenté et toujours plus rusé, Lemaitre régale. H. A.
Miroir de nos peines, de Pierre Lemaitre. Éd. Albin Michel, 544 pages, 22,90 euros. Sortie le 2 janvier.