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“Le Théorème de Marguerite” : récit d’une éman­ci­pa­tion par les mathématiques

Raconter l’histoire d’une jeune et brillante mathé­ma­ti­cienne est rare au ciné­ma. La his­ser vers un récit d’émancipation achar­né et poé­tique l’est plus encore. Le résul­tat est là : Le Théorème de Marguerite est un film cap­ti­vant. Explications avec Anna Novion, sa réa­li­sa­trice, qui, telle son héroïne, n’a eu de cesse de trou­ver la bonne formule…

Causette : Le ciné­ma met rare­ment en avant des per­son­nages fémi­nins évo­luant dans le domaine des sciences. Pourquoi avoir choi­si de construire votre nou­veau film autour d’une cher­cheuse en mathé­ma­tiques ?
Anna Novion : En fait, les maths sont arri­vées par hasard. Je suis par­tie d’une expé­rience per­son­nelle, au départ, qui n’avait rien à voir. Lorsque j’avais une ving­taine d’années, j’ai été très malade et j’ai dû res­ter iso­lée pen­dant six mois. Quand j’ai pu enfin sor­tir, je me suis sen­tie en total déca­lage avec les gens de mon âge. C’était cela que je vou­lais racon­ter, mais com­ment ? Je sou­hai­tais sor­tir de mon his­toire, mais je ne savais pas trop com­ment m’y prendre… Jusqu’à ce que je m’intéresse aux élèves des grandes écoles, notam­ment ceux de Normale Sup, qui eux aus­si sont par­fois en dehors du monde et vivent une forme d’isolement pour pré­pa­rer leurs concours et pour­suivre leurs recherches, après. J’en ai ren­con­tré plu­sieurs et bien que je ne com­prenne rien aux maths, leur uni­vers m’a beau­coup intéressée !

Causette : Vous êtes-​vous ins­pi­rée d’une mathé­ma­ti­cienne en par­ti­cu­lier pour nour­rir le pro­fil de Marguerite, votre héroïne ?
A. N. : Ma ren­contre avec Ariane Mézard, grande mathé­ma­ti­cienne, l’une des rares de sa géné­ra­tion, a été déter­mi­nante ! Il y a eu un coup de cœur ami­cal entre nous, une recon­nais­sance. Elle est d’ailleurs deve­nue conseillère sur le film. Lorsque nous avons com­men­cé à échan­ger, les mots qu’elle convo­quait pour me par­ler des mathé­ma­tiques – pas­sion, néces­si­té, risque, foi, beau­té – m’ont per­mis de créer un paral­lèle avec mon acti­vi­té de cinéaste. J’aurais pu uti­li­ser les mêmes mots qu’elle ! J’ai com­pris alors que nos métiers étaient, l’un comme l’autre, du côté de la créa­tion et de la recherche. J’ai aus­si com­pris qu’en racon­tant l’histoire de Marguerite, ses hauts, ses bas, son achar­ne­ment, j’allais pou­voir racon­ter, d’une autre façon, mon rap­port obses­sion­nel à mon métier… et à mon film ! Bref, je pou­vais en faire quelque chose d’hyper intime.

Causette : Le Théorème de Marguerite raconte un par­cours d’émancipation très ori­gi­nal. Pourtant, Marguerite incarne tous les cli­chés de la fille “polar” au départ : bûcheuse, dia­phane, mal fago­tée et aso­ciale. Pourquoi ?
A. N. : Déjà parce que pour racon­ter un tra­jet dra­ma­tur­gique, il faut une vraie évo­lu­tion [sou­rire] ! D’ailleurs, à la fin, elle est à l’opposé de ce qu’on a vu au départ, et c’est ça qui nous touche : la voir gran­dir… Puis, il faut tou­jours avoir en tête que Marguerite est la seule fille de sa pro­mo. Donc, elle porte le fait d’être dif­fé­rente, je veux dire par là que cette dif­fé­rence lui pèse. Raison pour laquelle elle essaie de la mas­quer le plus pos­sible, avec ses épaules voû­tées, ses vête­ments hyper neutres. Comme si sa fémi­ni­té était une entrave. D’une manière géné­rale, quand on est la seule fille quelque part, on s’impose sou­vent des tas de choses pour ne pas se faire remar­quer. Par exemple, répri­mer ses émo­tions, taire sa vul­né­ra­bi­li­té, puisque c’est ce que l’on exige des hommes. Ou être la meilleure, his­toire de se sen­tir légi­time, d’avoir le sen­ti­ment d’être à sa place. Précisément, trou­ver sa place, c’est ce dont le film parle tout le temps. Et du fameux syn­drome de l’imposteur, que beau­coup de femmes connaissent…

Causette : On voit bien la dif­fé­rence avec le per­son­nage de Lucas, un étu­diant aus­si doué qu’elle, qui est d’abord son rival, avant de deve­nir son allié puis son amou­reux. Reste que si votre film emprunte, un peu, au registre de la comé­die roman­tique, il en inverse sub­ti­le­ment les codes…
A. N. : Oui, c’est vrai, on s’est amu­sé à inver­ser les codes avec Mathieu Robin, mon cos­cé­na­riste ! Pour une fois, dans cette his­toire, c’est le gar­çon qui a le rôle secon­daire et qui sert de révé­la­teur. Car, contrai­re­ment à Marguerite, Lucas sait conju­guer les mathé­ma­tiques et la vie. Sans doute aus­si parce que c’est un homme : il se sent légi­time, il trouve donc sa place de manière plus simple. Pour ce per­son­nage, inter­pré­té par Julien Frison, je me suis ins­pi­rée d’un mathé­ma­ti­cien ita­lien, Alesso Figalli, dont m’avait par­lé Cédric Villani. Un beau gar­çon, qui a reçu la médaille Fields, suprême récom­pense en mathé­ma­tiques, et qui explique qu’il aime bien boire des bières en fin de jour­née avec des amis. Un être sociable, comme Lucas, et c’est pour ça qu’il agace Marguerite au début, parce qu’il appuie là où ça fait mal…

Causette : En par­lant d’interprète, Ella Rumpf, décou­verte en 2016 dans Grave, de Julia Ducournau, est remar­quable dans le rôle de Marguerite. Pourquoi avez-​vous pen­sé à elle ?
A. N.
 : J’ai mis quatre ans à écrire ce film. J’ai croi­sé énor­mé­ment de comé­diennes en cours de route, toutes excel­lentes, mais je n’ai pas aimé ce côté ren­contres à la chaîne. Surtout que le scé­na­rio n’était pas abou­ti. Ella est arri­vée au moment où on en avait écrit la ver­sion finale. Cela a été immé­diat avec elle, comme si tout conver­geait. D’emblée, je l’ai trou­vée magné­tique ! Pourtant, elle était loin de Marguerite a prio­ri, car très belle, très inté­grée. Mais je sen­tais en elle un enga­ge­ment très fort. Comme mon per­son­nage, elle est tra­vailleuse et se fout du regard que l’on porte sur elle : j’ai sen­ti qu’elle allait le subli­mer. Après, ça a été un vrai chal­lenge pour elle. Déjà, parce qu’elle n’avait jamais fait de maths ! Or je lui ai deman­dé qu’elle apprenne par cœur les équa­tions mathé­ma­tiques que Marguerite trace sur ses murs et ses tableaux. Elle a donc beau­coup bûché en amont avec Ariane Mézard…

Causette : Justement, ultime per­for­mance de votre film, vous arri­vez à rendre ces équa­tions très ciné­ma­to­gra­phiques ! Comment avez-​vous pro­cé­dé ?
A. N. : J’ai vrai­ment cher­ché à fil­mer de la beau­té, parce que, comme je vous le disais au début, Ariane Mézard m’avait par­lé de beau­té en évo­quant sa rela­tion aux mathé­ma­tiques. Je vou­lais en mon­trer la poé­sie, la dimen­sion créa­tive et artis­tique. J’ai donc essayé de fil­mer les tableaux d’équations et de for­mules de Marguerite comme si je regar­dais un tableau de Jackson Pollock, de Hans Hartung ou même de Miro. Des peintres abs­traits que je connais bien, car j’ai une maman qui a tra­vaillé comme res­tau­ra­trice à Beaubourg. Mais peut-​être aus­si que cela m’a aidée de ne rien com­prendre aux maths, fina­le­ment ! 

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Le Théorème de la mar­gue­rite, d’Anna Novion. Sortie le 1er novembre.

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