Au fil de ses livres, Amandine Dhée aborde nos questionnements les plus intimes, qui sont aussi de grands sujets de société. Après la maternité et la sexualité, elle s’interroge cette fois sur la mort. Et par la grâce de son style si particulier, son livre Sortir au jour devient un chaleureux viatique sur tout ce qui nous lie.
Au départ, il y a une rencontre entre Amandine Dhée, venue dédicacer son précédent livre en librairie, et Gabriele. Celle-ci est thanatopractrice et pourtant solaire. « Pourtant », car comme nombre d’entre nous, l’autrice avoue qu’elle imagine celles et ceux qui pratiquent cette profession comme des personnes « jaunâtres et grisonnantes ». Gabriele est l’opposé de cela. Et comme Amandine Dhée est tourmentée par la perte, la mort, la disparition, elle est forcément intriguée par le métier de Gabriele.
Les échanges s’installent alors entre l’écrivaine et la thanatopractrice. Le livre est tissé des réflexions de l’autrice, souvenirs, scénettes du quotidien croquées avec humour, et des témoignages de Gabriele, racontant son expérience, ses relations avec les familles endeuillées et avec les défunts, qu’elle traite avec une grande humanité. Causette a rencontré Amandine Dhée dont l’objectif était d’écrire « un livre réconfortant sur la mort ». Objectif largement atteint.
Causette : Ce titre, Sortir au jour, est intrigant. En fait, on peut l’interpréter de multiples façons…
Amandine Dhée : En discutant de son travail avec Gabriele, nous avons évidemment évoqué les rituels d’embaumement de l’Egypte ancienne. Ils reposent sur l’idée que le mort va quitter son enveloppe terrestre, traverser le royaume des ténèbres, sortir au jour puis réintégrer son corps. Or, pour aider à la traversée des ténèbres, qui est pleines d’embûches, on dépose dans le cercueil un guide. Et la traduction littérale de son titre est « Guide pour sortir au jour ». J’ai été touchée par ce très beau titre qui contient cette dualité mort et nuit/vie et jour. Je savais que je ne pourrais pas parler de deuil si je ne parlais pas de vie, de lien. On ne peut pas évoquer la perte sans dire la puissance du lien. Et puis j’essaie toujours de choisir des titres les plus ouverts possibles pour laisser une liberté d’interprétation.
« Sortir au jour », ça évoque aussi l’idée de sortir de l’ombre, d’afficher clairement quelque chose…
A.D. : Oui, c’est aussi « libérer la parole ». C’est mon travail d’écrivaine, comme quand j’écris sur la maternité, la sexualité … j’ai envie qu’on en discute ! De la mort, qui est pourtant omniprésente, on parle peu. Récemment, une lectrice m’a raconté qu’elle avait perdu son père l’année précédente et qu’elle n’arrivait plus à en parler, même à ses amis. Parce qu’en fait, à un moment, vous dépassez ce que les autres estiment être le bon dosage de chagrin. Vous sentez alors qu’il ne faut plus l’évoquer.
Une des idées principales qui se dégagent du livre, c’est que la mort fait réapparaitre ce qu’il y a de plus intense dans notre vie.
A.D. : J’évoque un peu ça dans La femme brouillon1, cette sensation d’une brèche qui s’est ouverte au moment de la maternité. Non pas que j’ai envie de faire de la maternité l’expérience ultime, mais pour moi, ça s’est passé à ce moment là, la découverte de ce lien puissant avec l’enfant, et du même coup la possibilité que ce lien puisse m’échapper. L’envers possible du miracle. Un déclic qui m’a fait sentir mon immense vulnérabilité à cet endroit.
D’où cette idée d’écrire sur ce que vous redoutez le plus, une sorte d’exorcisme ?
A.D. : C’est exactement ça, j’écris avec ce qui me fait peur. Il y a quelque chose d’un peu bravache : « Allez, vas‑y, affronte le démon ! ». J’avais déjà fait quelques textes sur le sujet, mais sans aboutir. Sans la rencontre de Gabriele je ne serai pas allée au bout. C’est comme si j’avais eu besoin de savoir que quelqu’un serait là, au bout du chemin, pour prendre soin de nous… je crois que c’est ça qui m’a autorisée à écrire.
Quelqu’un qui non seulement se préoccupe de l’apparence des défunt·es mais aussi, écrivez-vous, « propose un récit » ?
A.D. : Gabriele m’a raconté combien elle avait été bouleversée, enfant, de voir sa grand-mère souffrante toute recroquevillée dans l’agonie, et combien elle avait été soulagée de la retrouver bien droite et sereine dans son cercueil. Elle explique que le cœur de son métier, c’est de faire en sorte, pour la personne défunte et pour ses proches, de reconstituer un visage apaisé, qui raconte l’histoire d’une mort tranquille. Il y a une dimension théâtrale aussi, j’ai appris par exemple qu’on appelle le salon funéraire « l’amphithéâtre ». Et Gabriele utilise une marque de maquillage professionnelle dont on se sert beaucoup sur scène, « Make Up for ever »… ça ne s’invente pas !
Au début de Sortir au jour, vous confiez votre peur viscérale de la perte, avec laquelle vous aimeriez réussir à prendre de la distance. L’écriture de ce livre a‑t-elle été le bon remède ?
A.D. : Quand tu as sans cesse conscience de la mort comme quelque chose qui peut t’anéantir n’importe quand, tu es comme… figé dans ta tête. Ce livre m’a aidée à me remettre en mouvement. Quand j’écris sur un sujet, je me mets toujours en jeu et ça fait à chaque fois bouger quelque chose en moi. Et ensuite, le livre lui-même génère des rencontres qui elles aussi me font évoluer. Sans compter que chaque livre engendre le suivant…
Sortir au jour d'Amandine Dhée Edition La Contre Allée 128 pages 17 euros
- La femme brouillon. Amandine Dhée, Edition La Contre Allée[↩]