Un trio amoureux en lutte, un manifeste de la pensée de Bourdieu, une capitale libanaise confinée… Voici nos recos BD du week-end !
Hacker la peau
Print, une poétesse en polyamour avec le hacker Axl et la couturière Molly, suit une quête presque mystique : et si, à la confluence de la Saône et du Rhône, il y avait la source d’un troisième fleuve ? Une métaphore sensible, aussi, de la transidentité, au cœur de cet album créé par Jul Maroh et Sabrina Calvo, préfacé avec passion par l’autrice et chercheuse féministe Wendy Delorme. Dans ce récit teinté d’anticipation, l’extrême-droite vient d’arriver au pouvoir et la violence de ses groupuscules se démultiplie contre toutes les minorités. Le trio amoureux entre en lutte et s’apprête à vivre une nuit décisive, entrecoupée de flash-back, se faufilant dans les ruelles escarpées d’un Lyon plus secret que jamais. La BD trouve d’ailleurs un écho troublant dans l’actualité, la ville ayant connu depuis sa sortie en octobre 2023 de nombreux rassemblements d’ultradroite. Mais ce qui en fait un immanquable de l’automne, c’est cette façon de "hacker" les codes habituels de narration, de bousculer les représentations et de porter en étendard, avec poésie, une parole queer de plus en plus présente dans la BD contemporaine. La lecture en perdra certain·es mais celles et ceux qui accepteront de lâcher prise seront récompensé·es.
!["Hacker la peau", "La distinction", "Mona Corona"... Nos recos BD du week-end 2 CV HACKER LA PEAU](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2023/12/CV-HACKER-LA-PEAU-809x1024.jpg)
Hacker la peau, de Jul Maroh et Sabrina Calvo. Le Lombard, 96 pages, 19,95 euros.
La distinction
"Quelle est la différence, selon vous, entre un grand bourgeois et un membre des classes populaires ?", demande à ses élèves un jeune prof de SES encore hésitant. "L’argent !!!" répond la classe à l’unisson. Silence total, en revanche, quand le prof leur renvoie en boomerang la suite du raisonnement : il suffirait donc de devenir riche pour intégrer les classes dominantes ? En faisant étudier La distinction, essai majeur du sociologue Pierre Bourdieu (1930−2002) sur le lien entre pratiques culturelles et classes sociales, l’enseignant plante chez ces jeunes une petite graine. Qui va germer en une multitude de discussions et débats, entre eux mais aussi auprès de leurs familles, racontés sur près de 300 pages qui se lisent d’une traite. Tiphaine Rivière, remarquée en 2015 pour son hilarant Carnets de thèse (Seuil), qui faisait déjà preuve d’une vraie finesse sociologique, met la pensée bourdieusienne entre toutes les mains avec cette BD rythmée, aux personnages attachants et crédibles. Elle arrive même à actualiser le propos en intégrant l’éclectisme qui caractérise les nouvelles habitudes culturelles, pour en faire au final un manifeste qui appelle au dépassement de toutes les distinctions. Intelligent, moderne et drôle !
!["Hacker la peau", "La distinction", "Mona Corona"... Nos recos BD du week-end 3 DISTINCTION](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2023/12/DISTINCTION-787x1024.jpg)
La distinction, de Tiphaine Rivière. Delcourt /La Découverte, 288 pages, 29,95 euros.
Mona Corona
Un rose saumon qui repeint le ciel et colore les plantes : c’est la seule couleur qui vient s’infiltrer dans le noir et blanc de l’album de Michèle Standjofksi. L’illustratrice libanaise imagine une Beyrouth légèrement dystopique – sans jamais la nommer – dont les décombres fantomatiques sont surtout traversés par des équipes de décontamination, tandis qu’un mystérieux virus maintient toute la population à domicile. Jusqu’à ce que Mona, une jeune femme qui veille sur de drôles de plantes, se lance dans une danse contagieuse… Témoignage de la pandémie comme de la double explosion survenue le 4 août 2020 dans le port de Beyrouth, cet album se lit avant tout comme un poème à travers lequel on se laisse porter par une atmosphère onirique au doux parfum de révolution. La danse comme première étape du fameux "monde d’après" : cela peut paraître niais et pourtant cela sonne juste, comme si quelque chose de l’époque était capturé entre ces pages. On en attendait pas moins de la première BD de la toute jeune maison d’édition marseillaise Le bruit du monde (rattachée au groupe Editis), à la ligne aventureuse.
!["Hacker la peau", "La distinction", "Mona Corona"... Nos recos BD du week-end 4 10 Couv Mona Corona](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2023/12/10_Couv_Mona_Corona-778x1024.jpg)
Mona Corona, de Michèle Standjofksi. Le bruit du monde, 152 pages, 24 euros.