A Rocherfort, une plon­gée dans l’univers aqua­tique et oni­rique de l’artiste Elsa Guillaume

La Corderie Royale de Rochefort a offert une carte blanche à la plas­ti­cienne Elsa Guillaume pour inves­tir son espace d’exposition tem­po­raire. Seule recom­man­da­tion : une créa­tion enga­gée du côté de l’imaginaire, qui rende hom­mage au poten­tiel poé­tique de la mer. Elsa Guillaume rem­plit ces condi­tions haut la nageoire.

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Elsa Guillaume ©DR

Une petite déam­bu­la­tion abys­sale, ça vous dit ? C’est ce que pro­pose la plas­ti­cienne Elsa Guillaume au fil de son expo « Bathyskaphos ». Quatre salles d’expositions qui, entre décors, pro­jec­tions, céra­miques, sculp­tures et ins­tal­la­tions, nous plongent dans l’univers aqua­tique et oni­rique de l’artiste. Un tra­vail qui conjugue l’émerveillement et l’effroi, face aux dégra­da­tions que notre civi­li­sa­tion inflige à l’ensorcelant macro­cosme des abysses. Rencontre et cau­sette au fil de l’eau. 

Causette : Le titre de l’exposition « Bathyskaphos », est une invi­ta­tion au voyage sous-​marin ? 
Elsa Guillaume : En effet, les bathy­scaphes ce sont des engins d'exploration abys­sale. J’aime beau­coup le mot lui-​même, for­gé à par­tir du grec bathús « pro­fond », et ska­phê « barque ». Ce qui m’intéresse ce sont ces ten­ta­tives d’explorations, de toutes les époques. Même dans l’antiquité, on essayait de plon­ger loin en res­pi­rant à l’aide de ves­sies d’animales rem­plie d’air, puis est venue l’idée des cloches ren­ver­sée. Des trucs assez rock and roll qui démontrent la fas­ci­na­tion éter­nelle des humains pour les grands fonds. 

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© Tadzio

On est accueilli à l’entrée de l’expo par un sca­phandre gran­deur nature. On a presque envie de s’y glis­ser ! 
E.G.: En effet, il y a des gens qui essaient, c’est dan­ge­reux parce qu’il est en céra­mique ! Mais c’est bien une invi­ta­tion à le revê­tir … en ima­gi­na­tion. C’est une notion de bap­tême : une fois que tu as revê­tu ton sca­phandre, tu peux par­cou­rir les pièces sui­vantes, dédiées aux profondeurs. 

En conti­nuant la balade, on est plon­gé grâce à deux grands écrans qui se font face, dans un pay­sage sous-​marin très étrange. Il est réel ? 
E.G.: Oui, ce sont des images que j’ai tour­nées moi-​même en plon­gée dans des cénotes1, au Mexique. Des lieux magiques, des grottes où l’eau douce et l’eau salée se côtoient, dans les fais­ceaux lumi­neux du soleil, qui percent à cer­tains endroits. Des pay­sages de science-​fiction aux sols arides. Pour accen­tuer l’impression d’immersion j’ai deman­dé à la com­po­si­trice de musique élec­troa­cous­tique, Christine Groult, d’imaginer les sen­sa­tions intimes qu’on peut res­sen­tir dans ces pro­fon­deurs. Ça donne des perles de notes, des gré­sille­ments, des basses qui rodent et nous enve­loppent comme des courants. 

On tra­verse aus­si la cité des Nautiloïdes. Quinze sous-​marins ima­gi­naires, en verre, tous dif­fé­rents, que vous avez fabri­qués au CIAV, le grand centre ver­rier de Meisenthal, en Alsace, avec les Meilleurs Ouvriers de France en la matière. Toujours la fas­ci­na­tion des bathy­scaphes ? 
E.G.: Une de ces pièces, toute ronde, m’a été ins­pi­rée par le Bathysphère de Charles William Beebe et Otis Barton. Des types un peu fous , qui dans les années 30 sont des­cen­dus à presque 200 m, dans une grosse boule de métal de 8cm d’épaisseur, au bout d’un câble. J’aime beau­coup l’iconographie de ces inven­tions et je me suis aus­si ins­pi­rée des illus­tra­tions natu­ra­listes du XIXe siècle, au style rétro futu­riste. Entre science-​fiction et bande des­si­née. Cette même ins­pi­ra­tion qu’on retrouve un peu plus loin, dans la salle du « Refuge Nérétique », où on côtoie le mor­ceau d’un énorme sous-​marin qui semble sor­tir du mur. Et aus­si dans ces créa­tures ima­gi­naires que j’ai fabri­quées en céra­mique, les Hiéronimus. Des per­son­nages qui peuplent les grands fonds, mi- humains mi- pois­sons, qu’on croise aus­si dans l’expo. 

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© Tadzio

Vous ajou­tez par­fois à ces créa­tures quelque chose de ludique, de joyeux. Pourtant on sent que votre pro­pos n’est pas uni­que­ment de célé­brer cet uni­vers. 
E.G.: Toute une par­tie de mon tra­vail est un hom­mage aux abysses, ces ter­rains immenses et incon­nus, qui sont mal­heu­reu­se­ment en train d’être dézin­gués par les exploi­ta­tions pétro­lières et la sur­pêche. Pourtant, c’est peut-​être de là que sur­gi­ront les décou­vertes les plus impor­tantes des années à venir. Actuellement, des cher­cheurs tra­vaillent sur l’hypothèse que ces abysses, et par­ti­cu­liè­re­ment le milieu hydro­ther­mal [le jaillis­se­ment de sources chaudes dans les grands fonds NDLR] qui pour­rait être le ber­ceau de la vie sur terre, l’endroit où les pre­mières formes de vie seraient appa­rues et se seraient déve­lop­pées.
Mon tra­vail inclut aus­si une réflexion sur les ques­tions très concrètes de la mon­tée des eaux, liées au bou­le­ver­se­ment cli­ma­tique. Comment allons-​nous vivre sur, ou sous la mer ? Les pro­jets de Fabien Cousteau ou de Jacques Rougerie, qui ont ima­gi­né des cités ou des sta­tions sous marines, me font beau­coup réflé­chir. 
Par exemple, les limules m’ont ins­pi­rée, j’en ai sou­vent repro­duit en céra­mique. [On en trouve dans l’expo NDLR] Ces arthro­podes marins pré­his­to­riques sont fas­ci­nants, on dis­tingue sur leur cara­pace des traces qui font pen­ser à des yeux, ça res­semble à des masques, peut-​être les sca­phan­driers du futur ? Mais peut-​être aus­si que dans le futur, pour vivre sous l’eau, c’est nous qui déve­lop­pe­rons des exten­sions de bran­chies pour deve­nir des êtres aqua­tiques. Revenir à notre état pre­mier, en fait. 

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© Tadzio

Exposition Bathyskaphos à La Corderie Royale de Rochefort. Jusqu’au 31 décembre 2022.
Elsa guillaume pro­pose une deuxième expo­si­tion simul­ta­née, qui fait échos à celle-​ci, au Musée de la Marine de Rochefort « Collecter les ombres, mesu­rer l’écume ». 

  1. Un cénote est une grotte dont le toit s'est effon­dré et qui s'est rem­plie d'eau. Lorsque leur base est sous le niveau de la mer, de l'eau salée peut s'infiltrer et res­ter au fond (car plus lourde que l'eau douce). De tels phé­no­mènes se ren­contrent un peu par­tout dans le monde mais le terme cénote est limi­té au Mexique, où l’on trouve le plus pro­fond.[]
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