amantine lucile aurore dupin 1804 – 1876 aka by her pseudonym george sand. french novelist and memoirist
George Sand par Nadar, en 1864

George Sand : la roman­cière appe­lée par la forêt

En parallèle de sa vie de romancière, George Sand a lutté contre
les industriels du bois pour protéger la forêt de Fontainebleau, aux côtés
de Victor Hugo et de peintres impressionnistes. On le sait peu, mais c’est
à elle que l’on doit l’une des premières tribunes écologistes en France.

On la connaît comme l’un des grands noms de la littérature. Une figure féministe, qui imposa sa « séparation de corps » – le divorce était interdit – en 1836, portait des pantalons lorsque c’était encore prohibé aux femmes et n’avait pas attendu Tinder pour vivre ses amours librement, histoires féminines comprises. On connaît moins George Sand comme une activiste préécologiste. En 1872, elle signe pourtant l’une des premières tribunes d’appel à la protection de la nature de l’histoire française, pour sauver la forêt de Fontainebleau d’un projet de « rénovation » pensé pour les industriels du bois…

" Encore un été comme celui de 1870 en France, et il faudra voir si l'équilibre peut se rétablir entre les exigences de la consommation et les forces productives du sol. "

Un siècle et demi plus tard, c’est en flânant dans la boutique du château de Fontainebleau, après une visite dominicale, que ­l’essayiste Patrick Scheyder fait cette « incroyable découverte ». Impressions et souvenirs, l’un des derniers ouvrages de George Sand (1873), est en vitrine. En feuilletant le bouquin, il tombe sur le chapitre « La forêt de Fontainebleau ». Un cri politique. « Gardons nos forêts, respectons nos grands arbres » et « protestons » pour protéger la terre « dévastée et mutilée » par l’activité industrielle, s’exclame l’écrivaine. Le terme « écologie » n’existe que depuis six ans. Celui de « révolution industrielle » n’est pas encore connu du grand public. George Sand, elle, écrit : « Encore un été comme celui de 1870 en France, et il faudra voir si l’équilibre peut se rétablir entre les exigences de la consommation et les forces productives du sol. »

Convergence des arts

Patrick Scheyder décide de faire de ce fait méconnu l’un des chapitres de son prochain essai, Pour une pensée écologique positive 1. Tout commence, apprend-il au fil de ses recherches, par un groupe de peintres impressionnistes. Dans les années 1820, ils s’inspirent de Barbizon, un village situé à 58 kilomètres au sud de Paris, à la lisière de la forêt de Fontainebleau, et s’y installent peu à peu. Comme nombre de bois à l’époque, le site porte les plaies des guerres successives et « part en lambeaux », décrit Patrick Scheyder. Là-bas, les grands arbres « grandissent, pourrissent » dans un grand « désordre apparent ». Un parfait spot pour peintres en quête de paysages ­inspirants, dont le public parisien raffole.

George Sand ne les connaît pas encore. Mais elle aussi vénère la forêt de Fontainebleau. Martine Reid, professeure de littérature à l’université Lille-III, a rédigé plusieurs ouvrages sur sa vie. Elle retrace : « Elle y a emmené Alfred de Musset lorsqu’ils étaient amants, entre 1833 et 1835. » De futurs amoureux auront la même chance. Elle fera aussi de Fontainebleau le décor de La Filleule (1853). Dans la forêt, peut-être retrouve-t-elle l’air sauvage qui manque « à sa vie parisienne, en plein développement industriel » et lui rappelle son Berry originel.

La jungle feuillue qu’est Fontainebleau ne plaît en revanche pas du tout aux ingénieurs des Eaux et forêts. Pour eux, « la forêt était mal entretenue et les vieux chênes ne rapportaient rien, explique Patrick Scheyder. Ils voulaient les abattre et planter des pins maritimes qui poussent plus vite pour faire du profit ». À partir de 1830, sous couvert de « progrès » et de « rénovation », on rase, on replante, on trace 100 kilomètres de route en plein bois, on « assainit » les marais… 

Aux yeux des peintres de Barbizon, et notamment de Théodore Rousseau, on défigure la forêt. Alors, en 1839, il lance une campagne de protestation. George Sand se rapproche du groupe de résistance. L’État recule un peu. En 1853, 624 hectares de forêt sont classés hors exploitation. En 1861, on institue des zones « à destination artistique » que les industriels ont interdiction de toucher. Sauf que, poursuit Patrick Scheyder, « d’autres destructions sont annoncées et font réagir George Sand en 1872 ». Un comité de protection de la forêt de Fontainebleau est créé. Victor Hugo en fait partie. C’est là que George Sand rédige son chapitre sur Fontainebleau.

Arguments scientifiques

Son texte apporte une innovation majeure au mouvement : des arguments scientifiques, juridiques et même éducatifs. Jusqu’ici, les artistes engagés pour Fontainebleau ne parlaient que d’esthétique. Il s’agissait de beauté, de préserver les « monuments » de la nature, écrivait Victor Hugo. George Sand avance, quant à elle : « Supprimez les arbres qui, par leur ombre, rendent au sol la fraîcheur bue par leurs racines, vous détruisez une harmonie nécessaire. » Elle invoque aussi « le droit de propriété intellectuelle » qui veut que « tout le monde [ait] droit à la beauté et à la poésie de nos forêts » et la nécessité « d’[ouvrir] l’espace à la pensée de l’enfant » grâce à la nature. Des théories que l’on connaît aujourd’hui comme celle des biens communs ou de l’école en plein air… Le journal Le Temps se saisit du texte pour le publier en tribune.

" Supprimez les arbres qui, par leur ombre, rendent au sol la fraîcheur bue par leurs racines, vous détruisez une harmonie nécessaire "

En réalité, « toute l’œuvre de George Sand reflète des considérations préécologistes, analyse Martine Reid. Elle a imaginé qu’un industriel détournait une rivière dans Le Péché de Monsieur Antoine (1845) et, dans ce que l’on appelle ses “romans champêtres”, elle a développé un imaginaire de la forêt très riche, pour souligner la nécessité de la protéger. Elle mettait en scène les conditions de vie de paysans berrichons ou d’ouvriers du bois dans l’idée d’inciter la société à instaurer un rapport plus juste à la campagne ». Un engagement lié à ses idéaux socialistes, mais surtout « à sa vie de gestionnaire agricole, rappelle Martine Reid, à la tête de l’une des plus grandes propriétés du Berry, 200 hectares… Comme l’a montré Michelle Perrot 2, ça lui a donné une excellente connaissance du monde rural et une sensibilité à la nature ». Prend alors tout son sens l’une des manières que George Sand avait de présenter son travail : « Mes romans, écrivait-elle, sont des pages d’herbier. »

  1. Pour une pensée écologique positive, de Patrick Scheyder. Éd. Belin, en librairie le 14 octobre.[]
  2. George Sand à Nohant, de Michelle Perrot. Éd. du Seuil, 2018.[]
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