Perdrix, d'Erwan Leduc
Rien de plus excitant que de découvrir un premier film barré, lumineux, « mélancomique » et joliment maîtrisé. Surtout quand il est porté par un tandem savoureux, à nul autre pareil (Swann Arlaud et Maud Wyler). Bien sûr, on pourra toujours rapprocher l’univers singulier d’Erwan Leduc de celui de Quentin Dupieux (pour l’humour absurde) ou de Wes Anderson (pour la précision graphique des images et du cadre). Tant mieux ! Et si l’heureux réalisateur de Perdrix slalome avec autant d’aisance entre ces aimables références, c’est qu’il est lui-même, à sa façon, un champion du hors-piste.
Jugez plutôt : cet ancien journaliste sportif entreprend tout simplement, ici, de revisiter la comédie romantique. Genre on ne peut plus populaire, donc casse-gueule a priori. Sauf que cet auteur délié possède deux atouts dans sa musette. D’une part, il injecte à son récit millimétré une bonne dose de fantaisie poético-burlesque. Jamais convenue. Et, d’autre part, il a la bonne idée de s’appuyer sur des personnages extrêmement bien dessinés. Façon BD. Et ça marche ! La rencontre – évidemment improbable – entre son gendarme vosgien neurasthénique et sa rousse héroïne incontrôlable intrigue, amuse, remue. De bout en bout. D’autant que les deux tourtereaux sont accompagnés d’une pléiade de comédien·nes jubilatoires (Fanny Ardant et Nicolas Maury, en tête). Bref, on fonce tout schuss avec eux !
Perdrix, d’Erwan Leduc. Sortie le 14 août
Rêves de jeunesse, d'Alain Raoust
Salomé vient de quitter sa coloc étudiante, en ville, pour travailler dans la déchetterie du village de son enfance, dans les Alpes. C’est l’été. Sec. Brûlant. L’occasion pour la jeune femme flottante, un brin perdue dans ce cadre insolite, de faire de drôles de rencontres. Et, peut-être, d’entamer une nouvelle vie, à la fois marginale et collective. Oscillant entre western et utopie, le troisième long métrage d’Alain Raoust a bien du charme en dépit de quelques lourdeurs (le personnage de Jess, trop caricatural). Un souffle doux le traverse, exhalé en grande partie par Salomé Richard, une jeune actrice belge repérée dans Baden Baden, en 2016, et qui confirme ici toute sa finesse. À part.
Rêves de jeunesse, d’Alain Raoust. Sortie le 31 juillet.
So Long, My Son, de Wang Xiaoshuai
Bicycle et d’Une famille chinoise, s’apparente à une grande fresque romanesque. Tissant son récit sur plusieurs décennies, des années 1980 à aujourd’hui, il met en scène l’histoire de deux couples amis dont la vie va être bouleversée à jamais lorsque le fils d’un des deux meurt de façon prématurée. Culpabilité, mensonge, éloignement, retrouvailles, pardon : So Long, My Son est un vrai beau mélo, qui abat ses cartes doucement. Subtilement. Servi par des acteurs formidables de justesse. Mais, c’est aussi, mine de rien, un film engagé. Évoquant les traces que la politique chinoise de l’enfant unique a laissées sur ses habitants, il dresse un portrait doux-amer de ce pays mutant. En clair, il frise le chef‑d’œuvre…
So Long, My Son, de Wang Xiaoshuai. En salles.
Joel, une enfance en Patagonie, de Carlos Sorin
Le cinéma de Carlos Sorin, vétéran du 7e art argentin, ne ressemble à aucun autre. Subtil, délicat, discret, il niche ses récits apparemment tout simples dans la splendeur isolée de la Patagonie. Un lieu presque abstrait, aussi âpre qu’infini. Ici, l’ampleur des paysages vous aspire, tout autant que la force des sentiments qui s’y jouent. Pourtant, l’élégant Sorin se méfie des grands destins : voilà plus de trente ans qu’il s’attache à filmer le « presque rien » et « les gens de peu ».
Joel, une enfance en Patagonie, son dixième long-métrage, n’échappe pas à cet élan. Cette chronique apparemment « classique » relate l’adoption, en Terre de Feu, d’un enfant de 9 ans par un couple de gentils quadras (elle, professeure de piano, lui, bûcheron). Mais aussi la difficile intégration de ce garçon (au passé chahuté) au sein de leur petite communauté (passablement conservatrice).
Ce qui est beau dans ce film modeste, c’est le regard de Sorin, une fois encore. Ce mélange si personnel d’acuité et d’empathie. Il sait capter sur le visage de ses acteurs (professionnels ou pas) des expressions qui ne s’inventent pas. Un sentiment de vérité affleure en permanence. Pas de grande révélation, non. Juste un cinéma généreux et solide, à hauteur d’homme, de femme et d’enfant.
Joel, une enfance en Patagonie, de Carlos Sorin. Sortie le 10 juillet.
Je promets d'être sage, de Ronan Le Page
L’argument de départ est digne des meilleures comédies de l’âge d’or d’Hollywood : après des années de galère dans le théâtre, Franck, trentenaire un brin excessif, accepte un poste de gardien de musée au calme, loin de Paris. En route pour une nouvelle vie ? C’était compter sans Sybille, agente caractérielle, légèrement escroc, par ailleurs… Si le premier film de Ronan Le Page n’a pas toujours le brio ni la vitesse idéale pour rivaliser avec ses modèles américains, il n’en reste pas moins appréciable. Grâce à la fantaisie de ses acteurs et actrices (des premiers aux seconds rôles), qui lui insufflent une belle dynamique malgré tout. Pio Marmaï et Léa Drucker, épatants de finesse, ravivent même l’éclat du ressort (pourtant très usé) de la « paire antagoniste ». En bref, une petite comédie parfaite pour l’été !
Je promets d’être sage, de Ronan Le Page. Sortie le 14 août.
The Operative, de Yuval Adler
Le talent d’un film d’espionnage ne se mesure pas (seulement) à l’aune de son casting. Même s’il s’avère convaincant. De fait, Diane Kruger (en ex-agente du Mossad infiltrée à Téhéran) et Martin Freeman (dans le rôle de son référent de mission) sont irréprochables. Reste que The Operative s’impose aussi pour deux autres raisons. D’abord, son héros est une héroïne (brillante, polyglotte, traquée), pas si courant dans un genre d’ordinaire très testostéroné. Au cinéma, en tout cas. Ensuite, le film de Yuval Adler s’attache à donner une vision quotidienne de la vie finalement très solitaire des espions et des espionnes. Certes, son récit s’inscrit dans la veine « classique » des romans de John Le Carré sans en atteindre sa redoutable complexité. Mais en opérant ces deux pas de côté, il surprend. Et nous embarque, durablement.
The Operative, de Yuval Adler. Sortie le 24 juillet.
L'Intouchable (Harvey Weinstein), d'Ursula Macfarlane
Bien sûr, on aurait aimé un film moins formaté. L’Intouchable combine pas mal de tics du documentaire télévisuel américain (musique dramatique, scènes gênantes de reconstitution). Pour autant, le long-métrage qu’Ursula Macfarlane consacre à Harvey Weinstein, l’ex-magnat d’Hollywood accusé de multiples agressions sexuelles, est à découvrir. Urgemment (son procès est prévu le 9 septembre).
Il nous permet, en effet, d’entendre la parole de ses victimes présumées. Huit d’entre elles ont accepté d’y participer. Pas forcément très connues, à part Rosanna Arquette et Paz de la Huerta, elles livrent toutes des témoignages puissants. Directs. Dignes. La réalisatrice a par ailleurs retrouvé l’une des premières proies de l’ex-producteur vedette des studios Miramax : sa collaboratrice à l’époque où il était promoteur de concerts, à la fin des années 1970. Avec ce témoignage, l’un des plus émouvants, se met en place l’idée d’un comportement ancien, donc systématique, chez Weinstein. Une thèse intéressante.
Bref, ce documentaire est riche. Déjà parce qu’il aligne une trentaine de sources (dont des journalistes du New York Times et Ronan Farrow, qui ont lancé l’« affaire »). Et, enfin, parce qu’il fait figure de pionnier. On espère que, après lui, d’autres films permettront à la honte de changer de camp. Et pas seulement dans l’univers impitoyable du cinéma américain.
L’Intouchable (Harvey Weinstein), d’Ursula Macfarlane. Sortie le 14 août.
Her Smell, d'Alex Ross
Un conseil : accrochez-vous ! Une bonne partie du film d’Alex Ross Perry, chouchou du ciné indé américain, est saturée de cris, de frasques, d’injures et de mouvements de caméra aléatoires (quelque peu superfétatoires). Le tout dans des espaces essentiellement clos. Her Smell raconte les dérives et les délires d’une star du rock des années 1990 en fin de parcours (on pense à Courtney Love…). Un brin éreintant tout ça. Sauf que la performance d’Elisabeth Moss (La Servante écarlate) est hallucinante. Sauf qu’il se dit des choses intéressantes sur le rapport (complexe) à la maternité. Sauf que la dernière partie, apaisée, rend enfin attachante cette femme si peu sympathique. Disons que cet acte ultime se mérite !
Her Smell, d’Alex Ross Perry. Sortie le 17 juillet.
Une grande fille, de Kantemir Balagov
Après l’incandescent Tesnota, le Russe Kantemir Balagov choisit de s’intéresser une fois encore aux femmes (malmenées) de son pays. Une grande fille est ainsi porté par deux héroïnes sidérantes : Lya (la grande bringue du titre, infirmière en proie à d’étranges crises épileptiques) et Masha (une aide-soignante troublée). Deux femmes soudées par un pacte tragique. Deux corps subversifs – l’un hors norme, l’autre stérile – qui nous entraînent dans une histoire elle-même jalonnée de transgressions (avortement, amours bisexuelles…). Rien de léger, mais on le devine d’emblée puisque celle-ci se déroule en 1945 dans les ruines exsangues de Leningrad. Esthétisant et lancinant, ce faux film de guerre (elle reste hors champ, tels une menace ou un cauchemar) dérange autant qu’il hypnotise.
Une grande fille, de Kantemir Balagov. Sortie le 7 août.