La Corderie Royale de Rochefort a offert une carte blanche à la plasticienne Elsa Guillaume pour investir son espace d’exposition temporaire. Seule recommandation : une création engagée du côté de l’imaginaire, qui rende hommage au potentiel poétique de la mer. Elsa Guillaume remplit ces conditions haut la nageoire.
![A Rocherfort, une plongée dans l’univers aquatique et onirique de l’artiste Elsa Guillaume 1 Capture d’écran 2022 03 16 à 10.36.38](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/04/Capture-d’écran-2022-03-16-à-10.36.38.jpg)
Une petite déambulation abyssale, ça vous dit ? C’est ce que propose la plasticienne Elsa Guillaume au fil de son expo « Bathyskaphos ». Quatre salles d’expositions qui, entre décors, projections, céramiques, sculptures et installations, nous plongent dans l’univers aquatique et onirique de l’artiste. Un travail qui conjugue l’émerveillement et l’effroi, face aux dégradations que notre civilisation inflige à l’ensorcelant macrocosme des abysses. Rencontre et causette au fil de l’eau.
Causette : Le titre de l’exposition « Bathyskaphos », est une invitation au voyage sous-marin ?
Elsa Guillaume : En effet, les bathyscaphes ce sont des engins d'exploration abyssale. J’aime beaucoup le mot lui-même, forgé à partir du grec bathús « profond », et skaphê « barque ». Ce qui m’intéresse ce sont ces tentatives d’explorations, de toutes les époques. Même dans l’antiquité, on essayait de plonger loin en respirant à l’aide de vessies d’animales remplie d’air, puis est venue l’idée des cloches renversée. Des trucs assez rock and roll qui démontrent la fascination éternelle des humains pour les grands fonds.
![A Rocherfort, une plongée dans l’univers aquatique et onirique de l’artiste Elsa Guillaume 2 Capture d’écran 2022 04 23 à 14.15.07](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/04/Capture-d’écran-2022-04-23-à-14.15.07.jpg)
On est accueilli à l’entrée de l’expo par un scaphandre grandeur nature. On a presque envie de s’y glisser !
E.G.: En effet, il y a des gens qui essaient, c’est dangereux parce qu’il est en céramique ! Mais c’est bien une invitation à le revêtir … en imagination. C’est une notion de baptême : une fois que tu as revêtu ton scaphandre, tu peux parcourir les pièces suivantes, dédiées aux profondeurs.
En continuant la balade, on est plongé grâce à deux grands écrans qui se font face, dans un paysage sous-marin très étrange. Il est réel ?
E.G.: Oui, ce sont des images que j’ai tournées moi-même en plongée dans des cénotes1, au Mexique. Des lieux magiques, des grottes où l’eau douce et l’eau salée se côtoient, dans les faisceaux lumineux du soleil, qui percent à certains endroits. Des paysages de science-fiction aux sols arides. Pour accentuer l’impression d’immersion j’ai demandé à la compositrice de musique électroacoustique, Christine Groult, d’imaginer les sensations intimes qu’on peut ressentir dans ces profondeurs. Ça donne des perles de notes, des grésillements, des basses qui rodent et nous enveloppent comme des courants.
On traverse aussi la cité des Nautiloïdes. Quinze sous-marins imaginaires, en verre, tous différents, que vous avez fabriqués au CIAV, le grand centre verrier de Meisenthal, en Alsace, avec les Meilleurs Ouvriers de France en la matière. Toujours la fascination des bathyscaphes ?
E.G.: Une de ces pièces, toute ronde, m’a été inspirée par le Bathysphère de Charles William Beebe et Otis Barton. Des types un peu fous , qui dans les années 30 sont descendus à presque 200 m, dans une grosse boule de métal de 8cm d’épaisseur, au bout d’un câble. J’aime beaucoup l’iconographie de ces inventions et je me suis aussi inspirée des illustrations naturalistes du XIXe siècle, au style rétro futuriste. Entre science-fiction et bande dessinée. Cette même inspiration qu’on retrouve un peu plus loin, dans la salle du « Refuge Nérétique », où on côtoie le morceau d’un énorme sous-marin qui semble sortir du mur. Et aussi dans ces créatures imaginaires que j’ai fabriquées en céramique, les Hiéronimus. Des personnages qui peuplent les grands fonds, mi- humains mi- poissons, qu’on croise aussi dans l’expo.
![A Rocherfort, une plongée dans l’univers aquatique et onirique de l’artiste Elsa Guillaume 3 Capture d’écran 2022 04 23 à 14.15.21](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/04/Capture-d’écran-2022-04-23-à-14.15.21.jpg)
Vous ajoutez parfois à ces créatures quelque chose de ludique, de joyeux. Pourtant on sent que votre propos n’est pas uniquement de célébrer cet univers.
E.G.: Toute une partie de mon travail est un hommage aux abysses, ces terrains immenses et inconnus, qui sont malheureusement en train d’être dézingués par les exploitations pétrolières et la surpêche. Pourtant, c’est peut-être de là que surgiront les découvertes les plus importantes des années à venir. Actuellement, des chercheurs travaillent sur l’hypothèse que ces abysses, et particulièrement le milieu hydrothermal [le jaillissement de sources chaudes dans les grands fonds NDLR] qui pourrait être le berceau de la vie sur terre, l’endroit où les premières formes de vie seraient apparues et se seraient développées.
Mon travail inclut aussi une réflexion sur les questions très concrètes de la montée des eaux, liées au bouleversement climatique. Comment allons-nous vivre sur, ou sous la mer ? Les projets de Fabien Cousteau ou de Jacques Rougerie, qui ont imaginé des cités ou des stations sous marines, me font beaucoup réfléchir.
Par exemple, les limules m’ont inspirée, j’en ai souvent reproduit en céramique. [On en trouve dans l’expo NDLR] Ces arthropodes marins préhistoriques sont fascinants, on distingue sur leur carapace des traces qui font penser à des yeux, ça ressemble à des masques, peut-être les scaphandriers du futur ? Mais peut-être aussi que dans le futur, pour vivre sous l’eau, c’est nous qui développerons des extensions de branchies pour devenir des êtres aquatiques. Revenir à notre état premier, en fait.
![A Rocherfort, une plongée dans l’univers aquatique et onirique de l’artiste Elsa Guillaume 4 Capture d’écran 2022 04 23 à 14.15.42](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/04/Capture-d’écran-2022-04-23-à-14.15.42-1024x446.jpg)
Exposition Bathyskaphos à La Corderie Royale de Rochefort. Jusqu’au 31 décembre 2022.
Elsa guillaume propose une deuxième exposition simultanée, qui fait échos à celle-ci, au Musée de la Marine de Rochefort « Collecter les ombres, mesurer l’écume ».
- Un cénote est une grotte dont le toit s'est effondré et qui s'est remplie d'eau. Lorsque leur base est sous le niveau de la mer, de l'eau salée peut s'infiltrer et rester au fond (car plus lourde que l'eau douce). De tels phénomènes se rencontrent un peu partout dans le monde mais le terme cénote est limité au Mexique, où l’on trouve le plus profond.[↩]