La sélec­tion BD de novembre 2020

À volon­té – Tu t'es vue quand tu manges ?

L’une s’appelle Mademoiselle Caroline. L’autre s’appelle Mathou. Vous connais­sez sans doute déjà leurs nom­breuses BD, dans les­quelles elles se racontent avec humour et légè­re­té. Voilà que les deux autrices et des­si­na­trices s’associent dans un ouvrage à quatre mains pour évo­quer un sujet avec lequel cha­cune d’elles bataille depuis des années : le poids. La façon dont elles vivent avec, pas tou­jours évi­dente. Mais, sur­tout, le regard de notre socié­té qui, sans même s’en aper­ce­voir, fait vivre un cal­vaire et une culpa­bi­li­té per­ma­nente aux concerné·es. Caro, 46 ans, trois enfants, est « née avec des kilos en trop ». Mathou, 37 ans, un enfant, a « des kilos en trop depuis trop long­temps ». Ainsi se présentent-​elles en intro­duc­tion, avant de nous embar­quer, sans jamais se dépar­tir de leur humour, dans leur quo­ti­dien de grosse. Des remarques dépla­cées des méde­cins aux ven­deuses qui croient vous faire plai­sir en vous offrant des échan­tillons de crèmes amin­cis­santes ; des amis qui vous assurent qu’ils vous aiment « comme vous êtes » au moni­teur de kayak qui hurle devant tout le monde « y a des tailles XXL ? » pour les gilets de sau­ve­tage, en pas­sant par les ascen­seurs minus­cules conçus pour une per­sonne ultra mince, les deux femmes font la preuve par l’exemple de la gros­so­pho­bie ordi­naire. Et rap­pelle que der­rière cha­cun de nos corps, il y a toute une histoire. 

Le mani­feste des 343 – Histoire d'un combat 

Il y a presque cin­quante ans, « Le mani­feste des 343 », publié dans Le Nouvel Observateur, chan­geait le cours de l’Histoire. Un scoop énorme dans lequel des femmes – dont cer­taines très célèbres comme Catherine Deneuve, Jeanne Moreau, Françoise Fabian ou encore Delphine Seyrig –, décla­raient publi­que­ment avoir avor­té. À l’époque, la pra­tique est illé­gale et elles s’exposent ain­si à des pour­suites judi­ciaires pou­vant aller jusqu’à l’emprisonnement. Il n’en sera rien et cet appel ouvri­ra la voie à l’adoption de la loi Veil quatre ans plus tard. Cette his­toire, on la connaît. On connaît moins celle de Nicole Muchnik, la femme der­rière le scoop. À l’époque, la jeune jour­na­liste s’est bat­tue comme une lionne pour mener cette action d’envergure et ten­ter de faire chan­ger les men­ta­li­tés. C’est avec l’aide de Simone de Beauvoir (qui a rédi­gé le texte du mani­feste) et celle du MLF (qui avait refu­sé au départ qu’il soit publié dans un jour­nal « bour­geois ») que Nicole Muchnik est par­ve­nue à ses fins. Et c’est tou­jours émou­vant quand des femmes résistent et, ensemble, abou­tissent. C’est ce que raconte Le Manifeste des 343 – Histoire d’un com­bat, un beau roman gra­phique, fruit d’une longue enquête d’Adeline Laffitte et Hélène Strag et illus­tré par celui qui avait déjà des­si­né Simone Veil, l’immortelle, Hervé Duphot. À offrir à ses enfants.

Maison ronde – Radio France de fond en comble 

Ahhhhh… la Maison ronde ! En voi­là une qui n’en finit pas de fas­ci­ner. Après le docu­men­ta­riste Nicolas Philibert qui, en 2013, avait consa­cré un beau film à la Maison de la radio, c’est au tour du des­si­na­teur Charlie Zanello de s’immiscer dans les cou­lisses de cette belle ins­ti­tu­tion. Car der­rière les voix des animateur·trices vedettes qui nous accom­pagnent tous les matins en nous bros­sant les dents vire­volte une armée de professionnel·les ano­nymes qui œuvrent à ce que ces beaux pro­grammes arrivent jusqu’à nos oreilles. Quatre mille per­sonnes, très pré­ci­sé­ment. Et autant de cou­loirs inter­mi­nables que le des­si­na­teur, col­la­bo­ra­teur régu­lier de Fluide gla­cial et auteur de Dedans le Centre Pompidou-​Metz, a fou­lé pen­dant un an. De l’hôtesse d’accueil, qui connaît les moindres recoins de la mai­son, aux mythiques stu­dios 105 et 106, qui ont accueilli en leur temps Le Tribunal des fla­grants délires ; des attaché·es de pro­duc­tion (dont on com­prend enfin le métier !) aux bruiteur·euses qui crée des ambiances sonores pour les fic­tions de France Culture à base d’éponges mouillées et de papiers frois­sés ; du caphar­naüm dans le bureau de Frédéric Lodéon (la star de France Musique) aux cou­lisses des résul­tats Médiamétrie, vous sau­rez tout sur Radio France. Même quand elle est en grève. Et c’est pré­ci­sé­ment grâce à un repor­tage des­si­né comme celui-​ci que l’on com­prend à quel point il est néces­saire, pour que le ser­vice public conti­nue d’être de qua­li­té, de pro­té­ger les gens qui le fabriquent.