Zappée par l’Histoire, la cofondatrice d’Emmaüs a vécu quarante ans avec l’abbé Pierre et est mise à l’honneur dans le film L’Abbé Pierre, une vie de combats, sorti mercredi.
C’est la découverte du nouveau biopic consacré à l’abbé Pierre : celui-ci avait un binôme (trop) méconnu, Lucie Coutaz. Cofondatrice du mouvement Emmaüs, elle a été sa secrétaire, mais surtout sa meilleure amie et sa colocataire pendant quarante ans. “Son âme sœur”, selon le réalisateur du film, Frédéric Tellier, qui résume : “Sans Lucie Coutaz, il n’y a pas d’abbé Pierre.”
Le cinéaste se souvient de la préparation du film et de la découverte de cette femme oubliée : “J’ai découvert avec beaucoup d’émotion l’existence de cette femme. Tous deux sont enterrés côte à côte en Normandie [à Esteville, ndlr]. Cela m’a bouleversé.” Il ajoute : “Je pensais faire un film sur l’abbé Pierre et j’ai fait un film sur un couple.” De son côté, la comédienne Emmanuelle Bercot, qui incarne Lucie à l’écran, dit avoir accepté le rôle pour “remettre Lucie Coutaz dans la lumière”.
"Lulu la terreur"
Savoyarde née au tournant du siècle dernier, Lucie Coutaz est longtemps handicapée : la légende dit qu’elle guérit de sa paralysie des vertèbres à Lourdes. Sténographe chez Lustucru et engagée dans un syndicat chrétien de la région lyonnaise, elle rencontre l’abbé Pierre, qui s’appelle encore Henri Grouès, pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce dernier s’est engagé dans la Résistance dans le Vercors, où émerge un mouvement très actif d’aide aux jeunes fuyant le STO. Débordé, il cherche de l’aide : on lui recommande les services de Lucie Coutaz, de treize ans son aînée. “Ils vont être d’accord sur pas mal de choses et une grande complicité se noue entre eux,” détaille Frédéric Tellier. Ils ne se quitteront plus et lorsque l’abbé Pierre, au sortir de la guerre, imagine les prémices d’un mouvement de lutte contre la pauvreté, logiquement, il demande à Lucie Coutaz d’en être. Elle devient son assistante parlementaire lorsqu’il est élu député de Meurthe-et-Moselle. Puis celle-ci cofonde avec lui Emmaüs en 1949 et devient sa secrétaire particulière : elle gère les dons et les centres d’hébergement, assure des conférences… Un poste qui explique en partie l’oubli dans lequel a été reléguée. “Lui était très médiatique et elle avait pour fonction d’organiser. C’était une grande résistante qui avait l’art du camouflage, de la discrétion et qui ne voulait pas s’exposer, avance le cinéaste. Évidemment, il y avait un conditionnement sociologique des femmes à l’époque, qui devaient forcément être dans l’ombre.”
Lucie Coutaz et l’abbé Pierre emménagent ensemble dans un appartement à Charenton-le-Pont (Val-de-Marne) où ils vivront ensemble durant quarante ans et jusqu’à sa mort, en 1982. Ils forment des années durant un duo inséparable : “Ils étaient complémentaires. Lui était bordélique, elle était méthodique. Il l’appelait “La tour de contrôle” et “Lulu la terreur”. Elle était d’une rigueur et d’un sérieux à toute épreuve.” Et si la question amoureuse taraude encore aujourd’hui les expert·es, Frédéric Tellier est formel : leur amour était purement platonique. “Elle était très pratiquante, je pense qu’il n’y a pas eu d’histoire d’amour dans sa vie.” A part celui-ci, peut-être ?