Ce mois-ci, on vous propose six lectures idéales pour passer l'automne.
Débrouille-toi avec ton violeur, d’Infernus Iohannes
Attention OLNI ! Cet objet littéraire non identifié est signé d’un nom inconnu : Infernus Iohannes. Levons le voile illico : il s’agit du nouveau nom de plume d’Antoine Volodine, écrivain qui varie les pseudonymes et hétéronymes (Volodine, Elli Kronauer, Manuela Draeger, Lutz Bassmann) pour aborder plus librement des genres littéraires très différents. L’entité Iohannes signe ce Débrouille-toi avec ton violeur, présenté comme un recueil de témoignages de trois femmes, de pays et de cultures différentes. Il est question de la bestialité de l’acte de pénétration entre un homme et une femme, et de la prédation masculine comme coutume occidentale. Une somme d’insurrections textuelles, au croisement du manifeste, du cri politique et de l’expérimentation littéraire.
Débrouille-toi avec ton violeur, d’Infernus Iohannes. Éditions de L’Olivier, 256 pages, 19 euros. Sortie le 7 octobre.
GPS, de Lucie Rico
« Jouer avec le public comme le chat avec la souris » : cette phrase de Hitchcock semble guider la voie romanesque de Lucie Rico. Un an après Le Chant du poulet sous vide, une irrésistible satire écologique, elle revient avec un thriller psychologique encore plus noir et jouissif : GPS. On y suit le fil mental d’Ariane, qui vit cloîtrée chez elle pour éviter son anxiété sociale. Jusqu’au jour où Sandrine, sa meilleure (et seule) amie, lui demande d’être sa témoin de mariage, joignant un lien GPS pour la localiser sur une carte. Plus tard, alors que la fête de fiançailles bat son plein, Sandrine disparaît. Ariane s’en remet au point rouge du GPS pour suivre, espère-t-elle, la fuite de son amie. Mais ce point rouge est-il vraiment Sandrine ou un tueur qui trimballe son cadavre ? Une blague destinée à sortir Ariane de chez elle, ou peut-être une pure projection mentale ? Et si le point rouge était le seul être qu’Ariane aimait vraiment, possédait pleinement ? Dans une tension qui monte crescendo entre illusions d’optique et psychose, Lucie Rico déploie une carte aux interprétations multiples. Un itinéraire aux mille chemins qui nous mènent tous au même terminus : le sommet de nos délires contemporains. Une pure pépite.
GPS, de Lucie Rico. P.O.L, 224 pages, 19euros.
Les Couleurs, d’Amandine Hamet
Attendrissement, rire jaune et colère noire. Dans Les Couleurs, Amandine Hamet raconte son quotidien de prof de français en « classes de pauvres », appelées « UPE2A ENSA ». Ces « unités pédagogiques » accueillent des migrant·es mineur·es non francophones qui n’ont, pour la plupart, pas de logement pérenne. Il y a Mouss, qui a vu la mort sur son canot de sauvetage ; Ixi, 12 ans, qui semble en avoir 8 tant elle est recroquevillée sur elle-même. Parmi ces « petites personnes abîmées », la prof se définit comme une « majeure non accompagnée ». Car comment exercer son métier, gérer les émotions de ces enfants dont elle ne sait rien, qui peuvent s’envoler du jour au lendemain ? Comment défendre leur sort auprès d’une administration aveugle ? Dans ce récit vivant et incisif, Amandine Hamet nous fait entendre la révolte étouffée sous les acronymes et la langue de bois.
Les Couleurs, d’Amandine Hamet. Les Avrils, 224 pages, 20 euros.
Questions brûlantes, de Margaret Atwood
Comme chaque automne ou presque, la Canadienne sera citée parmi les favorites pour le prix Nobel de littérature, et nous verrons bien si Atwood rejoint au tableau d’honneur Alice Munro et Doris Lessing, sur lesquelles nous trouvons d’ailleurs ici deux textes élogieux. Questions brûlantes est le troisième recueil d’articles, tribunes et autres essais écrits par l’autrice ces soixante dernières années. Rédigés entre 2004 et 2021, ils portent sur des questions littéraires (l’adaptation télé de La Servante écarlate, quelques tribunes et préfaces sur des écrivain·es actuel·les ou passé·es), ou sur des problématiques plus universelles : le 11-Septembre, Obama, la crise financière, les premières années Trump, le Covid et le mouvement #MeToo. On s’en doute : c’est sur les enjeux de féminisme(s), de place des femmes dans l’Histoire, ou encore sur les questions environnementales, que ces textes sont le plus attendus. Et on est servi·e : outre sa tribune controversée de janvier 2018 (« Suis-je une mauvaise féministe ? »), où elle mettait en garde les jeunes féministes contre des dérives de « sorcières », on trouvera ici quelques compositions vibrantes qui, sur ce thème comme en toute chose, ont un but identique à celui de ses fictions : étudier les bases d’un « monde nouveau » – l’expression revient très souvent ici. Pour ses fans, mais pas seulement.
Questions brûlantes, de Margaret Atwood, traduit de l’anglais (Canada) par M. Albaret-Maatsch, O. Demange, V. Leÿs-Legoupil, R. Morin, I. Delord-Philippe. Robert Laffont,
480 pages, 22,90 euros. Sortie le 13 octobre.
Supermarché, de José Falero
En ce mois d’élection présidentielle au Brésil et de duel Lula/Bolsonaro, c’est le moment parfait pour découvrir ce premier roman pétaradant. Direction Porto Alegre, où Pedro et Marques, deux jeunes gars des favelas, sont rayonnistes dans un grand supermarché. Le premier est politisé et révolté, le second est patibulaire, les deux veulent sortir de leur humiliante condition sociale. Voilà que Pedro trouve LE truc, LE plan sûr : depuis des années, seules les drogues dures se vendent dans ces favelas, il faut donc relancer le deal d’herbe. Après tout, ils connaissent tout le monde. C’est parti pour une fiction assez unique : quelque part entre la guerre des gangs, la série B et l’antimanuel d’économie. Bâti sur un sérieux propos sociologique, Supermarché est dopé par un argot et un humour hyper stimulants, avec une sacrée ruse et beaucoup de tendresse. Un plan parfait.
Supermarché, de José Falero, traduit du brésilien par Hubert Tézénas. Métailié, 336 pages, 22 euros
L’été où tout a fondu, de Tiffany McDaniel,
Révélée par le subjuguant Betty, en 2020, l’Américaine Tiffany McDaniel revient avec un roman déjà publié en France en 2019 mais qui n’avait pas connu le succès mérité. Le voilà republié, en cette rentrée, dans une nouvelle traduction. Et cela valait le coup de s’y prendre à deux fois. Nous voici donc en 1985, dans la petite ville (fictive) de Breathed, Ohio. Procureur, hanté par la lutte entre le bien et le mal, Autopsy Bliss veut voir le diable par lui-même. Alors, il le provoque : par une petite annonce dans le journal, il l’invite à Breathed. Le lendemain, un garçon noir se présente, prétendant être le diable. Dès lors, tout change pour le pire : les températures montent, les actes de racisme et d’homophobie se multiplient, les accidents aussi. Ce roman est une double lame : un portrait de l’Amérique profonde au moment où le sida devint une épidémie et une allégorie sur le démon que nous avons tous en nous.
L’été où tout a fondu, de Tiffany McDaniel, traduit de l’anglais (États-Unis) par François Happe. Gallmeister, 480 pages, 25,60 euros