La sélec­tion BD d'octobre 2020

Tanz ! - de Maurane Mazars 

Quelle belle décou­verte que ce Tanz !, de la jeune artiste Maurane Mazars. Grâce et éner­gie sont réunies dans cet album qui a la dou­ceur de l’aquarelle avec laquelle il est réa­li­sé. La bédéaste nous embarque, par le charme irré­sis­tible de son héros, Uli, 19 ans, cri­nière fauve et taches de rous­seur inso­lentes, dans le milieu de la danse du New York des années 1950. Car Uli, jeune Berlinois, a beau étu­dier la danse moderne dans une école pres­ti­gieuse, lui ne jure que par Fred Astaire et Gene Kelly. Ce qui lui vaut le plus grand mépris de la part de ses condis­ciples. Jusqu’au jour où Uli ren­contre un beau jeune homme, noir amé­ri­cain, qui fait fondre son cœur, lui parle du « musi­cal » et lui conseille d’aller s’installer à New York pour ten­ter d’approcher de plus près sa pas­sion. C’est ce New York vibrant, foi­son­nant, pion­nier en tout et notam­ment dans la recon­nais­sance des droits homo­sexuels, que dépeint Maurane Mazars. Mais aus­si un New York où le racisme et la ségré­ga­tion sévissent encore, tout comme la pré­ca­ri­té et la concur­rence impi­toyable. Mais, au-​delà de ce cadre pas­sion­nant, c’est le talent d’une des­si­na­trice capable de trans­crire avec une grande vir­tuo­si­té les corps en mou­ve­ment et leur sen­sua­li­té, qui émer­veille. S.G

Love me please - de Nicolas Finet, Christopher et Degreff

Quatre disques, seule­ment. Janis Joplin n’a enre­gis­tré que quatre disques et a brillé une poi­gnée d’années dans le ciel psy­ché­dé­lique de la pop des années 1970. Mais Love Me Please, ce bio­pic gra­phique qui lui est consa­cré, recons­ti­tue intel­li­gem­ment les vingt-​sept années qu’il a fal­lu pour abou­tir à cette per­fec­tion vocale qu’est Janis Joplin le 12 août 1970, jour de son der­nier concert. Parce que bien sûr, cette voix, il a fal­lu bien des coups, des ­cha­grins, des élans et du déses­poir pour lui don­ner sa force envoû­tante. L’album suit un décou­page clas­si­que­ment chro­no­lo­gique, mais s’amuse avec la mise en page, et le tout res­ti­tue bien l’intensité de Janis. Intensité des addic­tions à l’alcool, au sexe, à la drogue et, sur­tout, à l’amour. Janis veut être aimée et elle en mour­ra, car la socié­té n’est alors pas prête (l’est-elle aujourd’hui ?) à accueillir cette sorte d’être libre et entier. Pas tout à fait un ange Janis (elle s’est fait beau­coup de mal à elle-​même), mais incroya­ble­ment sym­pa­thique et géné­reuse, ce qu’on a ten­dance à oublier. Et bien sûr qu’en fer­mant le livre, on se pré­ci­pite sur les enre­gis­tre­ments de cette sor­cière de la musique. I.M

Comédie Française - de Mathieu Sapin

Le grand Mathieu Sapin fait encore des siennes ! Et c’est tou­jours aus­si savou­reux. Il avait juré qu’on ne l’y pren­drait plus. Qu’il ne tou­che­rait plus à la poli­tique. Et puis voi­là. Le règne jupi­té­rien est arri­vé. C’était trop beau… Après avoir pas­sé neuf mois à suivre la cam­pagne pré­si­den­tielle de 2012 jusqu’à l’accession à l’Élysée de François Hollande, puis racon­té ce « pré­sident nor­mal » dans l’exercice du pou­voir de 2013 à 2015, le des­si­na­teur et obser­va­teur hors pair n’a pu résis­ter à aller mettre son nez dans les cou­lisses de la Macronie. Sans doute n’a‑t-il pas eu les mêmes accès qu’avec Hollande, signe d’un man­dat à la com­mu­ni­ca­tion bien plus ver­rouillée. De ce point de vue, les féru·es de la vie poli­tique seront peut-​être un peu frustré·es. En revanche, les mordu·es d’Histoire et de théâtre en auront pour leur argent. Car, pour contrer la dif­fi­cul­té, Mathieu Sapin ima­gine une parade aus­si hila­rante que pas­sion­nante : mettre en paral­lèle la tra­jec­toire de Jean Racine, qui, au-​delà d’être le dra­ma­turge de génie que l’on sait, fut éga­le­ment auteur-​courtisan de Louis XIV, et la sienne dépei­gnant l’entourage de Macron. Une pein­ture foi­son­nante et hyper docu­men­tée du grand siècle, sau­pou­drée d’une auto­dé­ri­sion fort bien­ve­nue. Poilant ! S. G.

Malossol Beach - d'Hannelore Cayre et Pascal Valty 

Elle a rem­por­té le grand prix de la lit­té­ra­ture poli­cière avec La Daronne et écrit six polars aux petits oignons. Or voi­là qu’Hannelore Cayre se lance dans le roman gra­phique de science-​fiction ! Envie de quit­ter sa zone de confort pour une virée inter­pla­né­taire ? Sans doute. 
L’histoire se déroule dans une socié­té domi­née par les riches (si, si, c’est de la SF), col­lec­tion­neurs d’art contem­po­rain. Un pro­lo, artiste qui s’ignore, est appe­lé à côtoyer l’élite sur la chic pla­nète Hysperia, avec sa femme, une ex-​prostituée finaude. La situa­tion donne lieu à des échanges hila­rants sur l’art et sur le sens du beau. Ajoutez à ça une intrigue qui court, un poil de fémi­nisme, de vifs rebon­dis­se­ments et de redou­tables cor­ni­chons télé­pathes. Le tout bien sen­ti par Valty et ses des­sins râblés. Et voi­là Malossol Beach, album aus­si impro­bable que réus­si. I.M