Pendant un an, Marie Perennès et Simon Depardon ont suivi une cinquantaine de « colleuses », ces jeunes femmes qui dénoncent les violences sexistes sur les murs des villes, avec des slogans puissants en lettres noires sur papier blanc. Riposte féministe, leur film, ressemble à ses héroïnes : collectif, engagé, lumineux. Entretien à deux voix…
Causette : Comment le désir de filmer ces jeunes colleuses et militantes féministes est-il né ?
Simon Depardon : On rentrait chez nous, un soir à Paris, quand on a vu ce slogan collé sur un mur : « Femmes violées, battues, vous n’êtes pas seules, on vous croit. » Il était tout frais. On a compris qu’on avait raté les colleuses à une minute près ! Et ça nous a frustrés. Immédiatement, on a eu envie de les connaître, de voir leurs visages, d’assister à leurs préparatifs…
Marie Perennès : Oui, tout est parti de ce slogan, de sa force. Et tout est allé assez vite ensuite. Notre première prise de contact s’est faite sur les réseaux sociaux. J’ai envoyé un post, le comité des colleuses de Paris m’a répondu, on les a rencontrées. Vous savez, on a 31 ans Simon et moi. D’une certaine façon, on fait le pont entre les deux générations de féministes, celles des années 1970–1980 et celles d’aujourd’hui… En les rencontrant, on s’est rendu compte que leur engagement n’était pas celui d’une élite, comme cela peut parfois être dit, à tort. Ces colleuses pourraient être n’importe qui : une nièce, une cousine. C’est vrai qu’elles sont jeunes, 18–25 ans en moyenne, mais c’est parce que la jeunesse permet de s’engager, tout simplement. C’est un âge où l’on est dans le bouillonnement, et où l’on a plus de temps !
Comment le lien de confiance avec elles s’est-il instauré ? Avez-vous rencontré des difficultés pour les filmer ?
M.P.: D’emblée, on a compris qu’on avait une responsabilité énorme vis-à-vis d’elles. Il y a donc eu un gros travail en amont d’écoute et de mise en confiance. Je pense à une séquence tournée à Brest, où une parole traumatique a émergé, tout à coup, pour la première fois, tandis que l’on filmait le témoignage d’une jeune femme qui était plutôt en retrait jusqu’alors. Typiquement, sa parole n’a pu se libérer que parce qu’il y a eu ce travail en amont, mais aussi pendant et après le tournage. De fait, on a vraiment construit le film avec nos « protagonistes », comme on aime les appeler ! On leur disait sans cesse, par exemple, qu’elles pouvaient nous demander d’arrêter à tout moment. Pour nous, c’était politiquement important de les impliquer. Cela étant, il convient de préciser que, dès le départ, on savait que notre film serait un documentaire pour le cinéma, donc qu’on aurait le temps – plus d’un an –, pour tourner. Ça aide !
« La parole est au cœur de notre film, qu’elle soit intime ou politique »
Marie Perennès
Vous choisissez de filmer plusieurs groupes, et plusieurs lieux d’action à travers la France, plutôt que de suivre une militante précise. Un choix du collectif qui rend votre film fougueux, vibrant, lumineux…
S. D. : Déjà, la première chose que l’on s’est dite, c’est qu’on voulait filmer ailleurs qu’à Paris. Il y a quand même près de 200 collectifs de colleuses en France, c’était bien de montrer cette diversité. Par ailleurs, une cinquantaine de militantes passent dans le film et une vingtaine prennent la parole au total. Disons que l’on a choisi des protagonistes politisées, ayant une vision de la société acérée. Et toutes nous ont bluffés ! Quatorze d’entre elles sont venues avec nous au Festival de Cannes lorsque Riposte féministe a été présenté en séance spéciale…
M.P.: Oui, enfin parfois, leur parole peut être balbutiante. Et pour cause : elle est en construction ! D’ailleurs, dès le début du film, on est dans le débat, et c’est important. Pour nous, c’est une façon de signifier que la parole est au cœur de notre film, qu’elle soit intime ou politique. Mais aussi de montrer que le féminisme est en mouvement. En fait, à travers nos colleuses, on souhaitait dresser le portrait de jeunes femmes militantes et attachantes, qui racontent la jeunesse d’aujourd’hui. De fait, elles sont toutes lumineuses, hyper ouvertes et bienveillantes les unes envers les autres. C’est ça qui est formidable dans cette génération !
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Le fait que Riposte féministe soit réalisé conjointement par un homme et une femme relève-t-il du hasard ou d’un choix politique ?
S. D. : Marie et moi, on est en couple dans la vie, toutes nos interlocutrices le savaient, on ne s’en est jamais caché. Je pense que s’il y a de l’amour qui transpire dans ce film, cela vient aussi de là ! En fait, on n’aurait jamais pu le faire l’un sans l’autre. Parce que ces violences nous concernent tous et parce qu’elles sont insupportables.
M. P. : On était convaincus qu’il fallait qu’on soit là tous les deux. Je suis une femme, ces violences sexistes, j’ai eu l’occasion de les vivre. Il y avait donc le risque que je sois peut-être trop militante dans ma façon d’aborder le sujet. Avec Simon, un équilibre a été créé, cela dans une optique plus grand public. Il représente l’altérité, mais une altérité alliée.
Riposte féministe, de Marie Perennès et Simon Depardon. En salles.