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© Samira Rahi / Unsplash

Crise de foi : je suis fémi­niste mais… (je regarde des télé­films de Noël un peu quiches quand même)

Comme chaque année depuis le début de l’hiver, les télé­films de Noël et les clas­siques des fêtes passent en boucle à la télé­vi­sion et sur les ser­vices de strea­ming. Mais peut-​on encore en regar­der cer­tains, qui char­rient par­fois des intrigues cli­chées ou sexistes, avec nos idées fémi­nistes et progressistes ?

Il fait gris, la nuit tombe de plus en plus tôt et les tem­pé­ra­tures ont chu­té. Une seule envie vous anime : res­ter au chaud, un breu­vage brû­lant à la main, pour regar­der un film ou un télé­film de Noël. Que ce soit à la télé­vi­sion (TF1 dif­fuse depuis le 23 octobre deux œuvres du genre tous les jours !) ou sur les pla­te­formes de strea­ming, vous avez l’embarras du choix. Les pro­grammes qui sentent bon le cho­co­lat et le pain d’épice sont légion en cette période. Mais pata­tras ! Alors que vous pen­siez pas­ser un bon moment, vous vous ren­dez compte que ce télé­film que vous décou­vrez à l’écran est truf­fé de cli­chés, par­fois un peu sexistes, ou que ce film que vous n’aviez pas vu depuis votre ado­les­cence craint sérieu­se­ment. C’est ce qui est récem­ment arri­vé à Geneviève. À 32 ans, cette adepte des pro­duc­tions hiver­nales du petit écran, qu’elle regarde depuis toute petite en famille, avec sa mère et sa sœur, a pour la pre­mière fois pu assis­ter à une pro­jec­tion au ciné­ma de Love Actually. Un grand clas­sique du genre, sor­ti dans les salles obs­cures en 2003, lorsqu’elle était trop jeune pour s’y rendre. “J’ai été émue de le décou­vrir de cette façon. Ce film repré­sente vrai­ment pour moi une made­leine de Proust. J’ai été sur­prise de consta­ter qu’il me tou­chait encore. Ça m’a replon­gée au début des années 2000, au niveau des vête­ments, de la musique”, commence-​t-​elle, avant de recon­naître en avoir vu “les limites”.

“Ce film sor­ti­rait en 2023, ce ne serait pas pos­sible”, estime la tren­te­naire, qui tra­vaille en tant que coor­di­na­trice dans une asso­cia­tion cultu­relle : “J’ai remar­qué que dans cette his­toire tous les hommes ont un ascen­dant sur les femmes. Le per­son­nage qui m’a le plus cho­quée est celui de Juliet, inter­pré­té par Keira Knightley. Elle a 18 ans, se marie et on ne sait rien d’autre d’elle. Rien ! J’aurais aimé la voir voya­ger, faire des études, pas juste se marier.” Sans oublier que la seule autre intrigue dans laquelle se retrouve Juliet est d’être coin­cée dans un tri­angle amou­reux boi­teux avec le meilleur ami de son mari, qui, un soir, vient lui deman­der de choi­sir entre les deux. Sauf qu’elle n’a lit­té­ra­le­ment rien deman­dé. Face à ses convic­tions fémi­nistes, Geneviève vit “une vraie crise de conscience cette année”, alors que ces films et télé­films de Noël la rame­naient aupa­ra­vant à son enfance, lui pro­cu­rant l’effet d’un “petit bon­bon” ou d’une “papillote”.

C’est cette sen­sa­tion de récon­fort que recher­chait éga­le­ment Sonia (le pré­nom a été chan­gé), 34 ans, dans ces œuvres, avant de res­sen­tir une cer­taine dis­so­nance : “Il s’agit à la fois de films qui se pas­saient et sont sor­tis à Noël, comme Maman j’ai raté l’avion, et d’autres que je voyais pen­dant cette période avec mes frères et sœurs, comme Rasta Rockett. Mais aujourd’hui, je ne les regarde plus avec mes yeux d’enfant. Je suis par­fois gênée par l’humour très années 90 de cer­tains, avec des élé­ments racistes ou sexistes. Je suis mili­tante fémi­niste depuis de nom­breuses années et je fais atten­tion à toutes les formes de vio­lences qui pour­raient appa­raître, notam­ment celles de domi­na­tion envers les enfants.”

"Je ne regarde pas ces télé­films par militantisme"

Hélène, une jour­na­liste fémi­niste de 36 ans, regarde des télé­films de Noël, sur TF1 et M6, depuis son ado­les­cence. “J’ai gran­di dans une petite ville de pro­vince où il n’y avait pas grand-​chose à faire. Regarder la télé était une acti­vi­té à part entière”, souligne-​t-​elle. Ce qui l’attire par-​dessus tout ? “L’esthétique de Noël”, à savoir “les décors, les fringues, l’aménagement de la mai­son, la façon dont est pim­pée la cui­sine, les tabliers impri­més, la petite ville, la forêt autour, la neige, la petite chan­son de coun­try qui va bien…”. Avant de détailler : “Quand je me plonge dans ces télé­films, je res­sens une forme d’apaisement : il n’y a pas de sur­prise, c’est récon­for­tant, beau, joyeux… Ça m’apporte de la lumière, des paillettes. Je n’aime pas les per­sonnes qui les cri­tiquent en employant du sar­casme, en disant que c’est tou­jours la même intrigue. Je suis aigrie sur beau­coup de points dans ma vie, mais le sar­casme n’a pas sa place ici. Je prends les pro­duc­tions de Noël sim­ple­ment pour ce qu’elles sont. Il ne nous arri­ve­rait jamais de dire qu’un bon­bon semble trop sucré.”

Cette pas­sion a conduit la tren­te­naire à lan­cer, le 25 novembre 2022, un compte Instagram dédié aux télé­films de fin d’année, bap­ti­sé Guimauve de Noël. Elle ne s’intéresse d’ailleurs qu’aux télé­films, et non aux films, qui ne ren­voient pas assez selon elle cette esthé­tique des fêtes qu’elle appré­cie tant. Tous les jours, à la manière d’un calen­drier de l’avent, elle par­tage une cita­tion d’une de ces œuvres hiver­nales du petit écran, ins­pi­rante, drôle ou bien­veillante. Hélène, qui se dit fémi­niste depuis toute petite, réfute la pen­sée qu’il serait contraire à ses idées de se plon­ger dans ces his­toires : “Elles sont sté­réo­ty­pées parce que les per­son­nages cherchent l’amour ? On est dans une socié­té hété­nor­mée, donc dans n’importe quelle série il existe une intrigue amou­reuse. Cela fait par­tie de l’univers de la pop culture de façon indé­cras­sable, dans les télé­films, mais pas plus qu’ailleurs si on ouvre bien les yeux. Je ne regarde pas ces télé­films par mili­tan­tisme ou pour révo­lu­tion­ner le genre. Notre cer­veau a besoin de res­pi­rer et ne peut pas en per­ma­nence pen­ser aux vio­lences du monde. Ces pro­duc­tions sont d’ailleurs conçues pour ne pas réveiller de trau­mas, il existe très peu d’agressions dedans.”

La jour­na­liste res­sent néan­moins “un plai­sir par­ti­cu­lier” quand cer­tains télé­films de Noël “sortent des clous”, avec une his­toire d’amour entre deux femmes, une intrigue qui tourne autour de l’amitié entre un frère et une sœur, ou lorsque c’est le per­son­nage fémi­nin qui fait car­rière à la fin et le per­son­nage mas­cu­lin qui aban­donne son tra­vail. “J’adore, c’est le gla­çage sur le gâteau”, rigole-​t-​elle. Avant d’affirmer que l’on peut avoir dif­fé­rentes lec­tures de ces pro­grammes, même une lec­ture “anti­ca­pi­ta­liste” : “Dans ces pro­duc­tions, la fille tra­vaille géné­ra­le­ment pour une grosse boîte new-​yorkaise et lâche tout pour retrou­ver une vie plus simple, moins consu­mé­riste, plus proche de sa famille…” 

Prendre du recul et recontextualiser

Comment font celles et ceux qui ne per­çoivent plus ces films de la même manière ? Claudie, une édu­ca­trice spé­cia­li­sée de 38 ans, qui aimait en regar­der pour “ne pas trop réflé­chir”, essaie désor­mais de les décor­ti­quer, de se poser des ques­tions, car elle aime­rait que ce qu’elle regarde soit “plus en adé­qua­tion avec ses idées”. Quand elle le peut, elle pri­vi­lé­gie des œuvres qui “poussent à la réflexion” et, pour se décon­nec­ter, pré­fère lire, faire des mots croi­sés ou regar­der des séries qu’elle juge “moins cli­chées”. Et si Claudie tombe sur Le père Noël est une ordure à la télé, qu’elle appré­ciait enfant, mais dont elle déplore aujourd’hui les faits de vio­lences conju­gales subies par le per­son­nage de Zézette, elle le ver­ra “peut-​être”, en sachant qu’elle a pris “du recul” sur ce long-métrage.

Sonia, de son côté, ne s’autorise une tolé­rance pour des pro­duc­tions qui vont à l’encontre de ses idées seule­ment pour celles qu’elle regar­dait, petite, à Noël, lorsqu’elle a besoin de retrou­ver “un peu de cha­leur à cette époque de l’année froide et dure”. “Avec ma sœur, on a en par­lé avec sa fille de 11 ans, car elle ne com­pre­nait pas trop ma posi­tion, à savoir pour­quoi un film comme Barbie me dérange, mais une his­toire de prince et de prin­cesse de ma géné­ra­tion moins. On dis­cute, on parle de nos contra­dic­tions. Je m’autorise donc par­fois à regar­der ces films, mais je me pose la ques­tion de savoir si je les mon­tre­rais à mes enfants. Il est dif­fi­cile de trans­mettre ces sou­ve­nirs ou alors avec de gros avertissements.”

Geneviève sou­ligne que cer­taines de ces œuvres ont près de 20 ans. Elle leur “par­donne”, car “elles ont été créées avant #MeToo”. “Il faut sim­ple­ment les repla­cer dans le temps, les recon­tex­tua­li­ser, sinon on ne regar­de­rait plus grand-​chose.” Avant de recon­naître : “On est plein à reven­di­quer des posi­tions mili­tantes, mais à se com­plaire devant des films de Noël. Ils touchent des choses en nous qui nous échappent un peu, nous rap­pellent qui on a été, les rêves qu’on a eus…” Allez, Merry Christmas à tous·tes !

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