En salles ce mercredi 19 avril : Dirty, Difficult, Dangerous, de Wissam Charaf, Blue Jean, de Georgia Oakley, Sur L’Adamant, de Nicolas Philibert et La Dernière Reine, d’Adila Bendimerad et Damien Ounouri.
« Dirty, Difficult, Dangerous », de Wissam Charaf
Une touche de fantastique ne fait jamais de mal, surtout quand elle s’immisce dans une réalité difficile, voire brutale. Wissam Charaf l’a bien compris et parie sur l’absurde – et même une certaine légèreté ! – pour narrer une histoire d’amour impossible sur fond de xénophobie et d’exil. On le suit d’autant plus volontiers qu’il nous entraîne aux côtés de personnages peu représentés au cinéma, qu’il traite avec grande dignité, quelles que soient les situations, les épreuves, les décisions…
Dirty, Difficult, Dangerous, son deuxième long-métrage après le plaisant Tombé du ciel, articule en effet son intrigue autour de Mehdia, une employée de maison éthiopienne, et d’Ahmed, un réfugié syrien ferrailleur de son état, qui s’aiment d’amour tendre à Beyrouth. Pas forcément la ville la plus stable ni la plus hospitalière au monde ! De fait, à travers ce jeune (et très beau) couple ballotté par la guerre, l’isolement et les discriminations, le réalisateur franco-libanais questionne bien évidemment son pays, bouleversé depuis des décennies par une litanie de crises politiques et économiques.
La métaphore est donc souvent de mise le long de son récit minimaliste, apparemment réaliste, quoique teinté de fantaisie (dans le sillon du cinéaste palestinien Elia Suleiman) et surtout d’étrangeté. La touche fantastique du film se dévoile ainsi à travers la peau d’Ahmed, rongée par un mystérieux pourrissement qui transforme peu à peu son corps en métal… Une façon décalée, intrigante, assez juste au fond, de refléter le malaise, sinon la dureté, d’une société libanaise aussi froide que déshumanisée.
Dirty, Difficult, Dangerous, de Wissam Charaf. En salles.
« Blue Jean », de Georgia Oakley
Tout est fort dans ce premier film. Son propos, qui raconte comment Jean, professeure respectée d’EPS dans l’Angleterre homophobe de Margaret Thatcher, est obligée de cacher son homosexualité, jusqu’au jour où Loïs, l’une de ses élèves, menace de révéler son secret. Son esthétique, qui aspire immédiatement le regard avec son grain épais et ses couleurs froides. Et, enfin, la tension qui anime son personnage principal, puisque la jeune enseignante aux aguets n’hésite pas à faire exclure Loïs pour se protéger. Une décision d’autant plus violente que son rôle est d’éduquer et guider les adolescentes fragiles dont elle a la charge… Tout est fort parce que tout est justement complexe dans ce récit emmené par Kerrie Hayes, actrice troublante dans le rôle troublé de Jean.
Blue Jean, de Georgia Oakley.
« Sur L’Adamant », de Nicolas Philibert
N’hésitez pas à monter à bord du nouveau film de Nicolas Philibert ! Dûment récompensé par l’Ours d’or à la Berlinale, le festival de Berlin, ce documentaire chaleureux vous propose un voyage captivant… sur L’Adamant, du nom de ce centre psychiatrique de jour édifié sur la Seine, en plein cœur de Paris. Ce bâtiment flottant, qui aide ses patient·es à renouer avec le monde, est unique en son genre. Une sorte de péniche/radeau, à la fois ouverte et protectrice, que le réalisateur d’Être et avoir est allé filmer sept mois durant, histoire d’interroger la frontière (poreuse) entre normalité et folie…
Pour ce faire, il a privilégié la rencontre et l’écoute, sans jugement, sans voix off, comme à son habitude. Nous voici plongé·es là dans un concert de rock ou un atelier de dessin, ici dans une réunion entre médecins, encadrant·es et patient·es, avant que s’affine ce portrait de groupe et qu’émerge une poignée de personnes, de visages et surtout de paroles. Car, ce qui frappe dans ce dispositif somme toute classique, c’est la place accordée à la parole. Centrale, formidablement libre, elle donne à voir et à entendre une variété saisissante, inattendue, de profils… et ça n’est pas la moindre de ses qualités !
Sans doute le récit peut-il sembler un peu décousu, puisque l’on passe d’un·e patient·e à un·e autre sans lien réel. Mais il émerge de leurs mots et maux mêlés une telle sincérité, une telle poésie, un tel humour aussi que toutes nos digues mentales finissent par céder. Par-delà leurs différences, par-delà leurs angoisses vertigineuses, les « marins perdus » de L’Adamant (et du capitaine Philibert) sont renversants d’humanité.
Sur L’Adamant, de Nicolas Philibert.
« La Dernière Reine », d’Adila Bendimerad et Damien Ounouri
L’époque et le cadre suscitent d’emblée la curiosité. Le point de vue exclusivement féminin aussi. La Dernière Reine, premier long-métrage de l’actrice algérienne Adila Bendimerad, devant et derrière la caméra, et du réalisateur franco-algérien Damien Ounouri, nous plonge dans l’Algérie du XVIe siècle, au moment où la reine Zaphira s’oppose, seule contre tous, au féroce pirate Barberousse qui vient de prendre le pouvoir sur le royaume. Entre histoire et légende, ce drame historique à petit budget (mais nanti d’excellents comédiens) raconte donc les luttes, les alliances et les trahisons, du point de vue d’une femme et d’une mère qui ose renverser les codes et s’opposer au destin écrit pour elle par les hommes (de sa famille, notamment). Un récit ambitieux, coloré, vibrant… et totalement inédit.
La Dernière Reine, d’Adila Bendimerad et Damien Ounouri.