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Perdrix, d'Erwan Leduc. © Shellac

La sélec­tion de juillet-​août 2019

Perdrix, d'Erwan Leduc

Rien de plus exci­tant que de décou­vrir un pre­mier film bar­ré, lumi­neux, « mélan­co­mique » et joli­ment maî­tri­sé. Surtout quand il est por­té par un tan­dem savou­reux, à nul autre pareil (Swann Arlaud et Maud Wyler). Bien sûr, on pour­ra tou­jours rap­pro­cher l’univers sin­gu­lier d’Erwan Leduc de celui de Quentin Dupieux (pour l’humour absurde) ou de Wes Anderson (pour la pré­ci­sion gra­phique des images et du cadre). Tant mieux ! Et si l’heureux réa­li­sa­teur de Perdrix sla­lome avec autant d’aisance entre ces aimables réfé­rences, c’est qu’il est lui-​même, à sa façon, un cham­pion du hors-​piste. 
Jugez plu­tôt : cet ancien jour­na­liste spor­tif entre­prend tout sim­ple­ment, ici, de revi­si­ter la comé­die roman­tique. Genre on ne peut plus popu­laire, donc casse-​gueule a prio­ri. Sauf que cet auteur délié pos­sède deux atouts dans sa musette. D’une part, il injecte à son récit mil­li­mé­tré une bonne dose de fan­tai­sie poético-​burlesque. Jamais conve­nue. Et, d’autre part, il a la bonne idée de s’appuyer sur des per­son­nages extrê­me­ment bien des­si­nés. Façon BD. Et ça marche ! La ren­contre – évi­dem­ment impro­bable – entre son gen­darme vos­gien neu­ras­thé­nique et sa rousse héroïne incon­trô­lable intrigue, amuse, remue. De bout en bout. D’autant que les deux tour­te­reaux sont accom­pa­gnés d’une pléiade de comédien·nes jubi­la­toires (Fanny Ardant et Nicolas Maury, en tête). Bref, on fonce tout schuss avec eux ! 

Perdrix, d’Erwan Leduc. Sortie le 14 août

Rêves de jeu­nesse, d'Alain Raoust

Salomé vient de quit­ter sa coloc étu­diante, en ville, pour tra­vailler dans la déchet­te­rie du vil­lage de son enfance, dans les Alpes. C’est l’été. Sec. Brûlant. L’occasion pour la jeune femme flot­tante, un brin per­due dans ce cadre inso­lite, de faire de drôles de ren­contres. Et, peut-​être, d’entamer une nou­velle vie, à la fois mar­gi­nale et col­lec­tive. Oscillant entre wes­tern et uto­pie, le troi­sième long métrage d’Alain Raoust a bien du charme en dépit de quelques lour­deurs (le per­son­nage de Jess, trop cari­ca­tu­ral). Un souffle doux le tra­verse, exha­lé en grande par­tie par Salomé Richard, une jeune actrice belge repé­rée dans Baden Baden, en 2016, et qui confirme ici toute sa finesse. À part. 

Rêves de jeu­nesse, d’Alain Raoust. Sortie le 31 juillet.

So Long, My Son, de Wang Xiaoshuai

Bicycle et d’Une famille chi­noise, s’apparente à une grande fresque roma­nesque. Tissant son récit sur plu­sieurs décen­nies, des années 1980 à aujourd’hui, il met en scène l’histoire de deux couples amis dont la vie va être bou­le­ver­sée à jamais lorsque le fils d’un des deux meurt de façon pré­ma­tu­rée. Culpabilité, men­songe, éloi­gne­ment, retrou­vailles, par­don : So Long, My Son est un vrai beau mélo, qui abat ses cartes dou­ce­ment. Subtilement. Servi par des acteurs for­mi­dables de jus­tesse. Mais, c’est aus­si, mine de rien, un film enga­gé. Évoquant les traces que la poli­tique chi­noise de l’enfant unique a lais­sées sur ses habi­tants, il dresse un por­trait doux-​amer de ce pays mutant. En clair, il frise le chef‑d’œuvre…

So Long, My Son, de Wang Xiaoshuai. En salles.

Joel, une enfance en Patagonie, de Carlos Sorin

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Joel Noguera dans le rôle de Joel, un enfant adop­té. © Paname Distribution

Le ciné­ma de Carlos Sorin, vété­ran du 7e art argen­tin, ne res­semble à aucun autre. Subtil, déli­cat, dis­cret, il niche ses récits appa­rem­ment tout simples dans la splen­deur iso­lée de la Patagonie. Un lieu presque abs­trait, aus­si âpre qu’infini. Ici, l’ampleur des pay­sages vous aspire, tout autant que la force des sen­ti­ments qui s’y jouent. Pourtant, l’élégant Sorin se méfie des grands des­tins : voi­là plus de trente ans qu’il s’attache à fil­mer le « presque rien » et « les gens de peu ». 
Joel, une enfance en Patagonie, son dixième long-​métrage, n’échappe pas à cet élan. Cette chro­nique appa­rem­ment « clas­sique » relate l’adoption, en Terre de Feu, d’un enfant de 9 ans par un couple de gen­tils qua­dras (elle, pro­fes­seure de pia­no, lui, bûche­ron). Mais aus­si la dif­fi­cile inté­gra­tion de ce gar­çon (au pas­sé cha­hu­té) au sein de leur petite com­mu­nau­té (pas­sa­ble­ment conser­va­trice).
Ce qui est beau dans ce film modeste, c’est le regard de Sorin, une fois encore. Ce mélange si per­son­nel d’acuité et d’empathie. Il sait cap­ter sur le visage de ses acteurs (pro­fes­sion­nels ou pas) des expres­sions qui ne s’inventent pas. Un sen­ti­ment de véri­té affleure en per­ma­nence. Pas de grande révé­la­tion, non. Juste un ciné­ma géné­reux et solide, à hau­teur d’homme, de femme et d’enfant. 

Joel, une enfance en Patagonie, de Carlos Sorin. Sortie le 10 juillet.

Je pro­mets d'être sage, de Ronan Le Page

L’argument de départ est digne des meilleures comé­dies de l’âge d’or d’Hollywood : après des années de galère dans le théâtre, Franck, tren­te­naire un brin exces­sif, accepte un poste de gar­dien de musée au calme, loin de Paris. En route pour une nou­velle vie ? C’était comp­ter sans Sybille, agente carac­té­rielle, légè­re­ment escroc, par ailleurs… Si le pre­mier film de Ronan Le Page n’a pas tou­jours le brio ni la vitesse idéale pour riva­li­ser avec ses modèles amé­ri­cains, il n’en reste pas moins appré­ciable. Grâce à la fan­tai­sie de ses acteurs et actrices (des pre­miers aux seconds rôles), qui lui insufflent une belle dyna­mique mal­gré tout. Pio Marmaï et Léa Drucker, épa­tants de finesse, ravivent même l’éclat du res­sort (pour­tant très usé) de la « paire anta­go­niste ». En bref, une petite comé­die par­faite pour l’été ! 

Je pro­mets d’être sage, de Ronan Le Page. Sortie le 14 août. 

The Operative, de Yuval Adler

Le talent d’un film d’espionnage ne se mesure pas (seule­ment) à l’aune de son cas­ting. Même s’il s’avère convain­cant. De fait, Diane Kruger (en ex-​agente du Mossad infil­trée à Téhéran) et Martin Freeman (dans le rôle de son réfé­rent de mis­sion) sont irré­pro­chables. Reste que The Operative s’impose aus­si pour deux autres rai­sons. D’abord, son héros est une héroïne (brillante, poly­glotte, tra­quée), pas si cou­rant dans un genre d’ordinaire très tes­to­sté­ro­né. Au ciné­ma, en tout cas. Ensuite, le film de Yuval Adler s’attache à don­ner une vision quo­ti­dienne de la vie fina­le­ment très soli­taire des espions et des espionnes. Certes, son récit s’inscrit dans la veine « clas­sique » des romans de John Le Carré sans en atteindre sa redou­table com­plexi­té. Mais en opé­rant ces deux pas de côté, il sur­prend. Et nous embarque, durablement. 

The Operative, de Yuval Adler. Sortie le 24 juillet.

L'Intouchable (Harvey Weinstein), d'Ursula Macfarlane

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Harvey Weinstein. © Le Pacte

Bien sûr, on aurait aimé un film moins for­ma­té. L’Intouchable com­bine pas mal de tics du docu­men­taire télé­vi­suel amé­ri­cain (musique dra­ma­tique, scènes gênantes de recons­ti­tu­tion). Pour autant, le long-​métrage qu’Ursula Macfarlane consacre à Harvey Weinstein, l’ex-magnat d’Hollywood accu­sé de mul­tiples agres­sions sexuelles, est à décou­vrir. Urgemment (son pro­cès est pré­vu le 9 sep­tembre). 
Il nous per­met, en effet, d’entendre la parole de ses vic­times pré­su­mées. Huit d’entre elles ont accep­té d’y par­ti­ci­per. Pas for­cé­ment très connues, à part Rosanna Arquette et Paz de la Huerta, elles livrent toutes des témoi­gnages puis­sants. Directs. Dignes. La réa­li­sa­trice a par ailleurs retrou­vé l’une des pre­mières proies de l’ex-producteur vedette des stu­dios Miramax : sa col­la­bo­ra­trice à l’époque où il était pro­mo­teur de concerts, à la fin des années 1970. Avec ce témoi­gnage, l’un des plus émou­vants, se met en place l’idée d’un com­por­te­ment ancien, donc sys­té­ma­tique, chez Weinstein. Une thèse inté­res­sante. 
Bref, ce docu­men­taire est riche. Déjà parce qu’il aligne une tren­taine de sources (dont des jour­na­listes du New York Times et Ronan Farrow, qui ont lan­cé l’« affaire »). Et, enfin, parce qu’il fait figure de pion­nier. On espère que, après lui, d’autres films per­met­tront à la honte de chan­ger de camp. Et pas seule­ment dans l’univers impi­toyable du ciné­ma américain. 

L’Intouchable (Harvey Weinstein), d’Ursula Macfarlane. Sortie le 14 août. 

Her Smell, d'Alex Ross

Un conseil : accrochez-​vous ! Une bonne par­tie du film d’Alex Ross Perry, chou­chou du ciné indé amé­ri­cain, est satu­rée de cris, de frasques, d’injures et de mou­ve­ments de camé­ra aléa­toires (quelque peu super­fé­ta­toires). Le tout dans des espaces essen­tiel­le­ment clos. Her Smell raconte les dérives et les délires d’une star du rock des années 1990 en fin de par­cours (on pense à Courtney Love…). Un brin érein­tant tout ça. Sauf que la per­for­mance d’Elisabeth Moss (La Servante écar­late) est hal­lu­ci­nante. Sauf qu’il se dit des choses inté­res­santes sur le rap­port (com­plexe) à la mater­ni­té. Sauf que la der­nière par­tie, apai­sée, rend enfin atta­chante cette femme si peu sym­pa­thique. Disons que cet acte ultime se mérite ! 

Her Smell, d’Alex Ross Perry. Sortie le 17 juillet.

Une grande fille, de Kantemir Balagov

Après l’incandescent Tesnota, le Russe Kantemir Balagov choi­sit de s’intéresser une fois encore aux femmes (mal­me­nées) de son pays. Une grande fille est ain­si por­té par deux héroïnes sidé­rantes : Lya (la grande bringue du titre, infir­mière en proie à d’étranges crises épi­lep­tiques) et Masha (une aide-​soignante trou­blée). Deux femmes sou­dées par un pacte tra­gique. Deux corps sub­ver­sifs – l’un hors norme, l’autre sté­rile – qui nous entraînent dans une his­toire elle-​même jalon­née de trans­gres­sions (avor­te­ment, amours bisexuelles…). Rien de léger, mais on le devine d’emblée puisque celle-​ci se déroule en 1945 dans les ruines exsangues de Leningrad. Esthétisant et lan­ci­nant, ce faux film de guerre (elle reste hors champ, tels une menace ou un cau­che­mar) dérange autant qu’il hypnotise. 

Une grande fille, de Kantemir Balagov. Sortie le 7 août. 

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