amandinedhee credits petra hilleke 2
Amandine Dhée © Petra Hilleke

Amandine Dhée : « On ne peut pas évo­quer la perte sans dire la puis­sance du lien »

Au fil de ses livres, Amandine Dhée aborde nos ques­tion­ne­ments les plus intimes, qui sont aus­si de grands sujets de socié­té. Après la mater­ni­té et la sexua­li­té, elle s’interroge cette fois sur la mort. Et par la grâce de son style si par­ti­cu­lier, son livre Sortir au jour devient un cha­leu­reux via­tique sur tout ce qui nous lie.

Au départ, il y a une ren­contre entre Amandine Dhée, venue dédi­ca­cer son pré­cé­dent livre en librai­rie, et Gabriele. Celle-​ci est tha­na­to­prac­trice et pour­tant solaire. « Pourtant », car comme nombre d’entre nous, l’autrice avoue qu’elle ima­gine celles et ceux qui pra­tiquent cette pro­fes­sion comme des per­sonnes « jau­nâtres et gri­son­nantes ». Gabriele est l’opposé de cela. Et comme Amandine Dhée est tour­men­tée par la perte, la mort, la dis­pa­ri­tion, elle est for­cé­ment intri­guée par le métier de Gabriele. 

Les échanges s’installent alors entre l’écrivaine et la tha­na­to­prac­trice. Le livre est tis­sé des réflexions de l’autrice, sou­ve­nirs, scé­nettes du quo­ti­dien cro­quées avec humour, et des témoi­gnages de Gabriele, racon­tant son expé­rience, ses rela­tions avec les familles endeuillées et avec les défunts, qu’elle traite avec une grande huma­ni­té. Causette a ren­con­tré Amandine Dhée dont l’objectif était d’écrire « un livre récon­for­tant sur la mort ». Objectif lar­ge­ment atteint.

Causette : Ce titre, Sortir au jour, est intri­gant. En fait, on peut l’interpréter de mul­tiples façons…
Amandine Dhée : En dis­cu­tant de son tra­vail avec Gabriele, nous avons évi­dem­ment évo­qué les rituels d’embaumement de l’Egypte ancienne. Ils reposent sur l’idée que le mort va quit­ter son enve­loppe ter­restre, tra­ver­ser le royaume des ténèbres, sor­tir au jour puis réin­té­grer son corps. Or, pour aider à la tra­ver­sée des ténèbres, qui est pleines d’embûches, on dépose dans le cer­cueil un guide. Et la tra­duc­tion lit­té­rale de son titre est « Guide pour sor­tir au jour ». J’ai été tou­chée par ce très beau titre qui contient cette dua­li­té mort et nuit/​vie et jour. Je savais que je ne pour­rais pas par­ler de deuil si je ne par­lais pas de vie, de lien. On ne peut pas évo­quer la perte sans dire la puis­sance du lien. Et puis j’essaie tou­jours de choi­sir des titres les plus ouverts pos­sibles pour lais­ser une liber­té d’interprétation.

« Sortir au jour », ça évoque aus­si l’idée de sor­tir de l’ombre, d’afficher clai­re­ment quelque chose…
A.D. : Oui, c’est aus­si « libé­rer la parole ». C’est mon tra­vail d’écrivaine, comme quand j’écris sur la mater­ni­té, la sexua­li­té … j’ai envie qu’on en dis­cute ! De la mort, qui est pour­tant omni­pré­sente, on parle peu. Récemment, une lec­trice m’a racon­té qu’elle avait per­du son père l’année pré­cé­dente et qu’elle n’arrivait plus à en par­ler, même à ses amis. Parce qu’en fait, à un moment, vous dépas­sez ce que les autres estiment être le bon dosage de cha­grin. Vous sen­tez alors qu’il ne faut plus l’évoquer.

Une des idées prin­ci­pales qui se dégagent du livre, c’est que la mort fait réap­pa­raitre ce qu’il y a de plus intense dans notre vie.
A.D. : J’évoque un peu ça dans La femme brouillon1, cette sen­sa­tion d’une brèche qui s’est ouverte au moment de la mater­ni­té. Non pas que j’ai envie de faire de la mater­ni­té l’expérience ultime, mais pour moi, ça s’est pas­sé à ce moment là, la décou­verte de ce lien puis­sant avec l’enfant, et du même coup la pos­si­bi­li­té que ce lien puisse m’échapper. L’envers pos­sible du miracle. Un déclic qui m’a fait sen­tir mon immense vul­né­ra­bi­li­té à cet endroit.

D’où cette idée d’écrire sur ce que vous redou­tez le plus, une sorte d’exorcisme ?
A.D. : C’est exac­te­ment ça, j’écris avec ce qui me fait peur. Il y a quelque chose d’un peu bra­vache : « Allez, vas‑y, affronte le démon ! ». J’avais déjà fait quelques textes sur le sujet, mais sans abou­tir. Sans la ren­contre de Gabriele je ne serai pas allée au bout. C’est comme si j’avais eu besoin de savoir que quelqu’un serait là, au bout du che­min, pour prendre soin de nous… je crois que c’est ça qui m’a auto­ri­sée à écrire.

Quelqu’un qui non seule­ment se pré­oc­cupe de l’apparence des défunt·es mais aus­si, écrivez-​vous, « pro­pose un récit » ?
A.D. : Gabriele m’a racon­té com­bien elle avait été bou­le­ver­sée, enfant, de voir sa grand-​mère souf­frante toute recro­que­villée dans l’agonie, et com­bien elle avait été sou­la­gée de la retrou­ver bien droite et sereine dans son cer­cueil. Elle explique que le cœur de son métier, c’est de faire en sorte, pour la per­sonne défunte et pour ses proches, de recons­ti­tuer un visage apai­sé, qui raconte l’histoire d’une mort tran­quille. Il y a une dimen­sion théâ­trale aus­si, j’ai appris par exemple qu’on appelle le salon funé­raire « l’amphithéâtre ». Et Gabriele uti­lise une marque de maquillage pro­fes­sion­nelle dont on se sert beau­coup sur scène, « Make Up for ever »… ça ne s’invente pas !

Au début de Sortir au jour, vous confiez votre peur vis­cé­rale de la perte, avec laquelle vous aime­riez réus­sir à prendre de la dis­tance. L’écriture de ce livre a‑t-​elle été le bon remède ?
A.D. : Quand tu as sans cesse conscience de la mort comme quelque chose qui peut t’anéantir n’importe quand, tu es comme… figé dans ta tête. Ce livre m’a aidée à me remettre en mou­ve­ment. Quand j’écris sur un sujet, je me mets tou­jours en jeu et ça fait à chaque fois bou­ger quelque chose en moi. Et ensuite, le livre lui-​même génère des ren­contres qui elles aus­si me font évo­luer. Sans comp­ter que chaque livre engendre le suivant…

Sortir au jour d'Amandine Dhée Edition La Contre Allée 128 pages 17 euros

  1. La femme brouillon. Amandine Dhée, Edition La Contre Allée[]
Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.