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Il y a 100 ans, elles inventent le Female Gaze et la flui­di­té de genre

Le musée du Luxembourg conti­nue de creu­ser le sillon de la redé­cou­verte des artistes femmes. Après l’éclairante expo Peintres 1780 – 1830, voi­ci Pionnières. Artistes dans le Paris des années folles. Œuvres à (re)découvrir, astu­cieuses mises en pers­pec­tives … un régal ! 

Cent ans avant qu’on le nomme, elles ont inven­té le « Female Gaze ». Ces créa­trices, regrou­pées dans la sti­mu­lante expo­si­tion Pionnières, artistes dans le Paris des années folles, nous pro­posent, c’est cer­tain, une vision spé­ci­fique du monde, des arts et de la créa­tion. N’ayons pas peur de le dire : ça saute aux yeux. Il se dégage de cette expo­si­tion – tableaux, pho­tos, sculp­tures et autres créations- par la grâce de ce regard réso­lu­ment fémi­nin, une éner­gie puis­sante et radieuse. Ici se répondent les tra­vaux et expé­ri­men­ta­tions de 45 artistes femmes, qui dans ces années 20 furent plus libres qu’il ne l’avait jamais été per­mis, de créer et de s’exprimer.

Valandon
Suzanne Valadon, Jeune femme aux bas blancs, 1924
Nancy, Musée des Beaux-​Arts
© musée des Beaux-​Arts, Nancy /​pho­to G. Mangin

Le Paris de l’époque est un phare de la moder­ni­té. Ça four­mille d’ateliers et de théâtres, de spec­tacles, de concerts, de bal­lets. On adore détes­ter la mode des gar­çonnes, les robes trop fluides de Gabriel Chanel, on siffle les mimo­drames où Colette joue presque nue avec sa com­pagne, la mar­quise de Belbeuf. Mais les salles sont pleines. Toutes ces acti­vi­tés four­nissent du tra­vail aux artistes femmes, beau­coup plus tour­nées vers la plu­ri­dis­ci­pli­na­ri­té que leurs confrères. Créations de décors ou de cos­tumes, de marion­nettes… les créa­trices sont pro­digues. Ainsi la peintre Sonia Delaunay ouvre sa propre bou­tique d’objets, de meubles et de vête­ments, comme le fera la sty­liste Sarah Lipska. D’autres fondent des écoles d’art, des gale­ries ou des mai­sons d’édition.

La gar­çonne, icône de la flui­di­té de genre

Ces foi­son­nantes acti­vi­tés se doublent d’une soif inex­tin­guible de liber­té. Celle d’être soi-​même, d’assumer son corps et sa sexua­li­té, quelle qu’elle soit. L’une des grandes figures de ces années, Tamara de Lempicka, illustre par­fai­te­ment cet élan. Téméraire et pro­vo­ca­trice, bisexuelle, la peintre reven­dique farou­che­ment ses aven­tures et choi­si ses amantes comme modèles. Ses tableaux, ardents et sen­suels, vibrent de désir féminin. 

Lempika
Tamara de Lempicka, Perspective ou Les Deux Amies, 1923
Suisse, Genève, Association des Amis du Petit Palais
©Tamara de Lempicka Estate, LLC /​Adagp, Paris,
2022 – pho­to Association des Amis du Petit Palais,
Genève /​Studio Monique Bernaz, Genève

Si à Berlin ou à Londres on met les homo­sexuels en pri­son, ça n’est pas le cas à Paris, tolé­rant –ça ne dure­ra pas- à cette époque. On voit ain­si, dans la capi­tale, se déve­lop­per ce qu’aujourd’hui on appel­le­rait la flui­di­té de genre. Nombre d’artistes aiment à brouiller les pistes quant à leur iden­ti­té sexuelle, reven­diquent de pou­voir pas­ser d’un genre à l’autre, pul­vé­risent les codes binaires. Les « gar­çonnes », les­biennes ou pas, enva­hissent les lieux publics et mon­dains. Cheveux courts, poi­trine plate, vête­ment d’hommes et cigares, elles se réap­pro­prient les signes osten­ta­toires de la masculinité. 

Cahun 1
Claude Cahun, Autoportrait, 1929
France, Nantes, musée d’Arts de Nantes
© Droits réser­vés /​pho­to RMN-​Grand Palais /​Gérard Blot

Plus sub­til et plus intime, les tra­vaux de la plas­ti­cienne et pho­to­graphe Claude Cahun mettent en scène des auto­por­traits pas­sant d’un genre à l’autre : « Neutre est le seul genre qui me convienne tou­jours » disait-​elle. Ou iel. Le couple Wegener va plus loin encore. Gerda, por­trai­tiste de talent, repré­sente sou­vent son mari Einar, vêtu en femme. Une iden­ti­té fémi­nine qu’il se découvre et finit par choi­sir défi­ni­ti­ve­ment, deve­nant en 1930, Lili Elbe, pre­mière femme trans­genre béné­fi­ciant d'une chi­rur­gie de réat­tri­bu­tion sexuelle.

Femmes robustes, corps puissants

Le corps des femmes a tou­jours été l’un des motifs pic­tu­raux les plus exploi­tés. Entre les deux guerres, les créa­trices ne manquent pas de le décli­ner, elles aus­si. Mais cette fois, il n’est plus un objet de domi­na­tion, subli­mé, sym­bo­li­sé, déco­ra­tif ou faire valoir. Les corps appa­raissent pour ce qu’ils sont, las ou élé­gants, mus­clés ou las­cifs, atti­rants, sai­sis dans des pos­tures modernes : des femmes au tra­vail, spor­tives, actives. Suzanne Valadon est emblé­ma­tique de ce regard inverse à celui du male gaze, pei­gnant avec cru­di­té des modèles puis­santes, aux traits mar­qués et aux chairs géné­reuses. « Ne m’amenez jamais pour peindre une femme qui cherche l’aimable ou le joli, je la déce­vrais tout de suite ». On était prévenu.

Lire aus­si l Artiste femmes : la fin du ghetto ?

On décou­vri­ra aus­si des pion­nières de la diver­si­té, venues de loin, Russie, Turquie, Chine, Brésil … des artistes qui, en plein empire colo­nial, luttent pour impo­ser d’autres images que celles, lisses et sté­réo­ty­pées, que l’occident impose. 

Indispensable, ins­pi­rante, cette expo­si­tion s’inscrit avec éclat dans ce mou­ve­ment réjouis­sant qui ramène les femmes dans la lumière. Restons‑y avec elles.

Pionnières. Artistes dans le Paris des années folles, Musée du Luxembourg, jusqu’au 10 juillet 2022

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