Chaque mois, un auteur, une autrice, que Causette aime, nous confie l’un de ses coups de cœur littéraires.
![La recommandation lecture de Sophia Aram : "Le Plongeon", de Séverine Vidal et Victor L. Pinel 1 sophia aram1 copyright geoffroy de boismenu a](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2021/05/sophia-aram1-copyright-geoffroy-de-boismenu_a-682x1024.jpg)
"N’ayant pas une vraie culture BD et aucun penchant pour les histoires d’Ehpad – je ne dois pas être la seule dans ce cas –, il y avait peu de risques que je tombe sur Le Plongeon, de Séverine Vidal et Victor L. Pinel, si ce n’est d’avoir eu la chance de connaître la coautrice et d’avoir partagé un projet d’écriture radiophonique avec elle. C’est une histoire de vieux, enfin, de vieille qui dégringole, un peu comme nous tous. Sauf qu’elle le sait. Elle doit quitter sa maison, sa vie, renoncer et puis partir, rejoindre l’Ehpad des Mimosas pour être prise en charge.
On ne sait pas toujours dire pourquoi une histoire vous touche et après tout, on s’en fout un peu du pourquoi. C’est une somme de détails, de justesse des dialogues, de simplicité du dessin. Je ne sais pas non plus vous dire à quel moment j’ai écrasé ma première larme. C’est idiot, je sais. Comme sa maison, le corps d’Yvonne a encore de beaux volumes, même s’il faudrait prévoir quelques travaux.
Et si on parlait un peu d’une femme de 80 balais ? À commencer par montrer son corps. Comprendre ses envies, ses peurs, ses aspirations, ses combats. Sa force aussi. Sa capacité à résister à tout et avant tout à l’infantilisation des vieux. Yvonne plonge, et ce plongeon fait partie de la vie. On a tous un peu commencé à plonger. Il faut passer cette angoisse, arrêter de ne pas voir. Car quel que soit votre âge, vous verrez que vous finirez par vous dire que c’est pour bientôt.
Yvonne a le temps d’être drôle, mélancolique, heureuse aussi. Elle a le temps de se faire belle pour son petit-fils, Tom, qui, lui, n’a pas toujours le temps. D’autres perdent la boule. Ils font partie de la vie d’Yvonne. Le collectif se crée. Vivre ensemble. Vieillir ensemble, encore. S’aimer aussi. Être vieux, c’est vivre encore. Je ne sais plus à quel moment j’ai pleuré, mais je sais pourquoi. Ce livre donne à voir ce long plongeon que nous avons tous déjà entamé, même si nous ne sommes pas tous au même moment du parcours.
On n’a peut-être pas la chance d’avoir une grand-mère comme Yvonne, mais une chose est chouette, c’est de commencer à penser à cette vieille ou à ce vieux que l’on veut devenir. On veut être celle qui place « ÉJACULE » en mot compte triple au Scrabble, on veut mouler une bite à l’atelier poterie et on veut organiser des boums avec nos copains vieux dans notre chambre parce que, après tout, si on ne le fait pas à 80 ans, quand le fera-t-on ? Après avoir refermé Le Plongeon, je sais au moins que quand je serai vieille, j’aimerais être au moins la moitié d’une Yvonne !"
![La recommandation lecture de Sophia Aram : "Le Plongeon", de Séverine Vidal et Victor L. Pinel 2 9782818978993 1 75 a](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2021/05/9782818978993_1_75_a.jpg)
Le Plongeon, de Séverine Vidal et Victor L. Pinel. Éd. Bamboo/Coll. Grand angle, 80 pages, 17,90 euros.
En librairie : La question qui tue de Sophia Aram
Le matin, sur France Inter, elle nous réveille avec son humour et son humeur, en épinglant avec talent les travers de ses contemporains. Dans son premier livre, La question qui tue, Sophia Aram raconte l’envers du décor, ce qui arrive en off, dans la solitude des réseaux sociaux et des dîners mondains. Ces commentaires mal placés que les Américains nomment « micro-agressions » et dont la récurrence finit par provoquer l’usure et la colère. Quelques exemples : « À la radio, on n’entend pas que tu es marocaine ! », ou encore : « Tu viens de Trappes, t’as du shit ? » Parfois, la bonne réplique survient d’elle-même, ce jour-là, Sophia Aram aura l’audace de répondre : « Tu viens de Boulogne, t’as un plan pute ? » Mais la plupart du temps, ces « pichenettes » lancées sans méchanceté n’appellent pas vraiment de réponse. Pourtant, elles heurtent, et de plus en plus avec le temps. Peut-on se revendiquer micro-victime ? Entre questionnements sincères, désolation et éclats de rire, Sophia Aram signe un livre à son image. Et ça réveille. L.M.
La question qui tue. Perfidies ordinaires, maladresses et autres micro-agressions, de Sophia Aram. Éd. Denoël, 176 pages, 14 euros.