Le trimestriel Metal Hurlant consacre un numéro hors-série au magazine Ah ! Nana, qui, dans les années 70, offrit un espace de (grande) liberté aux autrices et dessinatrices de BD les plus engagées. L’occasion de redécouvrir ce journal qui fut le premier magazine de BD 100% féminin. Et à ce jour, le seul.
Elles avaient défrisé les moumoutes laquées des censeurs des années 70, les autrices et dessinatrices du magazine Ah ! Nana. Un journal de BD fait par des femmes, pour les femmes, créé en 1976 et interdit dès 1978. Seulement neuf numéros donc, mais scandaleusement libres, paroles et dessins confondus, qui abordèrent des sujets aussi sulfureux pour l’époque que les droits des femmes, le néonazisme, l’utilité de la mode, la sexualité des jeunes filles, l'inceste, l'homosexualité et même transidentité, qui vaudra à la publication une interdiction au lectorat des mineurs. C’est dans la mouvance Métal Hurlant, un périodique à la pointe de la BD créé en 1975 par les Humanoïdes Associés, que Ah ! Nana avait vu le jour. Aujourd’hui, Métal Hurlant décide de lui rendre hommage en proposant, pour le mois de septembre et disponible à la précommande, un numéro hors-série de 300 pages. On y trouvera les meilleurs extraits d’origine, enrichis de la nouvelle génération d'autrices. Causette a rencontré la co-rédactrice en chef, Cécile Chabraud, pour quelques phylactères explicatifs.
Causette : Pourquoi republier Ah ! Nana aujourd’hui ? Le contexte, avec la vague féministe, était particulièrement favorable ?
Cécile Chabraud : Ça s'inscrit peut-être dans cette période mais ce n'est pas de cette volonté qu'est née l'idée de publier ce numéro de Métal Hurlant hors-série. On veut surtout montrer l'incroyable richesse d'un magazine entièrement fait par des femmes, dédié à toutes les femmes et qui a été censuré, et aussitôt oublié, alors que les postures sexistes, dans lesquelles la femme est reléguée à des rôles passifs et stéréotypés, perdurent toujours.
Au départ, on voulait faire un numéro vintage. Mais dès la relecture des magazines, on est tous tombés d'accord sur le fait qu'Ah ! Nana méritait une place spéciale. Nous devions faire honneur à ces femmes qui ont ouvert la voie aux autrices d'aujourd'hui : Chantal Montellier, Florence Cestac, Nicole Claveloux, Trina Robbins, Aline Issermann. Il fallait contribuer à faire connaître ou faire redécouvrir ce magazine très riche et … jamais vu ! Et montrer aux jeunes générations qu'il existait un espace de liberté incroyable, il y a presque 50 ans, pour les autrices de bande dessinée. Rappeler ou dire qu'il y a des années de ça, les femmes se bougeaient déjà et jouaient des coudes dans un milieu, à tort, exclusivement masculin.
Y-a-t-il des articles / dessins / sujets qui vous ont choquée ou qui seraient potentiellement choquants pour des lecteurs et lectrices d’aujourd’hui ?
C.C. : Aucun. Ces femmes-là ont abordé tous les sujets sur lesquels on ne leur avait jamais permis d'exprimer un avis. Ça paraît aberrant de constater que ces sujets-là, le sexe, le rock, le nazisme ne posaient aucun problème lorsqu'ils étaient traités par les hommes, mais étaient jugés terriblement outranciers, dès que les femmes s'en emparaient.
Bien entendu, certaines pages peuvent être choquantes pour les plus jeunes, mais Ah ! Nana, comme Métal Hurlant, se démarquaient par leurs publications adultes, à la différence de leurs magazines concurrents comme Pilote, par exemple.
Vous avez contacté les autrices et dessinatrices … quelles ont été leurs réactions en revoyant ces pages ?
C.C. : Je n'ai eu que des retours positifs ! Toutes, une à une, quel que soit leur degré de notoriété ou leur âge, nous ont encouragés. Pour les besoins de ce numéro exceptionnel, dans lequel nous faisons participer des autrices d'hier et d'aujourd'hui, nous avons fait découvrir le magazine à de jeunes autrices, entre 20 et 30 ans, et pas une seule ne s'est offusquée. Pourquoi ne pourrait-on pas s'exprimer sur ce que les hommes s'approprient depuis des années ? Au contraire, elles ont adoré ! Janic Guillerez, la rédactrice en chef du journal, voulait, à travers Ah ! Nana, ne plus « devoir assumer les phantasmes masculins déguisés en règle d'or de la presse » et dès les premières pages, le pari était gagné. On est très fier.e.s d'éditer ce numéro spécial dédié au magazine le plus déroutant et jubilatoire que l'Histoire de la bande dessinée ait connu. Il était fait par des femmes.
Métal Hurlant hors-série: Ah ! Nana. Actuellement disponible à la précommande sur la plateforme KissKissBankBank sur le modèle d'une campagne de financement participatif
