Comme chaque année depuis le début de l’hiver, les téléfilms de Noël et les classiques des fêtes passent en boucle à la télévision et sur les services de streaming. Mais peut-on encore en regarder certains, qui charrient parfois des intrigues clichées ou sexistes, avec nos idées féministes et progressistes ?
Il fait gris, la nuit tombe de plus en plus tôt et les températures ont chuté. Une seule envie vous anime : rester au chaud, un breuvage brûlant à la main, pour regarder un film ou un téléfilm de Noël. Que ce soit à la télévision (TF1 diffuse depuis le 23 octobre deux œuvres du genre tous les jours !) ou sur les plateformes de streaming, vous avez l’embarras du choix. Les programmes qui sentent bon le chocolat et le pain d’épice sont légion en cette période. Mais patatras ! Alors que vous pensiez passer un bon moment, vous vous rendez compte que ce téléfilm que vous découvrez à l’écran est truffé de clichés, parfois un peu sexistes, ou que ce film que vous n’aviez pas vu depuis votre adolescence craint sérieusement. C’est ce qui est récemment arrivé à Geneviève. À 32 ans, cette adepte des productions hivernales du petit écran, qu’elle regarde depuis toute petite en famille, avec sa mère et sa sœur, a pour la première fois pu assister à une projection au cinéma de Love Actually. Un grand classique du genre, sorti dans les salles obscures en 2003, lorsqu’elle était trop jeune pour s’y rendre. “J’ai été émue de le découvrir de cette façon. Ce film représente vraiment pour moi une madeleine de Proust. J’ai été surprise de constater qu’il me touchait encore. Ça m’a replongée au début des années 2000, au niveau des vêtements, de la musique”, commence-t-elle, avant de reconnaître en avoir vu “les limites”.
“Ce film sortirait en 2023, ce ne serait pas possible”, estime la trentenaire, qui travaille en tant que coordinatrice dans une association culturelle : “J’ai remarqué que dans cette histoire tous les hommes ont un ascendant sur les femmes. Le personnage qui m’a le plus choquée est celui de Juliet, interprété par Keira Knightley. Elle a 18 ans, se marie et on ne sait rien d’autre d’elle. Rien ! J’aurais aimé la voir voyager, faire des études, pas juste se marier.” Sans oublier que la seule autre intrigue dans laquelle se retrouve Juliet est d’être coincée dans un triangle amoureux boiteux avec le meilleur ami de son mari, qui, un soir, vient lui demander de choisir entre les deux. Sauf qu’elle n’a littéralement rien demandé. Face à ses convictions féministes, Geneviève vit “une vraie crise de conscience cette année”, alors que ces films et téléfilms de Noël la ramenaient auparavant à son enfance, lui procurant l’effet d’un “petit bonbon” ou d’une “papillote”.
C’est cette sensation de réconfort que recherchait également Sonia (le prénom a été changé), 34 ans, dans ces œuvres, avant de ressentir une certaine dissonance : “Il s’agit à la fois de films qui se passaient et sont sortis à Noël, comme Maman j’ai raté l’avion, et d’autres que je voyais pendant cette période avec mes frères et sœurs, comme Rasta Rockett. Mais aujourd’hui, je ne les regarde plus avec mes yeux d’enfant. Je suis parfois gênée par l’humour très années 90 de certains, avec des éléments racistes ou sexistes. Je suis militante féministe depuis de nombreuses années et je fais attention à toutes les formes de violences qui pourraient apparaître, notamment celles de domination envers les enfants.”
"Je ne regarde pas ces téléfilms par militantisme"
Hélène, une journaliste féministe de 36 ans, regarde des téléfilms de Noël, sur TF1 et M6, depuis son adolescence. “J’ai grandi dans une petite ville de province où il n’y avait pas grand-chose à faire. Regarder la télé était une activité à part entière”, souligne-t-elle. Ce qui l’attire par-dessus tout ? “L’esthétique de Noël”, à savoir “les décors, les fringues, l’aménagement de la maison, la façon dont est pimpée la cuisine, les tabliers imprimés, la petite ville, la forêt autour, la neige, la petite chanson de country qui va bien…”. Avant de détailler : “Quand je me plonge dans ces téléfilms, je ressens une forme d’apaisement : il n’y a pas de surprise, c’est réconfortant, beau, joyeux… Ça m’apporte de la lumière, des paillettes. Je n’aime pas les personnes qui les critiquent en employant du sarcasme, en disant que c’est toujours la même intrigue. Je suis aigrie sur beaucoup de points dans ma vie, mais le sarcasme n’a pas sa place ici. Je prends les productions de Noël simplement pour ce qu’elles sont. Il ne nous arriverait jamais de dire qu’un bonbon semble trop sucré.”
Cette passion a conduit la trentenaire à lancer, le 25 novembre 2022, un compte Instagram dédié aux téléfilms de fin d’année, baptisé Guimauve de Noël. Elle ne s’intéresse d’ailleurs qu’aux téléfilms, et non aux films, qui ne renvoient pas assez selon elle cette esthétique des fêtes qu’elle apprécie tant. Tous les jours, à la manière d’un calendrier de l’avent, elle partage une citation d’une de ces œuvres hivernales du petit écran, inspirante, drôle ou bienveillante. Hélène, qui se dit féministe depuis toute petite, réfute la pensée qu’il serait contraire à ses idées de se plonger dans ces histoires : “Elles sont stéréotypées parce que les personnages cherchent l’amour ? On est dans une société héténormée, donc dans n’importe quelle série il existe une intrigue amoureuse. Cela fait partie de l’univers de la pop culture de façon indécrassable, dans les téléfilms, mais pas plus qu’ailleurs si on ouvre bien les yeux. Je ne regarde pas ces téléfilms par militantisme ou pour révolutionner le genre. Notre cerveau a besoin de respirer et ne peut pas en permanence penser aux violences du monde. Ces productions sont d’ailleurs conçues pour ne pas réveiller de traumas, il existe très peu d’agressions dedans.”
La journaliste ressent néanmoins “un plaisir particulier” quand certains téléfilms de Noël “sortent des clous”, avec une histoire d’amour entre deux femmes, une intrigue qui tourne autour de l’amitié entre un frère et une sœur, ou lorsque c’est le personnage féminin qui fait carrière à la fin et le personnage masculin qui abandonne son travail. “J’adore, c’est le glaçage sur le gâteau”, rigole-t-elle. Avant d’affirmer que l’on peut avoir différentes lectures de ces programmes, même une lecture “anticapitaliste” : “Dans ces productions, la fille travaille généralement pour une grosse boîte new-yorkaise et lâche tout pour retrouver une vie plus simple, moins consumériste, plus proche de sa famille…”