Une histoire d’amour et de désir raconte comme jamais l’éveil sensuel d’un garçon issu d’un quartier populaire. Une merveille d’intelligence, qui pulvérise bien des codes, en salles ce 1er septembre. Rencontre avec Leyla Bouzid, sa fougueuse réalisatrice franco-tunisienne…
Causette : Votre premier film, A peine j’ouvre les yeux, dressait le portrait d’une jeune fille rock and roll et engagée. Le deuxième, lui, se concentre sur un jeune homme réservé, fragile, épris de littérature…
Leyla Bouzid : Oui, c’est vrai. D’ailleurs, Ahmed a besoin de temps pour prendre en charge son désir et son sentiment amoureux pour Farah. Mais c’est cela, justement, que je voulais raconter : un jeune homme de culture arabe – parce que c’est la culture que je connais le mieux –, qui doute, qui a des fragilités, qui n’assume pas ses élans de vie. On a toutes croisé des hommes timides, mes copines et moi ! Sauf que cette timidité est très peu représentée au cinéma. Surtout dans les pays du Sud. Donc, voilà, à travers le parcours de ce jeune Français d’origine algérienne, j’avais envie de filmer quelque chose qui existe, mais qu’on ne voit jamais… Au fond, je voulais redonner une vraie place à la fragilité masculine. Ma façon à moi de redonner une part de mystère au masculin ! Et puis, bon, ce n’est pas parce que je suis une femme que je dois être affectée aux sujets féminins [rires] !
Une histoire d’amour et de désir raconte une rencontre particulière : celle d’un jeune Français banlieusard qui, à la faveur d’un cours de poésie à la fac, flashe sur une jeune Tunisienne plus bourgeoise. Pourquoi ce télescopage ?
L. B. : Parce que je voulais remettre de la diversité dans la diversité ! Je suis née et j’ai grandi en Tunisie, je suis venue en France pour mes études, j’y suis restée, puis j’ai acquis la double nationalité en 2016 : je peux vous assurer que les Maghrébins de France sont multiples, mais aussi qu’ils forment plusieurs sociétés qui ne se rencontrent jamais. C’est une question complexe, tissée d’a priori socioculturels et de rejets réciproques. Raison pour laquelle j’ai voulu que mon film privilégie la nuance. Mais j’irai plus loin encore : à travers la rencontre d’Ahmed et de Farah, Une histoire d’amour et de désir raconte, au fond, la rencontre entre un garçon et lui-même. C’est donc bel et bien un film sur l’identité…
Vous donnez à voir la première expérience sexuelle d’un garçon, et c’est très rare au cinéma. Comment l’expliquez-vous ?
L. B. : Alors, ça ! C’est sidérant que ce soit si peu traité, comme s’il n’y avait pas de sujet ! Surtout quand on songe à la quantité de films qui abordent la virginité féminine, toujours avec les mêmes paramètres, le sang, la douleur, l’hymen… Pourtant, que l’on soit fille ou garçon, cette première fois, ça n’est pas rien. Pour Ahmed, cet événement est d’autant plus important qu’il ressent à la fois de l’amour et du désir pour Farah. Il est submergé. Il lui aurait été sans doute plus facile de l’aimer platoniquement, ou de coucher avec elle juste pour coucher, sans sentiments ! Reste qu’il y a encore autre chose derrière cette séquence. Des garçons vierges de 22 ans qui n’avaient aucun livre ou film pour les accompagner, j’en ai connu ! C’est aussi à eux que j’ai pensé en proposant ce moment cinématographique…
Une histoire d’amour et de désir, de Leyla Bouzid. Sortie le 1er septembre.