Au travers du destin gâché, suffocant, d’Antonina, c’est bien le portrait d’une Russie misogyne, homophobe et aliénée, hier comme aujourd’hui, que Kirill Serebrennikov, résolument dissident, dresse dans ce film, en salles ce 15 février.
L’argument de l’amour non réciproque a souvent fait les beaux jours du mélodrame, voire de la tragédie lorsque, comme ici, il vire à l’obsession maladive puis à la folie. On pense d’ailleurs assez vite à L’Histoire d’Adèle H en regardant La Femme de Tchaïkovski. Sans doute parce que c’est un film d’époque, qui s’articule autour d’une héroïne ayant existé et s’accomplit avec la même minutie faussement classique que l’œuvre célébrissime de François Truffaut. Là s’arrête la comparaison, car le nouveau long-métrage de Kirill Serebrennikov, brillant cinéaste russe (Leto, La Fièvre de Petrov), se double d’une dimension pamphlétaire qui n’appartient qu’à lui !
L’intrigue, située dans la Russie du XIXe siècle, s’appuie librement sur les mémoires d’Antonina Milioukova, une apprentie pianiste issue d’un milieu aisé qui tomba éperdument amoureuse du compositeur Piotr Ilitch Tchaïkovski. Le grand homme l’épousa bel et bien, mais pour mieux faire taire les rumeurs sur son homosexualité, effective quoique cachée. Leur mariage sera donc un désastre, auquel la jeune femme s’accrochera désespérément pendant des décennies, avant de finir ses jours dans un hôpital psychiatrique…
Par-delà la beauté visuelle de ce récit terrible, tour à tour flamboyant et austère, par-delà l’interprétation frémissante d’Alyona Mikhailova dans le rôle-titre, ce qui frappe dans cette descente aux enfers, c’est combien son propos nous touche encore et nous scandalise. De fait, au travers du destin gâché, suffocant, d’Antonina, c’est bien le portrait d’une Russie misogyne, homophobe et aliénée, hier comme aujourd’hui, que Kirill Serebrennikov, résolument dissident, dresse sous nos regards ébahis.
La Femme de Tchaïkovski, de Kirill Serebrennikov. Sortie le 15 février.