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(©Manuel Braun pour Causette)

Marion Séclin, Cyber Sister

Révélée par le site d’infotainment Madmoizelle et désor­mais figure du pay­sage média­tique fran­çais, la comé­dienne dis­tille avec péda­go­gie et humour un fémi­nisme grand public et libé­ra­teur sur YouTube. Quitte à s’en prendre plein la gueule.

La voix est posée et le ton assu­ré modu­lé pour la rigueur du moment. « Quarante mille com­men­taires d’insultes et de menaces », expose-​t-​elle à une séna­trice Les Républicains qui n’en croit pas ses oreilles. Ce 13 juin, sous les ors de la République, dans la vaste salle du Sénat où sont reçues les per­sonnes audi­tion­nées dans le cadre du pro­jet de loi ren­for­çant la lutte contre les vio­lences sexuelles et sexistes, la comé­dienne Marion Séclin doit témoi­gner du mas­sif har­cè­le­ment en ligne qu’elle a subi après avoir pos­té une vidéo sur le har­cè­le­ment de rue sur YouTube en mai 2016. « C’est pos­sible, ça ? Ce n’est pas modé­ré ? » s’enquiert Marie Mercier. Marion Séclin, 28 ans, tente de faire com­prendre à la femme poli­tique que, aux yeux des per­sonnes œuvrant chez YouTube, ces saillies hai­neuses relèvent de la liber­té d’expression. Et que ce har­cè­le­ment vir­tuel a débor­dé dans la vraie vie, la vie en dur. C’est dans la rue ou dans sa boîte aux lettres que la comé­dienne a conti­nué à rece­voir les uppercuts.

Désorientée, Marie Mercier cherche de l’aide dans les yeux de ses deux atta­chées par­le­men­taires. « Je ne com­prends pas bien qui est à la base de tout ça… » « Le sys­tème, répond Marion, approu­vée par un léger sou­rire des jeunes femmes. Au-​delà de mon cas par­ti­cu­lier, on peut dire que les you­tu­beuses sont constam­ment scru­tées en ligne. L’intérêt pour le conte­nu de leurs vidéos est noyé par celui qu’on porte à leur appa­rence. » « Et c’est tout le monde, qui har­cèle en ligne ? Les gar­çons des beaux quar­tiers aus­si ? » inter­roge la séna­trice. « Au début, j’ai cru que les har­ce­leurs étaient des frus­trés pour qui la vie n’a pas été facile, observe Marion. Mais, c’est faux, cela touche toutes les classes sociales. Tout dépend de l’éducation que les gar­çons ont reçue. » La séna­trice s’exfiltre au bout d’une demi-​heure d’entretien en lâchant : « Je suis frap­pée de stu­peur. C’est conster­nant pour les com­bats qui ont été menés par nos mères. »

Cette ren­contre entre une Marion Séclin bar­dée de tatouages et la par­le­men­taire BCBG, en forme de choc des cultures, est signe d’une recon­nais­sance ins­ti­tu­tion­nelle du com­bat contre le cybe­rhar­cè­le­ment mené par la jeune femme, comme l’a été sa confé­rence TEDx Women sur le même sujet, don­née en novembre. Elle qui confie pour­tant « avoir tout sauf l’envie d’être Marion-​la-​meuf-​qui-​a-​été-​harcelée » déroge à son man­tra pour la bonne cause, parce qu’elle sait que sa noto­rié­té fait que sa voix porte plus fort que les mil­liers d’anonymes à qui cela pour­rait arri­ver demain. Un peu plus de 100000 fans sur Facebook, 231 000 abonné·es sur Instagram, et déjà 212000 pour une chaîne YouTube ouverte en jan­vier : voi­là ce que « pèse » Marion, une de ces artistes pro­téi­formes de la géné­ra­tion dite de « sla­sheurs ». Comédienne, auteure, réa­li­sa­trice, humo­riste, man­ne­quin, chro­ni­queuse, puis pré­sen­ta­trice d’émission à la télé­vi­sion. 

S’accepter

Les jeunes filles connec­tées l’adorent pour des vidéos telles que Mon corps, ce héros, aux plus de 300000 vues, dans laquelle elle raconte avec luci­di­té com­ment elle s’est fait vio­lence pour apprendre la ten­dresse vis-​à-​vis de son enve­loppe char­nelle. Car dans notre socié­té de l’image, l’acceptation de soi est un che­min, quand bien même vous êtes dotée d’yeux de chat vert d’eau, de char­mantes taches de rous­seur et d’une sil­houette fine et élan­cée. Les géné­ra­tions pré­cé­dentes la connaissent peut-​être pour ses chro­niques axées sur les réseaux sociaux dans l’émission Actuality, dif­fu­sée sur France 2 en 2016, ou encore pour son émis­sion heb­do­ma­daire Cette semaine, madame, actuel­le­ment dif­fu­sée sur Canal +. Tout porte à croire que Vincent Bolloré, pro­prié­taire de Canal et prompt à la cen­sure mor­ti­fère de la chaîne, n’a rien contre l’ironie fémi­niste de sa pré­sen­ta­trice, qui y com­mente l’actualité de la condi­tion des femmes : Marion Séclin espère bien que Cette semaine, madame sera repro­gram­mée à la ren­trée, car la télé lui offre « une liber­té folle ».

Drôle de choix que celui de s’être fait une place dans un média du XXe siècle quand on est née en 1990 et qu’on s’est fait un nom grâce à Internet. Pour Marion Séclin, tout com­mence en 2012, lorsqu’elle entre en contact avec Jérôme Niel, qui offi­cie sur la chaîne YouTube La Ferme Jérôme. Il cherche une comé­dienne pour lui don­ner la réplique dans ses sketches, et elle vient d’être diplô­mée de l’école d’acteurs et d’actrices pari­sienne Claude-​Mathieu. « Cette école, je me l’étais payée en mul­ti­pliant les petits bou­lots, se sou­vient Marion. J’ai été suc­ces­si­ve­ment ser­veuse, man­ne­quin, ven­deuse de fringues, hôtesse de boîtes de nuit où j’accueillais des types qui débour­saient la moi­tié de mon salaire en bou­teilles de champagne. »

L’acte fon­da­teur de sa vie d’adulte, c’est de se prendre, à 18 ans, son propre appar­te­ment à Paris afin de se sous­traire à la dépen­dance fami­liale et de pou­voir voguer avec sa propre bous­sole. Aujourd’hui encore, Marion Séclin est per­sua­dée que ses parents ne voyaient pas d’un bon œil ce choix d’études et l’exprime avec une pointe d’amertume. Les parents se sont ren­con­trés dans une école de théâtre et n’ont pas par­ti­cu­liè­re­ment per­cé dans ce milieu si vache. Avaient-​ils eu peur que leur enfant se pipe l’avenir à lan­cer les mêmes dés de la for­tune ? « Moi, j’ai pour­tant eu l’impression de la sou­te­nir », dit Axelle, la mère, aujourd’hui si fière de sa fille. On soup­çonne chez cette Marion ado­les­cente le besoin incom­men­su­rable d’être appuyée à 200 % dans ses choix ou, à défaut, d’utiliser la contra­rié­té comme un moteur pour décu­pler sa volon­té face à l’adversité. Sur Internet, elle raconte com­ment elle a été « bolos­sée » au col­lège, mais affirme à Causette qu’il s’agit là d’un euphé­misme pour « har­ce­lée ». Déjà… « Comme je l’ai éle­vée à aimer les autres et à être sen­sible, elle a dû mani­fes­ter une fra­gi­li­té dont les autres se sont empa­rés, notam­ment au col­lège, ana­lyse sa mère. Enfant, elle était d’une grande matu­ri­té. L’intelligence, ça fra­gi­lise. » Introduite dans la com­mu­nau­té bal­bu­tiante des you­tu­beurs humo­ristes fran­çais en 2012, elle se débat pour faire son trou au sein du col­lec­tif Studio Bagel, qui offre des vidéos à la pro­duc­tion léchée et très sui­vies par les inter­nautes. « Mais je me suis ren­du compte que peu d’entre eux me pre­naient au sérieux, dit-​elle en sou­pi­rant. Ils ne me lais­saient que des rôles de potiche et refu­saient de jouer dans les sketches que j’écrivais. » Il aura fal­lu que Marion croise la route de Fabrice Florent, fon­da­teur du média en ligne fémi­niste Madmoizelle des­ti­né aux pos­ta­do­les­centes, pour qu’elle trouve l’endroit où déployer son talent.

Souvent en culotte

C’est la série de vidéos Mad Gyver qui la fait connaître. Elle y campe un per­son­nage qui, comme elle, se pas­sionne pour le DIY (Do it your­self) et autres bidouilles pratico-​créatives du type « se faire un ban­deau pour les che­veux avec une che­mise de son ex afin de se remettre d’une rup­ture ». « C’était le pre­mier pro­jet vidéo un peu ambi­tieux de Madmoizelle en termes de réa­li­sa­tion et de mon­tage, explique Fabrice Florent. Et il a mar­ché parce que, ce qu’il faut dire, c’est que Marion est une per­sonne très drôle. »

Une prise de risque pour cette nana en lutte avec son image dans le miroir et qui arbore avec fier­té l’inscription « instable » tatouée sur son coup de pied droit, comme pour mieux assu­mer ses fêlures. Nature et sou­vent en culotte, elle est cette girl next door qu’on a envie d’avoir pour copine. Une amie qui donne des conseils très feel good/​confiance en soi et par­sème, à des degrés divers, toutes ses créa­tions vidéo de fémi­nisme. « Le mot, je me le suis appro­prié chez Madmoizelle, parce que je me suis ren­du compte qu’il cor­res­pon­dait en tout point à l’éducation que j’ai reçue », dit-​elle en sou­riant. Elle n’a pas lu les grandes théo­ri­ciennes du fémi­nisme (mais elle vient de se mettre à King Kong Théorie !), parce qu’elle pré­fère être dans l’instant pré­sent et sans doute, parce que comme beau­coup de gens de sa géné­ra­tion, elle se fait voler son temps par son smart­phone, qu’elle uti­lise pour envoyer des tex­tos de manière décom­plexée tout en menant l’entretien. Pas plus de com­plexes sur ses lacunes lit­té­raires : ce qu’elle pro­pose à pen­ser dans ses vidéos, ce sont des réflexions de bon sens tirées de sa situa­tion empirique. 

Dans T’es fémi­niste mais… Tu suces ?, Marion dégomme les idées reçues sur ces mili­tantes qui détes­te­raient les hommes et ne s’épileraient pas ; dans La Taille : mes­sage d’utilité publique, elle se moque de ces mecs qui envoient com­pul­si­ve­ment des pho­tos de leur pénis à des femmes qui n’ont rien deman­dé. Un fémi­nisme géné­ra­tion­nel et acces­sible, auquel s’additionne une bonne dose de cou­rage pour mettre son dou­lou­reux vécu au ser­vice de la cause. Comme dans cette inter­view don­née au média vidéo Brut, début juin, dans laquelle elle raconte qu’à 16 ans elle a été vio­lée par son petit ami de l’époque et par des amis à lui. « Ça a été la plus longue recons­truc­tion que j’aie eu à faire sur mon inti­mi­té […] Mais je ne connais pas une femme qui n’ait pas une his­toire comme ça. » Elle n’a pas por­té plainte et ne sait pas ce que sont deve­nus ces hommes. Marion Séclin est un cas exem­plaire de rési­lience. Malgré les trau­ma­tismes, sa meilleure amie, Sonia, lui trouve une qua­li­té « hyper rare : elle donne très rapi­de­ment sa confiance, pro­fes­sion­nelle ou ami­cale. Elle est d’une géné­ro­si­té et d’une loyau­té folles ». Le mau­vais côté, bien sûr, c’est qu’elle tombe « sur des gens qui en pro­fitent ». Ou qui se détournent d’elle au pre­mier coup dur, notam­ment quand elle subis­sait le har­cè­le­ment de ces mil­liers d’anonymes et qui s’est éter­ni­sé pen­dant un an et demi. « Elle a pas­sé beau­coup de temps chez moi, à Toulouse, dit Sonia. J’ai com­pris l’entière vio­lence de ce qu’elle vivait quand, un jour, nous mar­chions dans la rue et que des mecs se sont mis à la mon­trer du doigt et à se moquer d’elle. Elle s’est rap­pro­chée de moi comme pour se pro­té­ger, et je me sou­vien­drai tou­jours de la rai­deur de son corps aux aguets. »

Lorsqu’elle ouvre, en jan­vier, sa chaîne YouTube – « après tout le monde », s’amuse- t‑elle –, elle choi­sit de confier à Benjamin, un ami you­tu­beur, l’entière modé­ra­tion des com­men­taires. Une manière, là encore, de trou­ver refuge auprès des siens. « C’était très com­pli­qué au début, parce que Marion était atten­due au tour­nant par des gens prêts à lui sau­ter à nou­veau à la gorge, explique Benjamin. Mais, ce qui est inté­res­sant, c’est que les repen­tis se sont mul­ti­pliés et com­mentent aujourd’hui sa chaîne en disant : “Je suis déso­lé, j’ai été stu­pide.” Cette repen­tance s’inscrit dans un contexte post-​Weinstein. Tous les you­tu­beurs s’exposent lorsqu’ils prennent l’initiative de défri­cher les pre­miers une thé­ma­tique. Et c’est ce qu’avait fait Marion avec le har­cè­le­ment de rue. »

Mais Marion Séclin n’a jamais pen­sé arrê­ter et conti­nue, en tant que réa­li­sa­trice par exemple, en adap­tant la BD La Soutenable Légèreté de l’être, d’Éléonore Costes. Ou avec ce pro­jet plus inti­miste, Sister Sister, qui donne à voir la soro­ri­té telle qu’elle la conçoit. Face à la camé­ra, Marion et une amie d’enfance, Lou, y échangent autour de l’amour, de la sexua­li­té ou du sens de l’existence. L’intérêt de Sister Sister, c’est la trans­mis­sion entre les géné­ra­tions qu’elle pro­pose : Lou n’a que 21 ans. « Nos parents se connaissent depuis que nous sommes enfants, explique l’étudiante en ciné­ma et comé­dienne elle aus­si. Ce qu’elle m’apporte, c’est un retour d’expérience, du type “marche pas là, j’ai essayé, ça fait mal”. Si tout le monde pou­vait avoir une réfé­rente qui donne d’aussi bons conseils qu’elle, ce serait super. »

Tous ses amis admirent Marion pour sa grande déter­mi­na­tion. Plus tard, dans peu de temps, en fait, ils la voient s’épanouir au ciné­ma. Elle-​même s’est fixé l’objectif de faire un film « avant ses 30 ans ». Derrière et devant la camé­ra, de pré­fé­rence. Les grandes lignes ? Interroger le sen­ti­ment de jalou­sie, un truc qui tra­vaille beau­coup cette grande amou­reuse. Un autre objec­tif ? « Arriver à m’aimer autant que je le conseille aux autres dans mes vidéos. »

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