Autrice et critique de cinéma, Iris Brey est spécialiste des représentations de genre et des sexualités à l’écran. Pour Causette, elle revient sur la récente sortie de Muriel Robin, qui a dénoncé haut et fort, sur le plateau de Quelle Époque, l'homophobie qu'elle a subi durant sa carrière.
Causette : Quelle a été votre réaction face à la prise de parole de Muriel Robin sur le plateau de Quelle Époque ?
Iris Brey : J’ai été très émue. Je dois dire que j’ai même pleuré en l’entendant. Il est très rare d’entendre ce genre de vérité. J’ai trouvé Muriel Robin très courageuse, parce qu’elle a porté un message qui convoquait son intimité et sa vie personnelle et, à la fois, elle l’a placé dans un système patriarcal qu’elle dénonce. C’est un moment médiatique important, qui est rare et qui raconte tout un système qui continue de broyer les femmes. Et j’ai été tout autant émue par son discours que surprise de la réaction de Léa Salamé qui a l’air de découvrir la réalité de l’homophobie en France.
Lorsque Muriel Robin affirme qu’il n’y a pas de comédien·ne ouvertement homosexuel·le qui ait fait de grande carrière au cinéma, en France comme à l’étranger, est-elle dans le vrai ?
I. B. : Oui. Il existe évidemment des comédiennes lesbiennes. Mais des comédiennes lesbiennes qui soient bankable ou connues du grand public, ça n’existe pas.
Dans cette séquence, on voit, vous l’avez dit, Léa Salamé tomber des nues face au discours de Muriel Robin. On voit également Pierre Arditi qui semble un peu exaspéré, il souffle, puis rebondit ensuite en mettant cette invisibilité lesbienne sur le compte du « manque d’imagination du cinéma français ». Selon vous, qu’est-ce que ces réactions nous racontent ?
I. B. : Elles racontent que la norme n’est jamais interrogée ! On n’interroge pas le fait que la majorité des images qui nous entourent sont incarnées par des actrices ou des acteurs prétendument hétérosexuels, dans des récits hétéronormés. La réaction de Léa Salamé montre une prise de conscience, mais c’est un peu étonnant de la part d’une personne qui anime la matinale [de France Inter, ndlr] depuis plusieurs années, qui reçoit régulièrement des femmes et qui est au courant des violences qu’elles peuvent vivre. Et je pense que l’attitude de Pierre Arditi traduit aussi une certaine exaspération des hommes qui en ont marre qu’on dise que nous vivons dans un système patriarcal.
Selon vous, les comédien·nes homosexuel·les qui sont en position de pouvoir ou qui ont une assise solide dans l’industrie du cinéma doivent-ils prendre le risque de s’outer pour faire évoluer les choses ? Est-ce aussi de leur responsabilité ?
I. B. : C’est une question extrêmement compliquée, car chacun fait ce qu’il peut. Tous nos récits ne sont pas les mêmes. Et on ne sait pas ce qu’il se passe dans leur intimité ni ce que révéler leur homosexualité pourrait avoir comme conséquences. Donc c’est très compliqué de dire aux gens ce qu’il faut faire. Après, évidemment, certains sont tellement adorés des Français, ils n’ont aucun problème à jouer dans des gros films ou à avoir des contrats avec des marques de luxe, et on peut penser que, s’ils parlaient de leur homosexualité, ça pourrait provoquer un changement sociétal. Mais c’est compliqué de parler de responsabilité. Même si oui, il y a une poignée d’acteurs qui pourrait sans doute faire bouger les choses.
Justement, la prise de parole de Muriel Robin peut-elle faire bouger les choses ? Et si oui, comment ?
I. B. : Elle fait déjà changer les choses, car elle incarne à quel point ce système est dévastateur et peut briser les gens. D’ailleurs, je trouve intéressant qu’au même moment, il y ait aussi ce documentaire d’Emmanuelle Béart qui sorte sur l’inceste. Il se trouve que ce sont les deux sujets sur lesquels je travaille. Alors on ne peut évidemment pas les comparer, mais je trouve significatif qu’Emmanuel Béart, qui a 60 ans, et Muriel Robin, 68 ans, en arrivent aujourd’hui à parler de leurs histoires. C’est extrêmement courageux de leur part. Et leurs prises de position pourront peut-être ouvrir la voie à d’autres.
Le fait qu’Emmanuelle Béart dit qu’elle est une personne incestée, ça a un impact très fort dans les imaginaires. Ça montre qu’on peut être une grande comédienne, avoir incarné tous types de femmes et, en même temps, avoir une histoire personnelle chargée. Pareil pour Muriel Robin : même si on est connue, qu’on remplit des Zénith, on ne va pas avoir accès au cinéma parce qu’on est lesbienne. C’est intéressant de ce que ça révèle d’une société patriarcale. Quand Muriel Robin parle de « pénétration », elle parle du régime sexuel qui nous entoure, où on apprend à désirer par la domination. La façon dont elle le dit peut paraître brutale, mais c’est la réalité. On pourrait maintenant espérer que le cinéma fasse de la place à d’autres récits.